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Le syndic au Maroc face à l’exercice de l’action en comblement du passif, par Mustapha El Baaj
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Parution : mardi 8 septembre 2009
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Le législateur marocain a choisi de confier la mission de déclencher l’action en comblement du passif au syndic. Celui-ci est, d’ailleurs, le seul, en dehors du tribunal, qui peut agir dans ce sens. Ni les créanciers, ni le débiteur, ni le ministère public, ne sont habilités à requérir l’application de cette sanction patrimoniale. Si on admet, qu’en pratique la saisine d’office du tribunal est peu fréquente, le seul maître de l’action en comblement du passif sera, sans doute, le syndic, de telle sorte que la sanction des dirigeants dépendra de sa seule volonté. Or, les qualifications de celui-ci sont inadaptées par rapport à la complexité de cette tache. D’abord parce que la mission de sanctionner relève du rôle du ministère public en tant que représentant de l’état, le syndic ne peut pas se substituer à lui pour incarner la force publique (I). Ensuite parce que la mise en mouvement de l’action en comblement du passif est soumise à un régime juridique exigeant une connaissance approfondie des règles de la responsabilité civile dont le syndic, ayant une formation d’expert comptable ou de greffier, ne peut s’en prévaloir (II).
I- Incohérence entre le statut du syndic et la fonction sanctionnatrice
Le législateur marocain a prévu l’action en comblement du passif en tant que sanction patrimoniale applicable aux dirigeants de l’entreprise en difficulté. On se demande alors si le syndic dispose du statut juridique lui permettant de s’acquitter de cette tache. S’il est vrai que le syndic représente les créanciers, et peut agir à leur place en exerçant les actions nécessaires pour récupérer l’actif de l’entreprise, il n’en n’est pas de même lorsqu’il s’agit de représenter l’ordre public économique. Pour répondre alors à cette question, il faut rechercher la nature juridique de cette action, c’est-à-dire déterminer si elle constitue une simple application des règles de la responsabilité civile, ou bien elle constitue une véritable sanction tendant à réprimer le dirigeant défaillant.
Avant de soulever le problème de la nature juridique de l’action en comblement du passif, il est important de souligner que même si le syndic est habilité à représenter les créanciers de sorte que l’exercice de cette action peut être fondé sur la protection de ceux-ci, le fait de lui attribuer exclusivement le droit de demander son déclenchement nous paraît inapproprié. Les fautes de gestion commises par les dirigeants n’altèrent pas uniquement les intérêts des créanciers, elles portent atteinte également aux intérêts des salariés, des organismes publics de crédit, de l’administration fiscale, de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale et de l’état. Par conséquent, le syndic n’ayant pas la qualité de représenter ces derniers, les droits de ces organismes seront purement et simplement bafoués
S’agissant de la nature juridique de l’action en comblement du passif, nous pensons que celle-ci, bien qu’elle soit assimilable à l’action en responsabilité sur certains points, elle en diffère considérablement quant à sa mise en œuvre et ses effets. L’analyse de sont régime juridique révèlera que celle-ci comprend une connotation de punir beaucoup plus qu’une simple idée de réparation de préjudice.
Tout d’abord l’action en comblement du passif ne peut être introduite que selon des règles de procédure particulière devant le tribunal de la procédure collective. Ensuite, le juge dispose d’un pouvoir souverain, même s’il constate que les conditions sont réunies, il peut condamner ou dire qu’il n’y a pas lieu. Enfin, si le juge prononce une condamnation à l’encontre du dirigeant, il peut mettre à sa charge tout ou partie de l’insuffisance de l’actif même si la faute de gestion commise n’est que l’une des causes de l’insuffisance de l’actif. Le dirigeant peut être condamné à supporter la totalité des dettes sociales peut importe que la faute ne soit à l’origine que d’une partie d’entre elles.
L’action en comblement du passif n’a pas seulement pour but d’indemniser la société, personne morale, des fautes commises par un ou plusieurs dirigeants, elle tend certainement à punir. Cela ressort du fait que le dirigeant fautif n’a pas à supporter seulement la partie de l’insuffisance d’actif qu’il a causé par sa faute, mais il doit payer la totalité des dettes sociales si le juge en décide ainsi. Comment alors expliquer, sur la base du régime commun de la responsabilité civile, que l’indemnisation soit supérieure au préjudice ?
L’article 704 du Code de commerce précise qu’en cas de faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance de l’actif, le tribunal peut décider que cette dernière soit supportée, en tout ou en partie, avec ou sans solidarité par tous les dirigeants ou certains d’entre eux. Il ressort de l’analyse de cet article que la responsabilité du dirigeant n’exige pas la commission d’une faute ayant causé l’insuffisance de l’actif, mais seulement une faute ayant « contribué » à la réalisation de cette insuffisance. Ce qui veut dire que le dirigeant qui commet une faute légère de gestion qui a participé, d’une façon ou d’une autre, à la détérioration de l’actif de l’entreprise peut être condamné, par le tribunal, au paiement de l’ensemble du passif de l’entreprise. Ainsi le paiement de l’insuffisance de l’actif ne se justifie pas seulement par la réparation du dommage, mais également par la punition du dirigeant défaillant. Il est certain que seule une punition peut justifier qu’un dirigeant devrait payer ce qu’il ne lui est pas dû.
En outre, le juge est investi d’un pouvoir souverain concernant la condamnation du dirigeant défaillant. L’article 704 précité emploi la formule suivante : « le tribunal peut… », Ce qui revient à dire que le tribunal de commerce n’est pas tenu de prononcer une condamnation même si les conditions de la responsabilité du dirigeant sont réunies. Ce pouvoir reconnu au tribunal serait inadmissible s’il s’agissait du régime commun de la responsabilité civile. En reconnaissant au tribunal un tel pouvoir, le législateur a entendu confirmer le caractère de sanction attribué à l’action en comblement du passif. Le juge doit apprécier, selon les circonstances de chaque cas d’espèce, l’opportunité du prononcé de cette sanction.
Nous pensons, qu’en dehors, de la volonté de punir ou de sanctionner, aucun régime de responsabilité civile ne peut justifier les mécanismes de l’action en comblement du passif. Certains auteurs ont tenté d’évoque l’émergence d’une responsabilité économique spécifique au régime des procédures collectives. Or celle-ci, en rendant le dirigeant responsable, même des fautes qu’il n’a pas commises, s’éloigne du régime de la responsabilité pour se placer sur le terrain de la sanction.
Nous concluons alors que le statut du syndic ne lui permet pas de mettre en mouvement l’action en comblement de passif, en tant que sanction. Seul l’état, incarnant la puissance publique, peut procéder, à travers ses représentants, à l’exercice d’une telle tâche. On ne voit pas comment le législateur marocain a dû exclure le ministère public, représentant officiel de l’état, du déclenchement de cette action.
S’il est vrai que le syndic, en France, avait, sous le régime de la loi du 13 juillet 1967, le droit de demander le comblement du passif de l’entreprise par les dirigeants fautifs. Son action, était, toutefois, fondée sur le régime commun de la responsabilité civile. Il était donc logique que le syndic, en tant que représentant des créanciers, puissent agir à leur place pour reconstituer l’actif de l’entreprise. Cependant, dès que le législateur français à instauré un régime spécifique de responsabilité à l’encontre des dirigeants soumis à une procédure collective, le ministère public a été reconnu comme ayant le droit de déclencher l’action en comblement du passif.
II- Disparité entre la qualification professionnelle du syndic et l’exercice de l’action en comblement du passif
En dehors du fait que le syndic ne possède pas le statut juridique pour représenter l’état et l’ordre public, il ne dispose pas également des qualifications juridiques requises pour mettre en mouvement l’action en comblement du passif. Le déclenchement et l’exercice de celle-ci exigent une connaissance approfondie des règles juridiques. Le syndic doit, tout d’abord connaître les conditions de la mise en mouvement de cette action, il doit, ensuite, établir la preuve de son existence.
Pour ce qui est des conditions, nous pensons que le syndic, greffier ou expert comptable, serait incapable de distinguer entre le dirigeant de droit et le dirigeant de fait, et d’établir le lien de causalité entre la faute de gestion et l’insuffisance de l’actif. Les mécanismes de la mise en jeu de la responsabilité des dirigeants, dans le cadre des procédures collectives, commandent une connaissance des outils de travail que seuls les juristes peuvent posséder. Ainsi, il serait difficile, voire impossible, en pratique, que le syndic puisse détecter l’existence de dirigeants de fait, de déterminer la notion juridique de la faute de gestion ou de mettre en application les textes juridiques réglementant la matière.
Il est certain que pour être recevable, la demande du syndic doit être fondée en fait et en droit. Or il serait inconcevable de demander à un syndic, n’ayant pas une formation juridique en tant que juriste, de déterminer les conditions de forme et de fond requises par la loi pour le déclenchement de l’action en comblement du passif.
Concernant les moyens de preuve, il ne fait aucun doute que le syndic, en tant que demandeur à l’instance, doit établir la preuve de l’existence d’une faute commise par le dirigeant ayant contribué à l’insuffisance de l’actif. Ce qui suppose que le syndic doit être présent à l’audience, et doit expliquer, preuves à l’appui, au tribunal la nécessité de prononcer une sanction à l’encontre du dirigeant défaillant. Mais, afin de s’acquitter d’une telle tache, le syndic devrait posséder une connaissance en matière de la procédure et de la technique de plaidoirie. Or celui-ci n’en possède pas, ce qui veut dire, qu’en pratique, le recours à cette action par le syndic serait rare, sinon inexistant.
En plus de l’insuffisance de ses qualifications juridiques et de l’inadéquation de son statut, le syndic, au Maroc, n’est pas un professionnel spécialisé en matière de procédures collectives. L’exercice de ses fonctions, en tant que syndic, constitue une activité accessoire à son activité principale. Qu’il soit expert comptable ou greffier, le syndic ne dispose pas de temps suffisant pour exercer les multiples pouvoirs que le législateur lui attribue en matière de procédures collectives, et notamment le déclenchement et l’exercice de l’action en comblement du passif.
Dr : Mustapha El Baaj
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