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Licenciement pour motif personnel : la portée des irrégularités, par Olivier Meyer, Avocat
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Parution : jeudi 3 décembre 2009
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Une analyse de la jurisprudence relative aux irrégularités de la procédure de licenciement fait ressortir l’intérêt de recourir, en droit du travail, à la distinction classique en procédure entre irrégularité de forme et irrégularité de fond.
La présente étude est volontairement limitée à l’hypothèse du licenciement pour motif personnel. Certaines irrégularités qui sont propres au licenciement pour motif économique, ne seront donc pas abordées.
A - Exemples d’irrégularités de forme
Il existe de nombreuses hypothèses d’irrégularités de la procédure de licenciement dont le point commun réside dans le fait qu’elles donnent lieu à réparation par l’octroi de dommages et intérêts.
Dans un arrêt du 13 mai 2009, la Cour de cassation a posé la règle générale gouvernant ces irrégularités :
« Toute irrégularité de procédure entraîne pour le salarié un préjudice que l’employeur doit réparer et qu’il appartient au juge d’évaluer. »
Ces irrégularités peuvent valablement être qualifiées d’irrégularités de forme, dans la mesure où elles n’affectent pas la validité du licenciement.
L’irrégularité de forme la plus flagrante est l’absence de convocation du salarié à l’entretien préalable prévu par l’article L. 1232 - 2 du Code du travail.
Bien que la solution soit aussi discutable que compréhensible, la Cour de cassation considère invariablement qu’il ne s’agit que d’une irrégularité de forme, qui ne vicie pas le licenciement.
Dans le même sens, le fait pour l’employeur de ne pas énoncer, lors de l’entretien préalable, l’un des griefs mentionné par la suite dans la lettre de licenciement caractérise également une irrégularité de forme :
« La circonstance que le grief énoncé dans la lettre de licenciement n’a pas été indiqué au salarié lors de l’entretien préalable caractérise une irrégularité de forme. » (Cass. Soc., 28 juin 2000)
D’où l’importance pour le salarié de pouvoir se faire assister lors de cet entretien, puisque la plupart du temps, seul le compte-rendu établi par le Conseiller du salarié ou le délégué ayant assisté à l’entretien permettra de prouver cette irrégularité.
Ce rappel permet d’évoquer une autre irrégularité, fréquemment rencontré dans la pratique, portant précisément sur cette possibilité d’assistance du salarié. Cette irrégularité se décline en plusieurs hypothèses :
1) La lettre de convocation à l’entretien préalable ne mentionne pas la possibilité, pour le salarié, de se faire assister par un membre du personnel et, le cas échéant, par un Conseiller du salarié ;
2) La lettre de convocation mentionne que le salarié peut se faire assister par un Conseiller du salarié, alors que compte-tenu de l’existence d’institution représentatives du personnel, seule l’assistance d’un membre du personnel est envisagée par la loi ; (Cass. Soc., 19 novembre 2008)
3) La lettre de convocation ne précise pas le lieu où la liste des Conseillers du salarié peut être consultée par le salarié convoqué. Il est nécessaire que les deux adresses de la mairie du domicile du salarié et de l’Inspection du travail compétente soit mentionnée ; (Cass. Soc., 21 janvier 2009)
L’absence d’autres mentions est également de nature à vicier la procédure. Tel est le cas, par exemple, de l’absence d’indication du lieu de l’entretien préalable, ou encore lorsque la lettre de convocation ne mentionne pas, en matière disciplinaire, qu’un licenciement est envisagé.
La procédure de licenciement peut également être affectée d’une irrégularité lorsque l’employeur se fait assister par une personne n’appartenant pas au personnel de l’entreprise (Cass. Soc., 28 octobre 2009), ou encore lorsqu’il se fait assister par plusieurs personnes, l’entretien préalable étant alors détourné de son objet. (Cass. Soc., 11 février 2009 : quatre personnes accompagnaient l’employeur)
Toujours autour de cet entretien, le non respect du délai de cinq jours ouvrables entre la première présentation de la lettre de convocation à l’entretien préalable et la date prévue pour l’entretien caractérise une irrégularité de forme.
Il est utile d’indiquer que tout n’est pas pour autant de nature à rendre la procédure de licenciement irrégulière.
Ainsi, le fait de ne pas envoyer la lettre de licenciement en recommandé avec avis de réception ne constitue pas une irrégularité, la Cour de cassation n’y voyant qu’un moyen de prouver la date du licenciement, qui n’a donc d’importance - capitale ! - que lorsqu’une transaction a été régularisée entre l’employeur et le salarié licencié.
De même, si la convocation du salarié en dehors de son temps de travail ouvre droit à la réparation du préjudice subi, cela ne constitue pas pour autant une irrégularité.
Il n’en demeure pas moins que la palette est large, et que la réparation à laquelle peut prétendre le salarié incline à analyser dans le détail la manière dont la procédure de licenciement a été conduite.
B - La réparation des irrégularités de forme
Il est utile de s’arrêter sur cette question, dans la mesure où le fondement juridique de la demande varie.
Lorsque le salarié avait plus de deux ans d’ancienneté et travaillait dans une entreprise employant plus de 11 salariés, l’irrégularité donne lieu à la condamnation de l’employeur au versement d’une indemnité plafonnée à l’équivalent d’un mois de salaire brut.
Il s’agit des dispositions de l’article L. 1235 - 2 du Code du travail, qui ne s’appliquent cependant que dans le cadre d’un licenciement justifié.
Si le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, l’irrégularité ne peut pas faire l’objet d’une indemnisation distincte, laquelle sera nécessairement intégrée dans les dommages et intérêts alloués pour réparer la caractère injustifié du licenciement.
Lorsque le salarié avait moins de deux ans d’ancienneté, ou travaillait dans une entreprise employant moins de 11 salariés, l’article L. 1235 - 5 du Code du travail prévoit que l’indemnité évoquée précédemment, plafonnée à l’équivalent d’un mois de salaire, n’est due qu’en cas de méconnaissance des règles concernant la possibilité, pour le salarié, d’être assisté lors de l’entretien préalable.
Cela ne prive cependant pas le salarié d’obtenir également la réparation de toute autre irrégularité, que ce soit par l’octroi d’une somme distincte ou par inclusion dans les dommages et intérêts pour licenciement abusif. (Cass. Soc., 28 janvier 1998)
A prendre le texte au mot, une telle indemnisation ne serait envisageable que si le licenciement est par ailleurs abusif. Telle n’est cependant pas la pratique, qui admet la réparation de l’irrégularité tout en jugeant dans le même temps justifié le licenciement.
Enfin, s’agissant du cas particulier de la nullité du licenciement, la Cour de cassation considère que « le principe de la réparation intégrale du préjudice impose que l’irrégularité de la procédure de licenciement soit réparée par le juge, soit par une indemnité distincte, soit par une somme comprise dans l’évaluation globale du préjudice résultant de la nullité du licenciement ». (Cass. Soc., 19 novembre 2008)
A - Exemples d’irrégularités de fond
Outre les irrégularités de forme, il est certaines irrégularités qui, à raison des conséquences qui y sont attachées, peuvent être qualifiées d’irrégularités de fond. Il s’agit de toutes les irrégularités qui privent le licenciement de cause réelle et sérieuse.
La sanction de ces règles est donc particulièrement rude pour l’employeur qui les a méconnues, puisque dans une telle hypothèse, le licenciement se trouve illégitime, sans qu’il soit même nécessaire de rechercher si, quant au fond, le licenciement était justifié.
A cet égard, il est une règle jurisprudentielle bien établie, véritable principe cardinal de la procédure prud’homale, selon laquelle la lettre de licenciement fixe les limites du litige.
Si cette règle a pour conséquence première d’interdire à l’employeur de se prévaloir d’un motif, fut-il établi, qui ne serait pas mentionné dans la lettre de licenciement, elle est également susceptible de vicier le licenciement en lui-même et de le priver de cause réelle et sérieuse.
Ainsi, l’exigence d’une lettre de licenciement motivée rend immédiatement abusif un licenciement verbal, pour autant que le salarié soit en mesure d’en démontrer l’existence.
Une motivation imprécise équivaut également à une absence de motif qui prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Cette exigence de précision est cependant à géométrie variable, puisque si en matière disciplinaire, la lettre de licenciement doit faire état de faits précis et matériellement vérifiables (Cass. Soc., 5 juillet 2006), la Cour de cassation considère curieusement que la seule mention de l’insuffisance professionnelle constitue le motif précis exigé par la loi. (Cass. Soc., 16 juin 2004)
En d’autres matières, la Cour de cassation exige que la lettre de licenciement comporte des éléments précis. Le cas typique est celui du licenciement d’un salarié absent pour cause de maladie : la lettre de licenciement doit faire à la fois état des perturbations causées par l’absence prolongée ou répétée du salarié, et de la nécessité de procéder à son remplacement.
Si l’une de ces deux mentions - le plus souvent la deuxième - fait défaut, le licenciement sera privé de cause réelle et sérieuse sans que l’employeur soit admis à rapporter la preuve qu’il y a bien eu remplacement définitif du salarié licencié.
Outre la précision, la lettre de licenciement doit également faire état d’un motif exact. (Cass. Soc., 1er décembre 2004)
Une autre irrégularité de fond, particulière et dont la sanction est rigoureuse, concerne l’hypothèse des licenciements pour inaptitude physique.
A défaut d’être constatée conformément aux règles contraignantes posées par le Code du travail, le licenciement du salarié inapte est frappé de nullité.
L’exemple le plus connu reste celui de l’inaptitude constatée après deux visites médicales espacées de moins de 15 jours.
Enfin, la Cour de cassation considère depuis de nombreuses années déjà que les conventions collectives peuvent prévoir des aménagements à la procédure de licenciement prévue par la loi.
Nécessairement plus favorables aux salariés - en tout cas à l’heure actuelle encore -, ces aménagements constituent des garanties de fond dont la méconnaissance prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
L’hypothèse d’école est celle où la convention collective prévoit qu’en cas de procédure de licenciement, souvent en matière disciplinaire, le salarié peut ou doit passer devant un organisme spécifique qui devra rendre un avis sur la mesure envisagée.
A défaut de consultation d’un tel organisme, ou dans le cas où la procédure de consultation serait entachée de quelque irrégularité, le licenciement en perdrait sa légitimité. (Cass. Soc., 16 septembre 2008)
Il est intéressant de noter qu’en la matière, la Cour de cassation ne fait pas dans la dentelle, et que tout aménagement, aussi infime soit-il, est susceptible d’être ainsi sanctionné.
Ainsi la convention collective du personnel des organismes mutualistes prévoit que la lettre de licenciement pour faute grave ou lourde doit être signée par le président du conseil d’administration et par le directeur général.
Le défaut de l’une de ces signatures prive le licenciement de cause réelle et sérieuse. (Cass. Soc., 28 février 2007)
Cette qualification de garantie de fond, avec la sanction qui l’accompagne, vaut non seulement pour les conventions collectives, mais pour tout acte valable : règlement intérieur, contrat de travail, statuts d’une association…
Ainsi, l’obligation préalable d’information des délégués du personnel sur le licenciement envisagé, figurant dans les statuts d’une association, a été qualifiée de garantie de fond dont la méconnaissance prive le licenciement de cause réelle et sérieuse. (Cass. Soc., 1er juillet 2009)
De même, le règlement intérieur qui prévoit que le salarié puisse consulter son dossier disciplinaire avant tout prononcé d’une sanction prévoit-il une garantie de fond, dont la violation rend abusif le licenciement.
Classique, enfin, l’exigence d’une ou deux sanctions antérieures pour permettre un licenciement, prévu par nombre de conventions collectives ou de règlements intérieurs.
B - Quelle justification ?
L’existence de ces irrégularités de fond, qui pour n’être que des irrégularités n’en emportent pas moins sanction du licenciement, est un fait que l’on ne peut que constater.
Si elles permettent avec une relative facilité de contester avec succès un licenciement, l’on sent bien que les juges du fond sont parfois réticents à accueillir un tel moyen de contestation. Ainsi, par exemple, un licenciement pour faute grave disqualifié en licenciement pour faute simple ne se verra pas appliquer la disposition conventionnelle qui exige deux sanctions préalables avant tout licenciement disciplinaire pour faute autre que grave ou lourde.
Les employeurs, également, ont le plus grand mal à admettre leur condamnation pour ce qu’ils ne considèrent que comme une simple question de forme.
Une certaine légitimité peut cependant être trouvée dans l’existence de ces irrégularités de fond.
En effet, ces irrégularités sont schématiquement, en matière de licenciement pour motif personnel, au nombre de trois :
1) La motivation de la lettre de licenciement ;
2) Les garanties procédurales supplémentaires ;
3) Les règles de constatation de l’inaptitude.
La dernière hypothèse, avec la rigueur absolue de la jurisprudence, se comprend aisément en regard de la prohibition des discriminations liées à l’état de santé ou au handicap.
La seconde hypothèse ne devrait pas poser de difficultés majeures non plus, puisque dans un tel cas, les partenaires sociaux ont convenus d’offrir aux salariés des garanties supplémentaires venant renforcer celles prévues par la loi.
Les sanctionner au même titre que les irrégularités de forme, par le seul octroi de dommages et intérêts, serait faire fi du fait qu’elles ne sont pas imposées par la loi, mais librement négociées - et donc acceptées - par les groupements d’employeurs.
C’est sans doute là qu’il faut rechercher la raison de ce qui pourrait apparaître comme une incohérence, à savoir que la privation de l’entretien préalable prévu par la loi n’est qu’une irrégularité de forme, alors que la privation d’une garantie de fond similaire telle que le second entretien prévu pour les cadres par la convention collective des entreprises de commerce de fournitures industrielles, constitue une irrégularité de fond privant le licenciement de cause réelle et sérieuse. (Cas. Soc., 27 mars 2007)
Enfin, le principe selon lequel la lettre de licenciement fixe les limites du litige ne peut être comprise, semble-t-il, que si l’on admet que l’employeur dispose d’un pouvoir exorbitant du droit commun, analogue à certains égards au privilège du préalable dont jouit l’administration : celui de priver une personne de sa source de subsistance par une décision dont l’efficacité est immédiate et la légitimité présumée.
L’exigence de motivation de la lettre de licenciement, et son corollaire qui interdit à l’employeur de s’extraire de cette motivation pour défendre la mesure prise, peut être vue comme la contrepartie de ce pouvoir.
En somme, la décision de l’employeur n’est légitime, avant toute analyse sur le fond, que si elle est matérialisée par la lettre de licenciement, et dans les strictes limites de cette matérialisation.
La logique, sans doute, voudrait qu’une décision de licenciement qui ne serait pas, ou mal, matérialisée se trouverait privée d’existence, rendant le licenciement nul.
Tel n’est pas l’état du droit, tant il est vrai que l’on se trouve là au cœur de ce qui fait la particularité du droit du licenciement, à savoir la conciliation entre la protection du salarié licencié et l’intérêt de l’entreprise, autrement dit et au final, la protection des salariés non licenciés…
Olivier MEYER • Avocat - Droit du travail
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