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La lutte contre la prostitution ou la protection des victimes contre leur gré. Par Adrien Mawas, Avocat.
Parution : vendredi 6 juin 2025
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Si la lutte contre la prostitution des mineurs au sein des foyers de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) devrait constituer une priorité pour les pouvoirs publics, on peut pourtant s’interroger sur les présupposés à l’oeuvre au sein de la justice pénale au regard du traitement judiciaire de certaines affaires.

Alors que plusieurs départements ont été visés par des recours administratifs en raison de leur inaction face à la prostitution des mineurs et qu’une plainte a été déposée mi-avril auprès du comité des droits de l’enfant de l’ONU pour « violations graves et récurrentes » des droits des mineurs confiés à l’ASE, en matière de prostitution, il demeure plus facile pour la justice pénale d’aller chercher les responsabilités de ce problème social chez les jeunes hommes se livrant à des activités de proxénétisme, également issus de l’ASE, lesquels partagent le quotidien de ces jeunes filles, que de pointer la défaillance des pouvoirs publics.

En cela, la poursuite des personnes auteur de faits pouvant revêtir la qualification pénale de proxénétisme, apparaît comme un paravent efficace pour éluder la responsabilité des acteurs publics tout en donnant l’impression de se saisir de ce problème social.

Une affaire dont j’ai la charge en est une bonne illustration.

Pour résumer succinctement les faits, une enquête de police a démarré à la suite d’une dénonciation faite par une jeune fille mineur auprès de son éducatrice. La jeune fille indiquait que l’une de ses copines, mineure âgée de 15 ans, était séquestrée dans une chambre d’hôtel par son proxénète. L’éducatrice émettait un signalement aux autorités judiciaires. Une enquête préliminaire était ouverte. Au cours de cette enquête, il était découvert que plusieurs filles, toutes mineures et toutes placées dans des foyers de l’ASE se livrait à des activités prostitutionnelles principalement sur internet mais également dans la rue.

Les investigations menées par la brigade de répression du proxénétisme dans le cadre d’une information judiciaire se sont exclusivement concentrées sur les rôles joués par les jeunes hommes.

De toute évidence, la minorité des victimes a joué un rôle prépondérant dans la sévérité du traitement judiciaire imposé aux prévenus.

En effet, la minorité des victimes sert la légitimité de la vision abolitionniste du droit pénal français, laquelle n’est pourtant pas exempte de toute ambiguïté. Pour rappel, la vision abolitionniste souhaite l’éradication de toute forme de prostitution en réprimant tous les comportements liés à cette activité. Ce système, adopté en France, s’oppose au système réglementariste qui cherche à encadrer juridiquement la prostitution afin de ne pas la rendre davantage clandestine.

Toutefois, par sa dimension paternaliste, la vision abolitionniste permet aux différents acteurs de la chaîne pénale de s’ériger en protecteur des personnes prostituées, éventuellement contre leur gré, et de chercher les responsabilités pénales exclusivement chez les proxénètes alors même que les dysfonctionnements des pouvoirs publics dans la prise en charge de ces personnes vulnérables sont criants.

En premier lieu, ce qui interpelle dans cette enquête, est que la jeune fille mineure ayant dénoncé les faits n’a jamais été interrogée.

En deuxième lieu, la fille qui aurait fait l’objet d’une séquestration n’en a jamais fait état.

En troisième lieu, il est ressorti par ailleurs de la procédure que les jeunes filles mineures prenaient une part active dans leur prostitution ou celle des autres jeunes filles notamment en proposant aux jeunes hommes de recruter certaines de leurs amies. Ce dernier élément ressortant d’une écoute téléphonique que les services de police n’ont pas retranscrit, semblant la considérer comme dépourvue d’intérêt pour l’enquête.

Autrement dit, la circonstance que ce ne sont pas les personnes prostituées elles-mêmes qui ont averti les services de police, qu’elles n’ont pas souhaités dénoncer leur proxénète et enfin qu’elles peuvent participer à l’organisation et au recrutement d’autres jeunes filles est tout simplement évacuée du dossier.

Pour autant, à aucun moment, tant les services de police que la justice ne se questionnent sur leur légitimité à vouloir protéger des personnes indépendamment de leur volonté.

Il me semble qu’un élément de réponse réside dans la conception « abolitionniste » de la prostitution.

Sur un plan juridique : l’abolitionnisme suppose la pénalisation des clients au nom du principe d’égalité femmes-hommes, notion incompatible, avec la pratique de relations tarifées. L’argent impose une contrainte ; les consommateurs qui paient pour un service sexuel — le plus souvent des hommes — assujettissent les vendeurs — le plus souvent des femmes.
Cette conception justifie également la criminalisation de toute activité visant (1°) à aider, assister ou protéger la prostitution d’autrui,(2°) d’en tirer profit, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant à la prostitution et (3°) d’embaucher, d’entrainer ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle se prostitue[1].

Cette conception de la prostitution est un des acquis majeur du féminisme qui a permis de changer le regard sur l’activité prostitutionnelle – alors que les femmes étaient auparavant perçues comme coupables d’inciter à la débauche - les personnes prostituées sont aujourd’hui perçues comme des victimes.

Cependant, le statut de victime par la vulnérabilité qu’il atteste suppose l’idée que les personnes prostituées seraient dénuées de libre arbitre. Ces traits sont renforcés dans le cadre de prostituées mineures qui seraient par définition dépourvue d’autonomie et de conscience.

Ainsi, cette approche de la prostitution est empreinte d’un certain paternalisme justifiant, comme les deux faces d’une même médaille, la protection des victimes contre leur gré et une répression féroce des proxénètes sans prise en compte des besoins réels ni des jeunes filles et encore moins, évidemment, des proxénètes.

***

Supposer les prostituées mineures comme des victimes dépourvues de libre arbitre permet de les considérer ipso facto sous l’emprise de leurs proxénètes, et cela même en l’absence, par exemple, de faits de violences commis par ces derniers ou d’expertises psychiatriques ou psychologiques venant objectiver la notion d’emprise. Plus encore, présumée l’emprise permet même de nier les émotions ressenties par les prostituées. En effet, l’une d’elles a toujours indiqué être amoureuse de son proxénète durant toutes ces auditions mais ses sentiments ont toujours été rejetés sous couvert d’emprise.

Eriger les jeunes filles en victime justifie la répression des proxénètes par une séparation extrêmement nettes entre les premières et les seconds, exploitées et exploiteurs. Cette séparation très claire entre victime et bourreaux présentent énormément d’avantages sur le plan judiciaire.

Comme évoqué précédemment, il permet de caractériser l’emprise des proxénètes sur les prostituées. Cela permet également de caractériser la domination en dépit de toute démonstration d’un enrichissement exclusif des proxénètes aux dépens des prostituées ni mise en lumière de quelconque flux financiers. En effet, l’incrimination du proxénétisme est suffisamment large pour incriminer indifféremment une personne qui vient en aide à une prostituée que le gérant d’un réseau très organisé.

Or, il y a fort à parier, et le dossier en question n’y échappe pas, qu’il y ait davantage de ressemblances sociologiques entre les victimes et les proxénètes qu’entre, par exemple, les personnes prostituées et les « clients ».

Par ailleurs, cette répartition des rôles manichéenne, permet d’éluder une dimension particulièrement importante de la réalité prostitutionnelle à Marseille, à savoir que les prostituées comme les proxénètes (de ce dossier) sont tous issus des foyers de l’aide sociale à l’enfance Marseillais.

Par conséquent, si ces foyers sont présentés comme des « centres de recrutements » de mineures, il n’est pas inintéressant de se demander pourquoi ces mêmes foyers forment les recruteurs…

Ainsi, victimes comme « bourreaux » partagent une même extraction sociale.

De ce fait, réprimer les proxénètes au nom de la protection des victimes revient parfois à isoler davantage lesdites victimes que l’on entend protéger en portant atteinte à leur vie privée sans offrir par ailleurs, faute de moyens et de volonté politique, un quelconque programme de sortie de l’activité prostitutionnelle digne de ce nom si tant est que telle est la volonté des pouvoirs publics.

Adrien Mawas Avocat au barreau de Marseille https://www.mawas-avocat.fr/ [->mawas.adrien@avocat-conseil.fr]

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