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[UEMOA] Dialogue social et bien-être social : un enjeu stratégique. Par Armande Goulé, Doctorante.
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Parution : jeudi 22 mai 2025
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Le dialogue social est un élément clé du fonctionnement des entreprises et des administrations publiques. Il joue un rôle fondamental dans l’amélioration des conditions de travail et le bien-être des travailleurs, en favorisant une approche participative et constructive des relations professionnelles. Ainsi, l’un des objectifs majeurs du dialogue social vise à réduire le pouvoir unilatéral dans le monde du travail, mais surtout à associer de plus en plus les destinataires de la norme sociale à son élaboration en vue de la rendre plus réaliste. Le fonctionnement de cette forme de régulation sociale nécessite alors, l’existence d’organisations d’employeurs et de travailleurs outillées, autonomes, capables de créer un rapport de force. Subséquemment, quel est donc l’impact réel du dialogue social sur le bien-être social ?
La réponse à cette interrogation nous invite à cerner premièrement le concept multidimensionnel que constitue le dialogue social (I) avant d’évaluer deuxièmement ses répercussions sur le bien-être social (II).
Le dialogue social constitue un concept large qui se présente sous plusieurs angles et facettes qu’il nous parait judicieux, avant tout, d’appréhender sa notion (A) et ses formes (B).
C’est en 1984 que l’expression « dialogue social » apparaît pour la première fois lors de la présidence française du Conseil de la Communauté Européenne par le biais du ministre français des relations extérieures, le socialiste Claude Cheysson, qui affirmait à ce propos : « la présidence française prendra les initiatives nécessaires pour chercher, avec les partenaires sociaux, le moyen de renforcer le dialogue social au niveau européen ». À la suite de ces propos, les notions de « partenaires sociaux » et « dialogue social » vont former un système lexico-sémantique qui caractérisera les relations socio-professionnelles paritaires et tripartites organisées à l’échelon national en France et supranational permettant à l’OIT d’en faire usage à son tour. Ainsi, selon l’Organisation Internationale du Travail, « le dialogue social inclut tous types de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs selon des modalités diverses, sur des questions relatives à la politique économique et sociale présentant un intérêt commun. Il peut prendre la forme d’un processus tripartite auquel le gouvernement participe officiellement ou de relations bipartites entre les travailleurs et les chefs d’entreprise (ou les syndicats et les organisations d’employeurs), où le gouvernement peut éventuellement intervenir indirectement. Les processus de dialogue social peuvent être informels ou institutionnalisés ou associer - ce qui est souvent le cas - ces deux caractéristiques. Il peut se dérouler au niveau national, régional ou au niveau de l’entreprise. Il peut être interprofessionnel, sectoriel ou les deux à la fois ».
Cette définition assez concentrée, met en exergue les éléments fondamentaux du dialogue social qui sont d’une part les acteurs concernés et d’autre part les mécanismes de mise en œuvre. Ainsi, tel qu’appréhendé, le dialogue social apparaît comme un concept dont les contours restent extrêmement imprécis et un peu confus dans la mesure où de nombreuses pratiques pleines de nuances et de particularités restent à préciser.
Nous pouvons considérer cette ambiguïté de la définition donnée par l’OIT comme une façon implicite d’admettre la grande diversité que recouvre la notion dialogue social dans le but d’encourager la formulation d’un consensus entre les principaux acteurs du monde du travail. Il convient de relever que la définition du dialogue social que donne l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) n’est pas moins différente de celle de l’OIT. En effet, selon l’article 1 de l’Acte additionnel de l’UEMOA, le dialogue social est défini comme « tout type de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs selon des modalités diverses, sur des questions relatives à la politique économique et sociale présentant un intérêt commun ».
Il faut noter que pour faire face à la recrudescence des crises sociales au sein des États membres de l’UEMOA, les partenaires sociaux ont formulé la demande aux chefs d’États de prendre part de façon active au processus de décision de l’Union. Ainsi, les représentants des employeurs, des travailleurs et des ministres en charge du Travail des États membres de l’UEMOA ont à cet effet recommandé, lors d’une réunion intervenue au siège de l’UEMOA en mai 1999, la création au sein de l’Union d’une structure tripartite permanente représentant gouvernements, travailleurs et employeurs. Alors, après une longue période de maturation, la Conférence des chefs d’États et de Gouvernements de l’UEMOA a créé en 2009 le Conseil du Travail et du Dialogue social (CTDS). Cette définition du dialogue social est reprise par l’article 1 al 7 du Règlement portant création du Forum du dialogue social tripartite de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
En marge des définitions institutionnelles du dialogue social, la doctrine s’est largement illustrée sur la question en construisant des définitions toutes aussi lumineuses les unes aux autres. Ainsi, pour Alain Supiot le dialogue social « est une grande variété de dispositifs de confrontation des intérêts des employeurs et des salariés : droit d’information, de grève, de représentation, de négociation. En outre, le dialogue social est présenté comme une machinerie « régulatoire » qui permet de transformer les rapports de force en rapport de droit. Ainsi, elle canalise les forces collectives pour les mettre au service du droit ». Il y a lieu de constater qu’il se dégage de l’ensemble de ces définitions, une similitude à savoir celui de vouloir restreindre, ou à tout le moins de circonscrire la notion de dialogue social dans le carcan d’une définition précise et complète. Ainsi, le dialogue social « a vocation à s’appliquer à une diversité de systèmes de relations professionnelles ». Dès lors, il peut être appréhendé comme : « un mécanisme juridique inhérent aux relations collectives du travail qui se manifeste à travers tous types de négociations y compris la négociation collective, de concertation, de consultation et d’échange d’informations éclairées, quel que soit le cadre, entreprise, branche d’activité, nation, de manière bipartite ou tripartite, entre l’État et les partenaires sociaux tels que les syndicats des travailleurs et des employeurs, sur une question d’intérêt social voire économique pouvant aboutir à un accord ou pas ».
De toutes les définitions proposées, la dernière englobe toutes les caractéristiques du dialogue social et s’adapte le mieux à notre perception du dialogue social en ce sens qu’elle nous permet de percevoir le dialogue social tout simplement comme un ensemble de mécanismes de discussions qui permet le progrès et le bien-être social.
Un autre facteur très important à prendre en compte est la forme du dialogue social. Il faut dire que le dialogue social se caractérise par un trait particulier. Il est, en effet, multiforme car il peut être bipartite, tripartite ou quadripartite.
Concernant le dialogue bipartite, comme son nom l’indique, il se déroule entre deux parties : soit entre les travailleurs et les employeurs ; soit entre le Gouvernement et les travailleurs ; soit entre les employeurs et le Gouvernement. Quant au dialogue tripartite, il repose, en effet, sur trois composantes : l’État, les travailleurs et les employeurs. Il leur permet, en effet, de discuter ensemble des politiques publiques et des sujets intéressant la vie économique et sociale. Enfin, en plus des traditionnels partenaires sociaux que sont l’État, les organisations d’employeurs et celles des travailleurs ou salariés, le dialogue quadripartite fait appel à un autre acteur désigné sous le vocable de société civile.
Le langage qui est aussi un aspect important du dialogue n’est pas à sous-estimer. En effet, pour dialoguer « il faut parler la même langue, ou bien recourir à des interprètes. Le dialogue ne se réduit donc jamais à un rapport binaire, car il implique toujours la préexistence d’un langage commun (…). Dans le cas du dialogue social, ce langage commun est institué principalement par les États et accessoirement par les organisations internationales, c’est-à-dire les pouvoirs publics ».
En définitive, la notion de dialogue, loin d’être véritablement polysémique, se présente sur plusieurs aspects, intrinsèquement rattachés à une situation donnée. En clair, le dialogue social est une notion malléable, qui ne peut rester figée dans la mesure où elle varie selon les contextes même si ses implications restent invariables.
L’OIT considère le dialogue social entre les gouvernements, les organisations des employeurs et de travailleurs comme un modèle de gouvernance important pour le maintien du travail décent et de la cohésion sociale (A) et la traduction du développement économique en progrès social (B).
Le dialogue social constitue l’un des piliers fondamentaux du travail décent et de la justice sociale promus par l’OIT. Ainsi, le travail décent constitue un « travail productif dans des conditions de liberté, d’équité, de sécurité et de dignité humaine ». Il suppose donc la réduction du stress et l’amélioration de la santé mentale à travers l’écoute des travailleurs et la mise en place de mesures adaptées contribuant ainsi à leur équilibre psychologique. Encore, le dialogue social participe à une valorisation des salariés par une prise en compte de leurs besoins et préoccupations afin de renforcer leur engagement et leur motivation. Il se traduit également par une prévention des conflits à travers une communication régulière et transparente permettant de désamorcer les tensions avant qu’elles ne dégénèrent. En effet, nous pouvons affirmer que le dialogue social en sus des vertus évoquées constitue la pierre angulaire de la démocratie sociale. Aussi s’est-il transformé au fur à mesure en un véritable indicateur de l’attractivité économique d’un pays. C’est à juste titre que le dialogue social constitue l’alpha et l’oméga de la démocratie et surtout de la cohésion sociale, caractérisée comme l’ensemble des « formes de négociation, de consultation, ou d’échanges d’information, à tous les niveaux, entre les employeurs, les représentants des travailleurs et les pouvoirs publics sur des questions d’intérêt commun ». Il ressort de cette acception, que le dialogue social constitue la pièce maîtresse dans la construction d’une démocratie sociale car que serait une démocratie sociale sans dialogue social ? Elle serait juste un champ de bataille arrangé où seul le rapport de force prime.
Aussi, le dialogue social constitue de nos jours un indicateur de l’attractivité économique d’un pays donné car pour se convaincre du bien-fondé de cette affirmation, il suffit de se référer au rapport Doing Business. Élaboré chaque année par un groupe d’experts de la Banque mondiale, le rapport Doing Business classe les pays selon le caractère plus ou moins favorable aux affaires de leur cadre juridique et social. En effet, la Banque mondiale et le FMI subordonnent l’aide qu’ils apportent aux pays, aux résultats de ces derniers eu égard aux divers indicateurs du rapport Doing Business. En effet, la Banque utilise une méthode spécifique pour évaluer les politiques et les institutions des pays et leur attribuer, sur la base de seize critères différents, une note qui déterminera le montant octroyé au titre de l’aide au développement. Le personnel de la Banque mondiale utilise l’indicateur relatif à l’embauche pour assigner aux pays une place dans deux domaines : réglementation des activités commerciales, protection sociale et travail. Un mauvais classement influera sur le montant de l’aide attribuée aux pays. Les indicateurs du rapport jouent également un rapport décisif pour l’octroi des crédits affectés aux stratégies de réduction de la pauvreté, et en particulier des crédits liés à la mise en œuvre du volet de ces stratégies relatif au secteur privé. Ainsi, un pays dont la qualité du dialogue social est louée, appréciée est mieux classé qu’un pays où seul compte le rapport de forces. Dans cette perspective, un pays comme la France dont la qualité du dialogue social est très décriée est beaucoup moins bien évalué qu’un pays comme l’Allemagne dont le modèle de dialogue social est cité en exemple.
Le dialogue social, lorsqu’il est bien structuré et appliqué dans un cadre respectueux des droits fondamentaux, constitue un levier puissant pour améliorer le bien-être social et par ailleurs le droit des travailleurs. Il ne s’agit pas seulement d’une obligation légale, mais bien plus, d’un facteur stratégique pour une performance durable et une cohésion sociale renforcée. Toutefois, il convient de relever qu’eu égard aux bénéfices évidents du dialogue social, certains défis persistent : manque de transparence, absence de culture du dialogue dans certaines entreprises, ou encore difficultés à faire valoir les droits des travailleurs.
Ainsi, pour une amélioration de la situation, il est judicieux de renforcer la formation des acteurs du dialogue social, d’encourager les démarches participatives et d’adopter une approche inclusive qui prend en compte les besoins de tous les travailleurs, y compris les plus vulnérables.
Armande Goulé Doctorante en Droit Privé Université Alassane Ouattara / Côte d’IvoireL'auteur déclare ne pas avoir utilisé l'IA générative pour la rédaction de cet article.
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