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La protection de la salariée enceinte face aux risques psychosociaux : quand l’obligation de sécurité prime. Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : lundi 9 juin 2025
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Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 27 mai 2025 (Cass. soc. 27-5-2025 n° 23-23.549) marque une évolution significative dans l’équilibre entre la protection des salariées enceintes et l’obligation de sécurité de l’employeur.

Cette décision révèle comment les impératifs de prévention des risques psychosociaux peuvent justifier le licenciement d’une salariée protégée, dès lors qu’elle refuse une solution de reclassement équivalente.

1. Le cadre juridique de la protection de la maternité.

1.1. Les principes fondamentaux de protection.

La protection des salariées enceintes constitue un pilier essentiel du droit du travail français.

Le Code du travail interdit à l’employeur de rompre le contrat de travail d’une salariée en état de grossesse médicalement constaté, pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit, et pendant les dix semaines suivant l’expiration de ces périodes [1].

Cette protection se traduit également par l’interdiction de prendre en considération l’état de grossesse pour refuser l’embauche, rompre le contrat pendant la période d’essai ou prononcer une mutation d’emploi [2].

L’employeur ne peut rechercher ou faire rechercher toutes informations concernant l’état de grossesse de l’intéressée [3].

La salariée n’est pas tenue de révéler son état de grossesse, sauf lorsqu’elle demande le bénéfice des dispositions légales relatives à la protection de la femme enceinte [4].

Pour bénéficier de cette protection, elle doit remettre contre récépissé ou envoyer par lettre recommandée un certificat médical attestant son état de grossesse et la date présumée de son accouchement [5].

Les formalités d’information ne constituent pas une obligation substantielle et l’envoi du certificat médical dans les formes prévues ne conditionne pas le droit à la protection [6].

2.2. Les mécanismes de protection adaptés.

Le Code du travail prévoit également des dispositifs spécifiques d’accompagnement des salariées enceintes.

La salariée enceinte peut être affectée temporairement dans un autre emploi, à son initiative ou à celle de l’employeur, si son état de santé médicalement constaté l’exige [7].

Cette affectation ne peut entraîner aucune diminution de rémunération et l’affectation dans un autre établissement est subordonnée à l’accord de l’intéressée [8].

Lorsque l’employeur est dans l’impossibilité de proposer un reclassement temporaire, il ne peut suspendre la rémunération en attendant de trouver un emploi compatible avec l’état de la salariée [9].

Une salariée déclarée inapte à ses fonctions en raison de sa grossesse a droit au maintien de sa rémunération, même si le changement d’affectation n’a pu être réalisé en l’absence de poste disponible [10].

La loi accorde également à la salariée allaitant son enfant une heure par jour durant les heures de travail pendant une année à compter de la naissance [11].

1.3. Les exceptions au principe de protection.

Toutefois, cette protection n’est pas absolue.

L’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement [12].

Traditionnellement, l’impossibilité de maintenir le contrat de travail d’une salariée enceinte ne peut se justifier que par des circonstances indépendantes de son comportement, classiquement d’ordre économique [13].

2. L’obligation de sécurité de l’employeur face aux risques psychosociaux.

2.1. Le contenu de l’obligation de sécurité.

L’employeur est redevable d’une obligation de sécurité vis-à-vis de ses salariés [14].

Il résulte de ce texte que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers le salarié, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Cette obligation s’étend désormais explicitement à la prévention des risques psychosociaux, qui constituent désormais une préoccupation majeure des entreprises.

2.2. La gestion des conflits interpersonnels.

Lorsque des tensions relationnelles graves surviennent au sein d’une équipe, l’employeur se trouve confronté à un dilemme délicat.

Il doit concilier le respect des droits individuels de chaque salarié avec la préservation de l’environnement de travail collectif.

Dans certaines situations, le maintien d’un salarié à son poste peut générer des risques psychosociaux significatifs pour l’ensemble de l’équipe.

3. L’analyse de l’arrêt du 27 mai 2025.

3.1. Les faits de l’espèce.

L’affaire concernait une salariée ingénieur et chef d’équipe dont le contrat avait été suspendu à plusieurs reprises pour arrêts maladie, congés de maternité et congé parental.

Lors de sa reprise, bien qu’elle soit déclarée apte par le médecin du travail, plusieurs membres de son équipe ont saisi les représentants du personnel, redoutant la dégradation de leurs conditions de travail et faisant état de risques psychosociaux liés au retour de leur chef d’équipe.

Une enquête menée par les représentants du personnel a conclu à l’existence de risques psychosociaux graves en cas de retour de la salariée à son poste, tant pour les salariés que pour l’intéressée elle-même.

L’inspection du travail, saisie par la salariée, a également précisé qu’un retour sur l’ancien poste semblait improbable et qu’elle serait elle-même en danger au sein de l’équipe.

3.2. La solution proposée par l’employeur.

Face à cette situation de blocage, l’employeur a suivi les recommandations de l’inspection du travail en proposant à la salariée d’occuper un poste équivalent au sein d’un autre établissement.

Cette proposition respectait ses compétences professionnelles et son niveau hiérarchique.

Cependant, la salariée a refusé cette affectation dans un autre établissement, ce qui était son droit selon les dispositions légales [15].

C’est au cours de l’entretien préalable en vue de son éventuel licenciement qu’elle a annoncé une nouvelle grossesse à son employeur.

3.3. La décision de la Cour de cassation.

La Cour de cassation a approuvé la cour d’appel d’avoir débouté la salariée de sa demande de nullité du licenciement.

Elle a considéré que l’employeur, tenu par son obligation de sécurité et de prévention des risques psychosociaux, ne pouvait pas maintenir la salariée à son poste sans risques tant pour ses collègues que pour elle-même.

L’employeur avait cherché une solution pour débloquer la situation en proposant un autre poste conforme aux compétences professionnelles et au niveau hiérarchique de l’intéressée dans un autre établissement.

Le refus de cette proposition par la salariée avait rendu le maintien du contrat de travail impossible.

Xavier Berjot Avocat Associé au barreau de Paris Sancy Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

[1C. trav. art. L1225-4.

[2C. trav. art. L1225-1.

[3C. trav. art. L1225-3-1.

[4C. trav. art. L1225-2.

[5C. trav. art. R1225-1.

[6Cass. soc. 7-11-2006 n° 05-42.413.

[7C. trav. art. L1225-7.

[8C. trav. art. L1225-7.

[9Cass. soc. 17-12-1997 n° 94-44.833.

[10Cass. soc. 19-1-1999 n° 96-44.976.

[11C. trav. art. L1225-30.

[12C. trav. art. L1225-4.

[13Cass. soc. 25-6-1975 n° 74-11.723 ; Cass. soc. 24-10-2012 n° 11-21.500 ; Cass. soc. 26-9-2012 n° 11-17.420.

[14C. trav. art. L4121-1.

[15C. trav. art. L1225-7, al. 3.

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