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Le Tribunal judiciaire de Caen en faveur des victimes de l’arnaque au faux conseiller bancaire. Par Virginie Audinot, Avocat.
Parution : vendredi 6 juin 2025
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Vous trouverez dans mes articles une veille jurisprudentielle en matière de fraude bancaire, plus particulièrement concernant le traitement des litiges relatifs au spoofing.

Cette fraude consiste pour une personne, à usurper la qualité de conseiller bancaire ou de préposé du service fraude d’une banque, et de contacter un client de l’établissement en lui indiquant que des opérations malveillantes seraient en cours au débit de son compte bancaire afin de faire faire à ce dernier des opérations bancaires à son profit.

Le très récent arrêt rendu par le Tribunal judiciaire de Caen le 11 avril 2025 (TJ Caen, 11 avril 2025, n° 24/03438 [1]) est favorable aux clients victimes de ce type de fraude et reconnait le droit à remboursement de ces derniers à l’égard de leur établissement bancaire.

En l’espèce, Madame E et Monsieur S, titulaires ensemble d’un compte joint dans les livres de la Société Générale, et disposant chacun d’une carte bancaire associée à ce compte, ont été victimes de spoofing.

Madame E a reçu le 5 décembre 2022, vers 20H45, un appel sur son téléphone portable, le numéro affiché étant celui du service des fraudes de la Société Générale, à savoir le [XXXXXXXX01], et a eu au bout du fil un interlocuteur parlant parfaitement français et lui demandant s’il était normal que sa carte bancaire soit utilisée à l’étranger.

Celle-ci répondant que non, l’interlocuteur, qui se faisait donc passer pour un préposé de la Société Générale, lui a demandé de faire le nécessaire pour bloquer alors tout mouvement frauduleux sur son compte bancaire.

Ainsi, le fraudeur a demandé à Madame E d’aller sur son application bancaire pour modifier le code secret à l’effet de faire cesser les opérations de débit en cours et pour cela, lui a communiqué un nouveau code secret. Après avoir fait le changement demandé, Madame E a reçu des SMS sur son téléphone portable les mêmes numéros que ceux desquels elle reçoit habituellement des messages de la part de sa banque.

Madame E et Monsieur S s’apercevant finalement avoir été victime d’une escroquerie après avoir eu au téléphone leur conseillère bancaire, laquelle leur a fait part de plusieurs débits sur leur compte joint, ces derniers ont immédiatement contacté le service des fraudes de la Société Générale, expliquant qu’un technicien leur avait alors dit “de faire des faux codes de façon à bloquer” les opérations en cours, et ont porté plainte le 6 décembre 2022.

Le 7 décembre 2022, le compte joint des époux a été débité de 4 952,23 euros avec comme référence le numéro de carte bancaire de Madame E et de 8 701,39 euros avec comme référence le numéro de carte bancaire de Monsieur S, leur relevé de compte faisant état d’achats faits depuis la Lituanie.

Dès le 7 décembre 2022, les époux ont demandé à leur banque le remboursement des sommes frauduleusement débitées de leur compte joint.

Le 16 décembre 2022, la somme de 8 701,39 euros a été re-créditée sur le compte joint par la Société Générale, mais la demande de remboursement de la somme de 4 952,23 euros a quant à elle été refusée.

Puis, le 2 janvier 2023, la Société Générale est même revenue sur sa première décision d’acceptation de remboursement pour la somme de 8 701,39 euros et a débité cette somme sans prévenir du compte de Madame E et Monsieur S, leur indiquant ensuite par courrier du 14 février suivant que la transaction contestée ayant été validée à distance au moyen d’une authentification renforcée, nécessitant la connaissance de votre code secret et identifiant de Banque à Distance ainsi que des codes de sécurité transmis par SMS sur le téléphone portable personnel de Madame E, la Banque, ne pouvait finalement prendre en charge le montant ainsi détourné compte tenu d’une négligence grave de sa cliente.

Par ailleurs, la banque a avisé les époux de l’application de deux commissions d’intervention de 8 euros, les débits de 4 952,23 euros et 8 701,39 euros ayant conduit à ce que leur compte joint présente un solde débiteur.

Le 17 mars 2023, les époux ont saisi le médiateur auprès de la Fédération Bancaire Française d’une demande de médiation, laquelle été estimée recevable le 21 avril 2023.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 22 mars 2024 (distribuée le 27 mars suivant), les époux ont, par l’intermédiaire de leur conseil, vainement mis en demeure la Société Générale de leur rembourser dans le délai de trente jours les sommes de 8 701,39 euros et 4 952,23 euros frauduleusement débitées sur leur compte joint le 7 décembre 2022.

Dans ce contexte, Madame E et Monsieur S ont donc assigné la Société Générale le
5 août 2024, au visa des articles L133-18 et suivants du Code monétaire et financier, aux fins de voir :

Le contenu de cette décision est intéressant et suit le raisonnement adopté par nombre de juges au soutien des clients bancaires victimes de ce type de fraude.

Le tribunal relève que les époux en l’espèce ont alerté leur agence bancaire des opérations frauduleuses sur leur compte joint très rapidement et que ces derniers, affolés par l’annonce de prélèvements frauduleux, ont été mise en confiance par le ton très professionnel de leur interlocuteur qui nommait la cliente par son nom, connaissait ses données personnelles et appelait sous couvert du numéro de téléphone du service des oppositions de la Société Générale, de sorte que Madame E s’est nécessairement trouvée mise en confiance et a suivi les instructions reçues.

En l’espèce surtout, il est bien souligné qu’à aucun moment, Monsieur S et Madame E n’ont communiqué leurs codes secrets ni leurs codes CCV de carte bancaire.

Le tribunal relève donc à bon escient que la négligence grave n’est pas tant du côté du client victime que de la banque étant donné que le fraudeur avait pu avoir connaissance du nom des titulaires d’un compte courant SG, connaître leur situation matrimoniale, le numéro de téléphone de “l’appareil de confiance” et qu’un défaut de sécurité des données bancaires pourrait ainsi tout à fait être reproché à la Société Générale.

Il résulte des articles L133-18, L133-19 et L133-23 du Code monétaire et financier que, en cas d’opération de paiement reconnue comme “non autorisée”, le payeur dispose en principe d’un droit à remboursement immédiat. Ce remboursement peut toutefois être refusé en cas d’agissement frauduleux de l’utilisateur lui-même ou, pour les seules opérations authentifiées de manière forte dans les conditions prévues par la loi, en cas de “négligence grave commise par l’utilisateur de services de paiement” démontrée par le prestataire de services de paiement.

Au visa de ce texte, le juge, après avoir constaté que :

Le tribunal a donc jugé qu’il y avait lieu dans ces conditions, de condamner la Société Générale à payer aux époux les sommes de 4 952,23 euros et de 8 701,39 euros au titre du remboursement des fonds débités frauduleusement le 7 décembre 2022 sur leur compte joint, avec intérêts de retard au taux légal à compter du 27 mars 2024, date de la réception de la mise en demeure de rembourser adressée par leur conseil, et capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière, 1 500 euros au titre de l’article 700 du CPC (frais de procédure) et les dépens.

Virginie Audinot, Avocat Barreau de Paris Audinot Avocat www.audinot-avocat.com

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