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Les incertitudes des nouvelles règles de congé dans les baux commerciaux, par le cabinet Herbert Smith LLP Paris
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Parution : mardi 21 juillet 2009
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L’enfer est pavé de bonnes intentions. Cette expression ancienne, peut-être plus encore que les usages locaux dont toute référence en matière commerciale a été supprimée par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 ("LME"), est pourtant plus actuelle que jamais.
Le législateur a ainsi modifié les articles L. 145-8, L. 145-9 et L. 145-12 du Code de Commerce, dans le but d’y remplacer l’expression "suivant les usages locaux" par celle plus cartésienne de "pour le dernier jour du trimestre civil".
Dès lors, et conformément à l’article L. 145-9, "les baux de locaux soumis aux dispositions du présent chapitre ne cessent que par l’effet d’un congé donné pour le dernier jour du trimestre civil et au moins six mois à l’avance."
Au regard notamment des travaux parlementaires, cette modification avait, semble-t-il, pour seul objectif de simplifier et unifier le droit en remplaçant les usages locaux par une même règle applicable sur l’ensemble du territoire français et d’outre-mer, correspondant d’ailleurs aux anciens usages locaux de Paris et de l’Orléanais. Elle a toutefois produit un effet collatéral inattendu.
D’aucuns se sont en effet avisés que la lecture littérale du nouveau texte obligeait le preneur à délivrer congé pour le dernier jour d’un trimestre civil, alors même que le terme du bail ou de l’échéance triennale se situe en cours de trimestre.
Jusqu’alors, la pratique et la jurisprudence considéraient pourtant unanimement qu’un congé ne doit être délivré pour le dernier jour du trimestre civil qu’en période de tacite prolongation, en référence à la règle énoncée à l’article 1736 du Code Civil disposant que les baux faits sans écrits, c’est-à-dire à durée indéterminée, ne cessent qu’en observant les délais fixés par l’usage des lieux (les "usages locaux").
Les anciens usages locaux ayant désormais disparu, le secrétariat du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation a fait part de son interprétation des nouveaux textes, dans la réponse ministérielle n° 43709 publiée le 5 mai 2009 au journal officiel de l’assemblée nationale.
Celle-ci indique que le délai de six mois devra "au minimum, toujours être respecté", précisant qu’à ce délai minimum, "s’ajoute le délai nécessaire pour atteindre la fin du trimestre".
La réponse ministérielle ne distinguant pas entre les congés délivrés pour le terme du bail ou ceux notifiés en période de tacite prolongation, il en a été conclu que tous les congés devaient désormais prendre effet le dernier jour d’un trimestre civil.
Si la Cour de cassation venait à confirmer cette lecture littérale, il en résulterait notamment qu’un locataire désireux de mettre fin à son bail pour l’expiration d’une période triennale, survenant par exemple le 4 avril 2010, devrait délivrer avant le 5 octobre 2009 ("au moins six mois à l’avance"), un congé prenant effet le 30 juin 2010 ("pour le dernier jour d’un trimestre civil").
A moins que le congé de ce preneur puisse être délivré jusqu’au 31 décembre 2009, puisqu’il existe un délai de six mois entre cette date et le 30 juin 2010…
A moins encore que le congé de ce preneur, notifié le 28 septembre 2009 ("au moins six mois à l’avance") prenne effet au 31 mars 2010, cette date correspondant également au dernier jour du trimestre civil…
A moins enfin que le preneur décide finalement de former une demande de renouvellement, dont on ne sait pas si elle doit également prendre effet pour le dernier jour d’un trimestre civil.
Il semble toutefois que la Cour suprême n’aille pas dans cette direction, puisque par un arrêt du 23 juin dernier et concernant un congé notifié avant la LME, elle a énoncé que "le terme d’usage ne pouvait être retenu qu’en cas de reconduction tacite du bail". Cet arrêt est certes relatif au droit antérieur à la LME, mais la règle énoncée par la Cour semble pouvoir s’appliquer au droit actuel. Dans cette hypothèse, la référence au "dernier jour du trimestre civil", ayant remplacé la notion d’"usages locaux", ne serait applicable qu’au congé délivré dans le cadre d’une reconduction tacite du bail.
On le voit, les interrogations nées d’un texte destiné à simplifier le droit, ne sont pas encore levées.
Pierre-Nicolas SANSEY et Jean-Marc PEYRON,
avocats Herbert Smith LLP Paris
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