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Guide de propriété intellectuelle à destination de l’entrepreneur innovant. Par Marina Carrier, Avocat et Camille Fabe, Elève-Avocate.
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Parution : mercredi 11 juin 2025
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Dans un contexte où l’innovation fait figure de levier majeur de compétitivité, la gestion des outils de propriété intellectuelle devient un véritable enjeu pour tout entrepreneur et plus particulièrement pour les entreprises technologiques. Qu’il s’agisse de technologies disruptives (blockchain, IA, quantique, robotique), de logiciels, de produits connectés ou de modèles économiques fondés sur la donnée ou la marque, l’entrepreneur innovant crée de la valeur immatérielle qui doit être protégée, structurée, valorisée.
Cet article offre une cartographie juridique et pratique des réflexes essentiels à avoir en matière d’innovation, en tenant compte des spécificités applicables en droit français.
L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous [1].
Le droit d’auteur protège toute création de forme originale : logiciel, application mobile, design graphique, contenus éditoriaux, charte graphique, etc [2]. L’originalité suppose un effort créatif révélant la personnalité de l’auteur, la seule qualité technique d’une réalisation ne suffisant pas (par exemple, pour un portrait photographique ou un design d’interface technique).
Les logiciels peuvent donc être protégés comme œuvres de l’esprit [3] [4], sous réserve d’un apport intellectuel propre [5].
Ce droit conféré par le Code de la propriété intellectuelle [9] permet au producteur d’une base de protéger l’investissement financier, matériel ou humain qu’il a consenti pour constituer, vérifier ou présenter les données.
Il est indépendant du droit d’auteur et permet d’interdire toute extraction ou réutilisation substantielle non autorisée du contenu.
La protection du savoir-faire repose sur la réunion de trois conditions cumulatives : son secret, sa valeur commerciale, et sur les mesures raisonnables de protection prises pour conserver le secret. L’entrepreneur devra veiller à organiser la confidentialité (accords de non-divulgation, clauses dans les contrats, mesures techniques internes) pour bénéficier de la protection de la directive UE 2016/943 transposée dans le Code de commerce [10].
L’article L113-1 du Code de la propriété intellectuelle instaure une présomption de la qualité d’auteur au profit de celui qui est identifié comme tel lors de la divulgation de l’œuvre. Cette présomption est réfragable : elle peut être renversée par toute preuve contraire apportée par une personne revendiquant la qualité d’auteur réelle. En outre, elle ne bénéficie qu’aux personnes physiques.
Ainsi, même si une startup conçoit une application, les droits d’auteur peuvent demeurer entre les mains des développeurs ou designers externes, à défaut de contrat de cession conforme à l’article L131-3 du Code de la propriété intellectuelle (mention des droits cédés, durée, territoire, destination).
Concernant les salariés, la loi prévoit une cession automatique pour les logiciels [11].
En revanche, pour les autres œuvres (textes, visuels, musiques), une clause expresse est nécessaire.
Pour les dirigeants non-salariés, la cession n’est jamais présumée.
La constitution de preuves sur l’antériorité de la création est essentielle (enveloppe Soleau, horodatage blockchain, constat d’huissier, dépôt à l’APP, etc) pour revendiquer la date de priorité en cas de conflit.
En matière de marque et sans enregistrement, il n’existe aucun droit exclusif sur le signe, sauf rares exceptions (marques notoires).
L’enregistrement auprès de l’INPI ou d’autres offices (EUIPO, OMPI) permet, sur une durée de 10 ans, d’agir en contrefaçon, de valoriser la marque (cession, licence, apport en société), et de se défendre dans les conflits de noms de domaine ou de référencement.
Le brevet est délivré après un examen par l’INPI ou l’OEB. C’est un droit opposable à tous permettant, sur une durée de 20 ans, d’interdire l’exploitation par des tiers, d’attaquer en contrefaçon, et de monétiser l’innovation par des contrats (licences, cessions).
Un audit de propriété intellectuelle (due diligence) est un préalable indispensable pour toute entreprise qui veut valoriser ses actifs. Il consiste à identifier les actifs protégés (marques, brevets), vérifier leur statut juridique (titularité, renouvellements, oppositions), et qualifier leur valeur stratégique selon les marchés visés.
Les contrats de propriété intellectuelle sont au cœur de la chaine de valeur : contrats de cession ou de licence (marques, brevets), clauses de confidentialité pour protéger les savoir-faire avant dépôt, clauses de copropriété, de territoire ou de redevances dans les accords de transfert technologique.
La qualité rédactionnelle de ces contrats est déterminante pour éviter les litiges de titularité ou de contrefaçon.
La licence permet de conserver la propriété tout en autorisant des tiers à exploiter un droit. Elle peut être exclusive, non-exclusive ou co-exclusive et prévoit généralement une redevance ou un pourcentage sur les revenus.
Elle est fréquente en matière de brevet dans les secteurs pharmaceutique, électronique, ou des technologies vertes.
La cession peut prendre plusieurs formes : à titre gratuit, onéreux, dans le cadre d’une opération plus vaste (apport, levée …).
Il convient cependant de faire attention aux cessions d’actifs de propriété intellectuelle à titre gratuit puisqu’une telle cession constitue une donation qui doit être passée devant notaire [12], à peine de nullité, en vertu de l’article 931 du Code civil.
En pratique, il conviendra donc d’éviter toute cession complètement gratuite et de prévoir dans l’acte, a minima, une contrepartie ainsi que l’absence d’intention libérale.
Toute cession de droit d’auteur ou de droit voisin doit respecter le formalisme strict de l’article L131-3 CPI et détailler par écrit, de façon précise, les droits cédés, leur durée, territoire, usage. A défaut, la nullité peut être soulevée.
Les titres de propriété industrielle peuvent être :
Les investisseurs exigent des garanties sur la chaîne des droits, notamment via les audits de due diligence.
Toute incertitude (absence de cession de droits, logiciels non déclarés, noms non déposés) peut impacter la valorisation de l’entreprise.
Il est conseillé d’activer des outils de surveillance (INPI, EUIPO, WIPO) pour les marques, brevets, dessins et modèles. Les atteintes en ligne peuvent être repérées via des outils de reconnaissance d’image ou de crawl.
Plusieurs types de veille peuvent être mis en œuvre :
Outre la mise en demeure et la négociation amiable, le Code de la propriété intellectuelle permet d’agir en contrefaçon devant le tribunal judiciaire [13].
Des mesures préventives (saisie contrefaçon, saisie douanière) peuvent être obtenues rapidement.
La médiation, l’arbitrage ou les comités d’experts (AFNIC, EUIPO, OMPI) permettent souvent de résoudre plus efficacement les litiges, à moindre coût et de façon confidentielle.
L’entrepreneur innovant est un stratège autant qu’un créateur. Il lui appartient d’intégrer la propriété intellectuelle comme un axe central de son développement : non seulement pour protéger, mais aussi pour convaincre des partenaires, attirer des investisseurs et valoriser son projet.
Une maîtrise des règles juridiques, combinée à une démarche proactive, permettra de transformer la création en avantage concurrentiel durable.
Marina Carrier, Avocat associé au barreau de Toulouse et Camille Fabe, Elève avocate Halt Avocats www.halt-avocats.fr[1] Article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
[2] Articles L112-1 à L112-3 du CPI.
[3] Article L112-2, 13° du CPI.
[4] Cour de cassation, ass. plén., 7 mars 1986, “arrêt Pachot” : reconnaît la protection du logiciel en tant qu’œuvre de l’esprit.
[5] Cass. 1re civ., 25 juin 2009, “arrêt Cryo” : le jeu vidéo est une œuvre complexe, dont chaque composant (graphisme, logiciel, son) est protégé sous réserve d’originalité propre.
[6] CBE, art. 52.
[7] Ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services venant transposer la directive (UE) 2015/2436, dite « Paquet Marques ».
[8] Arrêts Masques Decathlon du Tribunal de l’Union européenne, 4 juin 2025 : un produit peut être protégé en tant que DM si toutes les caractéristiques ne sont pas imposées par une fonction technique.
[9] Articles L341-1 et suivants du CPI.
[10] Article L151-1 du Code de commerce.
[11] Article L113-9 du CPI.
[12] Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 1, 13 mars 2024 - n° 22/05440.
[13] Articles L335-1 et suivants, L716-1 et suivants.
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