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La médiation, ou l’art de penser la “justice” autrement. Par Jean-Louis Lascoux.
Parution : jeudi 22 mai 2025
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Le ministère de la justice a publié un nouveau rapport sur une "Mission d’urgence relative à la déjudiciarisation" (Mars 2025). D’évidence, il convient de s’y attarder.
D’abord, pourquoi réformer la “Justice” ? La réponse peut être enrobée de causes économiques, c’est clair, mais ne serait-ce pas surtout parce qu’on ne croit plus vraiment à la justice ?
Pourquoi donc ? Hé bien parce que croire en la justice, c’est d’abord une affaire de foi. Une confiance profonde, presque existentielle.
Ce n’est pas une attente sur l’efficacité d’un service public ; c’est un espoir émotionnel : celui que quelque chose - ou quelqu’un - va rétablir l’équilibre, réparer l’injustice, identifier et imposer le bien fondé, remettre de l’ordre dans ce qui a été abîmé.

On attend de la justice qu’elle soit à la fois : salvatrice : qu’elle sauve ; réparatrice : qu’elle rende ce qui a été perdu ; transcendante : qu’elle dépasse les individus ; immanente : qu’elle s’applique ici et maintenant, concrètement.
Mais quand ce qu’on appelle “justice” devient un labyrinthe procédural, une autorité froide, une décision lointaine, ou une sanction déconnectée du réel...
Alors la croyance s’effondre.
Pas parce qu’on ne veut plus y croire. Mais parce que ce qu’on appelle justice est en réalité une sublimation.

Et si l’on creuse un peu, on s’aperçoit que l’idée même de justice, dans son institutionnalisation, relève bel et bien d’un mythe : un récit centré sur l’imaginaire, une croyance culturellement entretenue par un système complexe, conservateur, qui raconte des notions de droit, rigidifie des principes, digitalise des normes… une fiction régulatrice dont les attendus et considérants ne parviennent pas à faire sens.
Mais qui, bien souvent, s’éloigne de la réalité simple et brute des relations humaines. De cette justesse qui se cherche et se construit - dans le quotidien, dans le vécu, dans le lien.

Alors, la médiation ?

Et si ceux qui en parlent le plus n’étaient pas ceux qui la pratiquent vraiment ?
Depuis des années, on parle de médiation comme d’une “voie d’avenir” pour le système judiciaire. Plus rapide. Plus accessible. Moins coûteuse. Plus humaine. Un consensus semble se dessiner : il faut désengorger les tribunaux, et pour cela, développer massivement les modes amiables de règlement des conflits.

Et pourtant, un paradoxe persiste, dérangeant, silencieux : ceux qui parlent de médiation et cherchent à la définir comme outil de régulation des relations dégradées ne sont pas - ou si peu - ceux qui la pratiquent. Et parmi ces rares, toujours très alignés avec le modèle de conformité dominant.

Une profession structurée… mais tenue à l’écart.

La profession de médiateur est organisée depuis plus de 25 ans. Elle dispose d’un code d’éthique et de déontologie (CODEOME), de formations rigoureuses, méthodologiques, structurées, d’un réseau professionnel international, et de pratiques éprouvées dans des domaines aussi variés que le social, le familial, l’éducatif, le sanitaire, l’environnement ou l’entreprise. Elle intervient dans tous les contextes : personnels, interpersonnels, organisationnels.

Mais, lorsque la décision politique et gestionnaire consiste à “faire de la médiation une priorité”, ce sont des magistrats et des technocrates qui définissent ce qu’elle doit devenir, comment elle doit être exercée, dans quels objectifs. Il est difficile de ne pas y voir la marque d’ultimes résistances à des changements devenus incontournables, face à des évolutions culturelles qui piétinent si souvent qu’elles finissent par générer de la déshérence.

Les médiateurs eux-mêmes ne sont pas consultés. Pas écoutés. Entendus de loin, repris parfois dans leurs propositions - mais encore partiellement : professionnalisation, reconnaissance du métier de médiateur, médiation obligatoire, droit à la médiation, référentiel déontologique, méthodologie...

Un paradoxe révélateur d’un modèle encore vertical.

Ce paradoxe en dit long. Il révèle que, malgré les discours sur l’écoute, le dialogue, la participation, notre système reste piloté par des logiques descendantes.

Même la médiation - censée réhabiliter la parole des parties - reste encadrée par des logiques d’autorité et de contrôle.
On confond “règlement amiable” et “gestion simplifiée du conflit”.
On réduit la médiation à un outil parmi d’autres, au lieu de la reconnaître comme une démarche autonome, transversale, fondée sur l’altérité, la reconnaissance, la co-construction.

Mais peut-on y voir un signe d’espoir ?

Curieusement… oui.
Le fait même que les magistrats, les gestionnaires et les pouvoirs publics cherchent désormais à parler de médiation - parfois maladroitement - signale une faille dans l’ancien modèle.
Une faille, c’est aussi une brèche. Une brèche, c’est parfois un passage.

On peut lire cette prise en main institutionnelle comme l’amorce involontaire d’un changement de paradigme, que la génération suivante de professionnels de la médiation viendra approfondir, structurer, peut-être même revendiquer.

La médiation n’est pas un outil de plus. C’est une autre manière de penser le conflit et d’agir sur les relations.

Le fond du sujet est là : la médiation - quand elle est professionnelle - n’est pas seulement une méthode. C’est une posture. Elle suppose :

Et maintenant ?

La question n’est pas : « Comment développer la médiation ? »
Mais plutôt :« Sommes-nous (êtes-vous) prêts à laisser ceux qui la pratiquent depuis 25 ans en prendre la responsabilité ? »

Si l’institution commence à bouger, alors oui, c’est un signal.
Mais, une évolution institutionnelle performante aura lieu quand les médiateurs professionnels eux-mêmes seront les architectes d’un autre rapport à ce que l’on appelle justice, un rapport qui ne passe plus par la seule décision, mais par la qualité des relations dans la vie en société.
Peut-être faudra-t-il encore attendre une génération.
Mais, elle est déjà là, en germe. À nous (vous) de lui faire place.

Sources :

Jean-Louis Lascoux, auteur du Dictionnaire de la Médiation (ESF); Pratique de la Médiation Professionnelle (ESF); Médiation en milieux hostiles (ESF). Fondateur de EPMN, Président du centre de recherche en entente interpersonnelle et sociale et ingénierie relationnelle et de la Société de la Médiation professionnelle, médiateur de la consommation

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