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Maintien de salaire et prévoyance complémentaire : deux obligations, deux régimes, un enjeu social majeur. Par Sabrina Henocque Chiche, Avocate.
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Parution : mardi 6 mai 2025
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Derrière chaque arrêt maladie se dissimule un enchaînement de mécanismes juridiques complexes mobilisant à la fois le droit du travail, la protection sociale complémentaire, la gestion de la paie, et les pratiques déclaratives en DSN (Déclaration Sociale Nominative). Or, c’est précisément dans la confusion entre ces deux régimes - le maintien de salaire d’une part, la prévoyance complémentaire d’autre part - que résident de nombreux risques : redressements URSSAF, requalifications, actions prud’homales.
Cet article propose une analyse approfondie, fondée sur les textes, la jurisprudence et la pratique, pour comprendre les obligations respectives de l’employeur, les règles d’articulation entre les deux régimes et les précautions essentielles à mettre en œuvre pour sécuriser les pratiques.
Un simple clic dans le logiciel de paie qui transforme un « Jour de travail » en « Jour maladie » et c’est toute une machinerie juridique qui s’enclenche : avis d’arrêt transmis par le salarié, subrogation éventuelle des indemnités journalières de Sécurité sociale (IJSS), gestion des franchises conventionnelles ou non, paramétrage du contrat prévoyance, contrôles automatiques DSN/URSSAF, …
La scène paraît routinière ; elle est pourtant une source de redressements URSSAF et de litiges prud’homaux.
Selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des Statistiques (DARES), direction de l’administration publique centrale française qui dépend du ministère du Travail, 5,8% du temps de travail s’est volatilisé en 2024 sous l’effet des arrêts maladie - l’équivalent de plus de trois semaines d’absence par salarié.
Concrètement, lors de la gestion d’un arrêt de travail, deux obligations se télescopent :
Connaître la frontière exacte entre ces deux dispositifs n’est pas un exercice théorique. Au contraire, c’est, très concrètement, identifier qui supporte la charge financière, à quel moment, pour quelle durée, et sous quel régime social.
La moindre confusion entre une obligation de maintien de salaire imposée à l’employeur et une garantie de prévoyance complémentaire (incapacité, invalidité, décès) peut entraîner des erreurs de traitement social, des pertes d’exonération, voire un risque de redressements URSSAF. Il est donc impératif de tracer une frontière claire pour sécuriser vos pratiques en la matière.
Le maintien de salaire repose sur une obligation juridique à la charge exclusive de l’employeur, dont la source peut être légale ou conventionnelle.
a) L’obligation légale : la loi de mensualisation.
Issue de la loi n° 78-49 du 19 janvier 1978, l’obligation légale de maintien de salaire a été instaurée dans un contexte de fortes disparités entre les salariés du secteur privé, selon les conventions collectives applicables ou les usages d’entreprise.
À l’époque, seule une minorité de salariés bénéficiait d’un complément de revenu en cas de maladie, les autres voyant leurs ressources chuter brutalement dès les premiers jours d’arrêt.
L’objectif du législateur était donc double : sécuriser un minimum de revenu en cas d’incapacité de travail, et uniformiser la protection de base à l’échelle nationale. Cette loi de mensualisation constitue ainsi une avancée majeure dans la construction d’un socle commun de droits pour les salariés.
Elle est aujourd’hui codifiée aux articles L1226-1 à L1226-4 et D1226-1 à D1226-8 du Code du travail. Elle impose à l’employeur de compenser la perte de revenu d’un salarié en arrêt de travail pour maladie ou accident non professionnel, sous réserve que celui-ci remplisse les conditions cumulatives suivantes :
Dans ce cadre, et après un délai de carence de sept jours - sauf en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle où aucune franchise ne s’applique - l’employeur doit verser une indemnité complémentaire aux IJSS.
Cette indemnité est égale à 90% du salaire brut pendant une période de 30 jours, puis à 66,66% du salaire brut durant les 30 à 90 jours suivants. Ces durées sont allongées, en fonction de l’ancienneté, de dix jours par tranche de cinq ans d’ancienneté, dans la limite de 90 jours d’indemnisation à chaque niveau.
b) L’aménagement conventionnel : principe de faveur.
La convention collective ou un accord d’entreprise peut améliorer ce socle légal (suppression de la carence, maintien à 100%, durée prolongée, …).
De nombreuses conventions collectives de branche ont d’ailleurs institué des mécanismes de maintien de salaire, globalement plus favorables aux salariés.
Ces dispositions s’imposent alors à l’employeur, en vertu du principe de faveur [1].
c) Le financement : un engagement de l’employeur, non un avantage au salarié.
En la matière, les employeurs peuvent soit :
Important ! Les primes versées à un organisme assureur par un employeur en vue de garantir exclusivement le maintien de salaire auquel il est tenu en vertu de la loi ou d’un accord collectif ne sont soumises ni à cotisations de Sécurité sociale, ni à CSG-CRDS, ni au forfait social.
L’absence d’assujettissement repose sur l’absence d’avantage conféré au salarié par un tel financement, qui, en conséquence, « ne constitue pas une contribution au financement d’un régime de prévoyance instituant des garanties complémentaires au profit des salariés » [2].
Ce point est déterminant en ce qu’un contrat de maintien de salaire n’est pas un régime de prévoyance complémentaire au sens du Code de la Sécurité sociale. Il ne déclenche donc ni exonération encadrée, ni obligation de respecter les conditions relatives au caractère obligatoire ou collectif du régime.
Historiquement, la prévoyance complémentaire est née pour pallier les insuffisances de la Sécurité sociale instaurée en 1945, en matière d’incapacité, d’invalidité et de décès. Le régime général, bien qu’assurant une couverture de base, ne permettait pas de maintenir un niveau de vie décent en cas de sinistre.
La logique initiale était donc celle d’un complément facultatif, construit sur la base du volontariat, généralement par branche ou entreprise, permettant d’assurer une solidarité professionnelle au sein de collectifs de travail. Au fil des années, cette couverture s’est institutionnalisée, jusqu’à devenir obligatoire dans la plupart des branches professionnelles (des propositions de lois ont été déposées pour instaurer une obligation légale de prévoyance complémentaire, mais celles-ci demeurent à ce jour à l’état de projet non adopté).
a) Fondement juridique et cadre de mise en œuvre.
La prévoyance complémentaire est mise en place en application des articles L911-1 et suivants et L912-1 du Code de la Sécurité sociale :
Elle est souvent rendue obligatoire par la convention collective applicable, notamment dans les branches ayant mis en place un socle minimal de garanties incapacité, invalidité, décès.
Contrairement au maintien de salaire, cette couverture repose sur un mécanisme assurantiel. En effet, en application de l’article 1er de la loi Évin du 31 décembre 1989, le recours à l’assurance est alors obligatoire pour l’employeur (souscription auprès d’un organisme d’assurance : mutuelle, institution de prévoyance ou société d’assurance).
Par ailleurs, le dispositif est généralement cofinancé par l’employeur et le salarié.
b) Nature et contenu des garanties incapacité.
Les contrats de prévoyance couvrent généralement les arrêts de travail pour maladie ou accident, une fois expirée la période indemnisée au titre du maintien de salaire.
Certaines conventions collectives prévoient également une articulation directe entre maintien de salaire et prévoyance complémentaire.
La garantie prend le plus souvent la forme d’indemnités journalières complémentaires (IJC), assises sur le salaire de référence, avec l’application de franchises, de plafonds et des exclusions précisés contractuellement. Ces prestations sont versées directement par l’organisme assureur au salarié ou, dans certains cas, à l’employeur en subrogation.
c) Effet de substitution et exigence de faveur globale.
La jurisprudence reconnaît qu’un régime de prévoyance complémentaire peut se substituer à l’obligation conventionnelle de maintien de salaire, même lorsqu’il comporte une participation des salariés au financement de l’ensemble de cette couverture, sous réserve qu’il soit globalement plus favorable au salarié et que l’employeur soit en mesure de démontrer « techniquement » que la part la patronale permet de financer la partie légale ou conventionnelle du maintien de salaire [4].
Cette appréciation globale suppose de prendre en compte la durée, le montant, les délais de carence et les modalités de versement.
En cas de substitution, l’employeur doit être en mesure de produire une comparaison précise entre les régimes conventionnels et assurantiels afin de démontrer que le salarié n’est pas lésé.
d) Traitement social et conditions d’exonération.
Les cotisations patronales finançant la prévoyance complémentaire ne sont exonérées de cotisations sociales qu’à condition de respecter les conditions définies à l’article L242-1 CSS, notamment :
Même si ces conditions sont remplies, les contributions restent soumises à la CSG/CRDS et, pour les entreprises de plus de 11 salariés, au forfait social de 8%.
Les prestations versées au salarié sont en principe imposables. Cependant, elles bénéficient dans certains cas d’une exonération d’impôt sur le revenu sous une certaine limite, si elles remplissent les critères des prestations de Sécurité sociale complémentaires.
Ainsi, les dispositifs d’indemnisation mobilisés en cas d’arrêt de travail - maintien de salaire et/ou prévoyance complémentaire - s’entrecroisent souvent dans leur mise en œuvre, jusqu’à rendre leur distinction difficile à opérer sur le plan pratique. Pourtant, cette distinction est essentielle puisque le régime social applicable au financement patronal diffère selon la nature juridique retenue.
L’un des points les plus sensibles en matière de conformité sociale réside dans le traitement différencié des contributions patronales selon qu’elles financent le maintien de salaire ou la prévoyance complémentaire.
Les primes versées par l’employeur à un organisme assureur pour garantir exclusivement le maintien de salaire (légal ou conventionnel) ne sont pas soumises aux cotisations sociales, ni à la CSG/CRDS, ni au forfait social. Cette exclusion repose sur l’absence d’avantage supplémentaire pour le salarié : il s’agit simplement pour l’employeur de s’assurer contre une obligation préexistante.
À l’inverse, les contributions patronales affectées à un régime de prévoyance complémentaire sont :
Or, une même prime globale versée à un assureur peut financer deux natures de garanties différentes, impliquant des assiettes sociales distinctes. C’est pourquoi, en pareille situation, il est indispensable, pour l’entreprise, de pouvoir ventiler cette cotisation avec précision. À défaut, la totalité risque d’être réintégrée en assiette de cotisations par l’URSSAF.
En cas de contrôle URSSAF, l’employeur doit être en mesure d’effectuer la ventilation au stade de la gestion de la paie entre :
Ce justificatif peut être fourni par :
Attention ! Une absence de preuve documentée peut entraîner un redressement URSSAF intégral, même si le régime est, par ailleurs, conforme sur le fond.
L’arrêt maladie, événement somme toute banal, déclenche en réalité une réaction en chaîne : calculs, remboursements d’assurance, paramétrages DSN, contrôles croisés. Si le maintien de salaire relève d’une solidarité patronale impérative, la prévoyance incarne une solidarité mutualisée et facultative. Les deux logiques cohabitent ; elles ne se cumulent qu’à la condition d’être parfaitement ventilées.
Ignorer cette frontière, c’est courir un double risque :
Autrement dit, respecter la distinction n’est pas un luxe doctrinal ; c’est un geste préventif pour la paie et pour les comptes sociaux de l’entreprise. En 2025, alors que les arrêts maladie grèvent significativement la masse salariale, mieux vaut ventiler aujourd’hui que redresser demain.
Sabrina Henocque Chiche Avocate fondatrice du cabinet d'avocat Valnoa Barreau de Paris https://www.valnoa-avocat.fr/[1] Cass. soc., 17 janv. 1996, no 92-20.066.
[2] Cass. 2e civ., 23 nov. 2006, dits arrêts Volutique ; et pour une jurisprudence plus récente voir : Cass. 2e civ., 12 mai 2022, n° 20-14.607.
[3] Dans les conditions de l’article L911-1 CSS.
[4] Cass. soc., 17 oct. 1991, n° 88-20.320.
[5] Si régime conforme à l’article L242-1 CSS.
[6] Si l’entreprise compte plus de 11 salariés.
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