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Déontologie des avocats : la circulaire du 8 avril 2025. Par Adrien Mawas, Avocat.
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Parution : lundi 2 juin 2025
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La publication de la circulaire du 8 avril 2025 [1] de présentation du décret n° 2025-77 du 29 janvier 2025 relatif à la déontologie et à la discipline des avocats est l’occasion de revenir sur certaines de ses dispositions les plus novatrices avec notamment la création d’une procédure disciplinaire simplifiée (1) laquelle s’apparente à une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et le rappel de certains droits procéduraux, en particulier le droit pour l’avocat de se taire en matière disciplinaire (2).
Le règlement des litiges disciplinaires des avocats n’échappe pas à la volonté de « simplification » et d’efficience de résolution des conflits. Alors que le plaider coupable en matière criminelle est vanté par l’actuel Garde des Sceaux, la profession d’avocats s’est également dotée d’une procédure de plaider coupable en matière disciplinaire.
Cette procédure est aujourd’hui prévue aux articles 187-2 à 187-6 du décret du 27 novembre 1991 inséré par l’article 1 du décret du 29 janvier 2025.
Ce dispositif était voulu de longue date par la profession. En effet, la question de la procédure disciplinaire simplifiée a été expressément abordée dans le cadre d’un rapport de proposition d’adaptation et de réforme de la procédure disciplinaire applicable aux avocats adoptée par l’assemblée générale du Conseil national des barreaux le 3 avril 2020.
Cependant, la mise en place d’un tel dispositif exigeait l’intervention du législateur, seul compétent pour intervenir dans le cadre disciplinaire en vertu de l’article 34 de la Constitution.
Ainsi, c’est l’article 40 de la loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation de la justice qui a modifié loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques en insérant un nouvel article 23-1 ainsi rédigé :
« L’instance disciplinaire compétente en application de l’article 22 peut être saisie par le bâtonnier dont relève l’avocat mis en cause selon une procédure simplifiée dont les modalités sont fixées par décret en Conseil d’Etat, sauf lorsque la poursuite disciplinaire fait suite à une réclamation présentée par un tiers. En cas d’échec de la procédure simplifiée, l’instance disciplinaire peut être saisie dans les conditions prévues à l’article 23 ».
C’est donc sur la base de cette disposition que l’article 1 du décret précité prévoit le dispositif réglementaire relatif à la procédure disciplinaire simplifiée.
La circulaire quant à elle détaille la procédure disciplinaire simplifiée et son champ d’application et rappel certaines garanties procédurales dont l’avocat poursuivi disciplinairement bénéficie.
Aux termes de l’article 187-2 du décret précité, le bâtonnier dispose de la faculté de mettre en œuvre la procédure simplifiée exception faite de la réclamation faite par un tiers ou lorsque l’avocat poursuivi a fait l’objet d’une peine d’interdiction d’exercée temporaire d’exercice assortie en tout ou en partie du sursis dans les 5 ans qui précèdent.
La circulaire rappelle que la procédure disciplinaire simplifiée ne peut donner lieu qu’aux sanctions prévues par les 1° et 2° du I de l’article 184, aux peines complémentaires prévues par le II et le 2° du III du même article, ainsi qu’à la formation complémentaire en déontologie prévue par le V du même article.
On comprend donc qu’à ce stade, la procédure simplifiée n’a été pensée que pour les entorses les moins graves à la discipline pour lesquelles la lourdeur de la procédure ordinaire n’apparaissait pas adaptée.
Ainsi, les sanctions possibles dans le cadre de la procédure simplifiée sont - l’avertissement et le blâme auxquelles peuvent s’ajouter les peines complémentaires consistant notamment dans la publication de la sanction et dans - ’interdiction temporaire, et ce quel que soit le mode d’exercice, de conclure un nouveau contrat de collaboration ou un nouveau contrat de stage avec un élève-avocat, et d’encadrer un nouveau collaborateur ou un nouvel élève-avocat, pour une durée maximale de trois ans, ou en cas de récidive une durée maximale de cinq ans et la formation complémentaire en déontologie prévue par le V du même article.
Le bâtonnier doit convoquer l’avocat poursuivi, éventuellement assisté par son conseil pour l’entendre et lui proposer l’une des sanctions limitativement énumérées.
La proposition de sanction est notifiée à l’avocat par tout moyen conférant une date certaine à sa réception et contient l’indication détaillée des faits reprochés accompagnée des pièces et de la motivation de la proposition de sanction.
L’avocat poursuivi dispose d’un délai de quinze jours pour :
L’absence de réponse de l’avocat poursuivi dans ce délai vaut refus de la proposition de sanction.
L’article 187-4 du décret du 27 novembre 1991 prévoit que
« en cas d’acceptation par l’avocat poursuivi de la proposition de sanction, le bâtonnier saisit dans le délai de 15 jours la juridiction disciplinaire aux fins d’homologation ».
La juridiction chargée de l’homologation peut refuser d’homologuer soit lorsque les conditions propres à la procédure simplifiée ne sont pas réunies, absence de reconnaissance des faits par l’avocat ou sanctions non limitativement énumérées mais également si :
« la nature des faits, le comportement de l’avocat poursuivi, le cas échéant la situation de l’avocat auteur de la réclamation ou les intérêts de la profession justifient une procédure disciplinaire ordinaire ».
Cette décision est susceptible de recours dans un délai de 15 jours à compter de la notification à l’avocat poursuivi.
Le procureur général dispose quant à lui d’un délai de quinze jours pour s’opposer à la décision d’homologation.
En l’absence de recours et d’opposition, la décision d’homologation devient définitive.
Si l’avocat poursuivi refuse la proposition, la procédure se poursuit. Dans ce cas, la proposition de sanction ne peut être produite ni invoquée dans la suite de la procédure. Si la procédure disciplinaire simplifiée échoue, la procédure disciplinaire « ordinaire » peut être engagée.
Difficile de ne pas voir dans cette nouvelle procédure un calque de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité en matière pénale.
Il s’agit du second apport majeur du décret n° 2025-77 du 29 janvier 2025.
En introduisant un article 187-1 au décret du 27 novembre 1991 disposant que l’avocat faisant l’objet d’une procédure disciplinaire doit être informé de son droit de se taire, le pouvoir réglementaire tire les conséquences de la décision n°2023-1074 QPC du 8 décembre 2023.
En effet, par cette décision le Conseil constitutionnel a entendu élargir considérablement le champ d’application du droit au silence en considérant que :
« 9. Aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : "Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi". Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire ».
La question prioritaire de constitutionnalité avait trait aux dispositions d’une ordonnance relative à la discipline des notaires.
Cependant, quelques mois plus tôt, le Conseil d’Etat avait refusé de reconnaitre une portée aussi large au droit de se taire, considérant que celui-ci n’avait vocation à s’appliquer qu’à la matière pénale [2].
Le conseil d’Etat est toutefois revenu sur sa décision de ne pas transmettre la QPC au Conseil constitutionnel par une décision du 19 avril 2024 considérant que la décision du Conseil constitutionnel constituait une circonstance nouvelle.
Les controverses jurisprudentielles entre deux des plus hautes juridictions françaises et la consécration assez récente du droit de se taire démontre qu’il était nécessaire d’en tirer les conséquences à la procédure disciplinaire applicable aux avocats.
C’est chose faite par le décret du 29 janvier 2025.
Une disposition identique est introduite dans le cadre de l’enquête déontologique [3].
Pour rappel, l’enquête déontologique est une enquête diligentée par le bâtonnier soit de sa propre initiative, soit à la demande du procureur général, soit à la suite de la plainte de toute personne intéressée sur le comportement d’un avocat de son barreau.
Ce droit devra donc être formellement rappelé à l’avocat faisant l’objet d’une procédure disciplinaire faute de quoi la procédure se trouverait entaché d’irrégularité.
Adrien Mawas Avocat au barreau de Marseille https://www.mawas-avocat.fr/[1] https://www.justice.gouv.fr/documentation/bulletin-officiel/circulaire-presentation-du-decret-ndeg2025-77-du-29-janvier-2025-relatif
[2] CE 23 juin 2023 / n° 473249.
[3] Article 187 dudit décret.
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