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[Point de vue] La difficile indemnisation des victimes collatérales par balles face au FGTI. Par Frédéric Roussel, Avocat.
Parution : vendredi 13 juin 2025
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La « mexicanisation » des règlements de compte liés au narcobanditisme se traduit désormais par la participation de tueurs aussi jeunes que dénués de toute conscience morale et d’empathie.
En 2024, ces tirs « au jugé » ont tué 14 victimes collatérales innocentes, blessant gravement 18 d’entre elles, et suscité un émoi général bien légitime (décès de la jeune Socayna, fusillade à Echirolles).
Pour autant, et en dépit d’évidences peu contestables, la lutte judiciaire contre le fonds de garantie en reconnaissance du statut de victime collatérale devant la CIVI (Commission d’indemnisation des victimes d’infractions) n’est pas un long fleuve tranquille...
Ndlr : FGTI : Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions.

Typologie particulière des blessures par arme de guerre.

Acquis sur les réseaux sociaux ou le darkweb, les fusils d’assaut utilisés par les narcotrafiquants se distinguent par leur fiabilité et leur cadence de tirs élevée (700 coups/m pour un AK-47 ou un AR10).

La vitesse supersonique des balles utilisées comme leur calibre (7,62 mm) occasionnent un profil lésionnel vulnérant caractéristique du transfert d’énergie sur les tissus : fracas osseux complexe, lésions à type d’éclatement et de broiement des organes internes, orifice de sortie important, complications par gangrène gazeuse, ablations et amputations.

Quand il n’est pas immédiatement léthal, le traumatisme balistique qui en résulte est majeur, inductif de nombreux postes de préjudices à indemniser.

Une procédure doublée.

L’existence de victimes collatérales s’entend de leur présence fortuite dans un processus de guerre de territoire et de règlement de compte entre narcotrafiquants, relevant juridiquement de la qualification de meurtre ou de tentative de meurtre en bande organisée, prévue par les articles 132-71, 221-1, et 221-4 8° du Code pénal.

Ces faits donnent naturellement lieu à une enquête de police judiciaire en matière de flagrance, en sus de l’ouverture d’une information judiciaire, assortie ou non de mises en examen, dans laquelle s’insèrent les victimes au moyen d’une constitution de partie civile devant le juge d’instruction désigné.

De manière complémentaire, compte tenu du souhait indemnitaire des victimes et de l’impécuniosité des auteurs criminels, celles-ci saisissant logiquement la CIVI au visa de l’article 706-3 du Code de procédure pénale, dans les trois ans de l’infraction si aucun procès n’a eu lieu (un an à partir de la décision pénale rendue, à titre définitif, en cas d’appel et éventuellement de cassation).

Sont ainsi admissibles à la demande en indemnisation les victimes d’un préjudice résultant de faits volontaires présentant le caractère matériel d’une infraction, notamment lorsqu’ils ont entrainé une incapacité permanente ou totale de travail supérieure à un mois, ou lorsque les faits sont prévus et réprimés par les articles 222-22 à 222-30 du Code pénal.

C’est dans ces conditions que les victimes saisissent par requête la C.I.V.I du lieu de leur résidence, ou du lieu de la juridiction pénale d’ores et déjà saisie de l’infraction.

Au moyen de cette saisine, les « requérants » sollicitent prioritairement la « recevabilité » de leur demande, réclamant de surcroit l’organisation d’une expertise médico-légale venant en complément de celle requise par le juge d’instruction, les compétences juridictionnelles étant différentes, ainsi qu’un versement provisionnel.

Victime collatérale ou complice du trafic ?

De manière strictement procédurale, le F.G.T.I (Fonds de Garantie des victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions) est partie à procédure devant la C.I.V.I en sa qualité de régleur d’éventuelles indemnités, avec la prérogative de transmettre ses « observations » écrites en réponse à la requête initiale, ou aux mémoires ultérieurs produits par la victime requérante.

Toutefois, la réticence légendaire du FGTI à toute indemnisation trouve en matière de victimes collatérales par balles un paroxysme incompréhensible, opposant une litanie contestataire immuable :

Il en résulte selon le FGTI la problématique d’un droit à indemnisation devenu sérieusement contestable, assorti de l’impérieux besoin de patienter jusqu’à l’ordonnance de règlement du magistrat instructeur, c’est-à-dire à plusieurs mois sinon années.

Ces moyens d’opposition se maintiennent chroniquement à dessein, y compris face au maintien logique de la victime dans son statut de partie civile longtemps après l’ouverture de l’information judiciaire, les faits étant généralement têtus.

On ne peut que louer le souhait d’une vérité judiciaire qui doit attendre son heure, car elle viendra, sauf à maintenir contre toute vérité factuelle la victime dans une situation matérielle et financière intenable, dans laquelle les faits incriminés l’ont souvent plongée.

Cette dichotomie est d’autant moins recevable que les avocats rédacteurs des requêtes veillent tout particulièrement aux éléments de recevabilité, avec d’évidentes « vérifications préalables » auprès de leurs clients.

Fort heureusement, les ordonnances rendues par les CIVI témoignent souvent d’une autre pensée judiciaire, moins centrée sur la générosité nationale et sa gestion financière, auxquelles les victimes doivent demeurer étrangères.

En cela, les CIVI balayent avec élégance les apparences de fait provisoirement favorables aux intérêts du FGTI, comme les doutes infondés mais commodes sur la probité et l’innocence des victimes collatérales, que celles-ci vivent au demeurant comme une véritable salissure.

On peut les comprendre, et le droit romain le soulignait déjà : il y a une mesure en toute chose !

Frédéric Roussel Cabinet Roussel Avocat au Barreau de Paris (G307) Spécialiste en réparation du dommage corporel https://www.cabinet-roussel.fr/

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