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Une société minière, peut-elle être interdite d’exporter ses produits miniers parce que n’ayant pas cultivé un champs de maïs de 500 hectares ? Par Bambi Kabashi, Avocat
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Parution : lundi 8 février 2010
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En ma qualité de chercheur en droit minier en RD du Congo, j’ai reçu beaucoup d’interrogations de la part du public congolais au sujet de l’exportation des produits miniers conditionnée par la culture d’un champ de maïs de 500 hectares.
Je n’ai pas voulu toute suite donner ma réponse avant que je ne fasse quelques recherches là-dessus. Ma démarche est donc purement scientifique, et n’a rien d’intention politicienne. Les hommes passent les institutions restent dit-on, il est toujours important de faire des analyses scientifiques autour de certains sujets importants afin de léguer dans la mesure du possible quelques écrits à la progéniture. Les latins n’avaient pas tort en disant autrefois que « Scripta mena, verba volant » comme pour dire, les paroles s’envolent, les écrits restent.
En effet, la déclaration universelle des droits de l’homme énonce en son article 2 que : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté. »
La Constitution de la RDC du 18 Février 2006 affirme son attachement à ladite charte dans son exposé des motifs en ces termes : « Le constituant tient à réaffirmer l’attachement de la République Démocratique du Congo aux droits humains et aux libertés fondamentales tels que proclamés par les instruments juridiques internationaux auxquels elle a adhéré. Ainsi, a-t-il intégré ces droits et libertés dans le corps même de la constitution. »
Ceci revient à dire que la République Démocratique du Congo est un pays respectueux des normes qui régissent les instruments internationaux et par surcroit sa constitution.
Pour revenir à notre préoccupation, qui est celle de savoir si une autorité politico-administrative peut interdire l’exportation des minerais sans la preuve de l’existence d’un champ de cinq cent hectares de maïs , nous avons préféré avant à cette question de faire recours aux textes afin de les faire parler.
Il est important de relever que le gouverneur en tant qu’autorité politico- administrative, tire son pouvoir de la constitution qui organise les pouvoirs reconnus aux provinces et à leurs animateurs. La combinaison des articles 3, 195, 198 et suivants, permettant de comprendre en grandes lignes les attributions du gouverneur de province.
L’article 198, alinéa 1er de la constitution dispose que : « le gouvernement provincial est composé d’un gouverneur, d’un vice-gouverneur et des ministres provinciaux ».
L’article 203 de la même constitution énonce quant à lui en son point 16 que : « sans préjudice des autres dispositions de la présente constitution, les matières suivantes sont de la compétence concurrente du pouvoir central et des provinces :{}Les droits fonciers et miniers, l’aménagement du territoire, le régime des eaux et forêts. »
Cependant, l’article 204 de la constitution qui organise les matières qui sont de la compétence exclusive des provinces reconnait à son point 19 au gouverneur le pouvoir de « L’élaboration des programmes miniers, minéralogiques, industriels, énergétiques d’intérêt provincial et leur exécution conformément aux normes générales du planning national. »
Nulle part dans la constitution il est reconnu au Gouverneur de Province le pouvoir de prendre des décisions qui rentrent dans le cadre de la législation nationale en l’occurrence le Code Minier. En tant qu’autorité politico-administrative constitutionnellement, il ne peut pas légiférer en matière des mines car il ne lui est pas reconnu cette qualité. En matière administrative la compétence est de stricte attribution.
Ce bref recours à la loi mère nous permet de comprendre les attributions reconnues au gouverneur aux matières qui touchent aux mines. Il peut donc valablement réglementer le régime agricole c’est-à-dire prendre des mesures importantes en province pour améliorer la qualité de l’agriculture en définissant par exemple certains objectifs à atteindre en matière agricole.
• Les Sociétés Minières
L’on ne peut parler d’une société minière sans donner la définition d’une société de manière générale. En parcourant les lois coordonnées sur les sociétés, il se révèle que le législateur Congolais n’ a pas défini expresis verbis ce que l’on peut entendre par société.
En droit Congolais, « la société » se définit différemment selon qu’elle est formée par les seuls particuliers, par les particuliers et l’Etat, ou selon qu’elle a été créée par l’Etat. Il y a donc pluralité des définitions de la société.
John Van Damme a eu à définir la société en ces termes : « Ce contrat est, en droit Congolais, un contrat innomé…. Le contrat de société est au Congo au stade où il était aux époques les plus lointaines. Il est pour essence une opération dans laquelle des parties associées mettent quelque chose dans la caisse commune avec l’intention d’en partager les bénéfices mais aussi les pertes. »
Nous n’allons pas nous perdre dans les multiples considérations doctrinales développées autour de la définition. Ce qui est important de retenir c’est qu’une société est une entité économique formée par les sujets de droit indiqués dans la loi selon le cas animés par l’affectio societatis, qui mettent en commun des fonds en vue de l’exploitation d’une activité économique en partageant les bénéfices ainsi que les pertes.
L’existence d’une société nécessite 3 principales conditions notamment :
➢ Les associés (affectio societatis)
➢ Le capital
➢ L’objet social
• L’objet Social
La troisième condition de fond exigée pour la validité d’un contrat quelconque, c’est la licéité de son objet, cette condition va retenir notre attention particulière au regard de notre étude. Dans le langage courant du droit des sociétés, le mot « objet » du contrat de société, revêt une double signification : - d’une part, selon le droit commun des contrats et particulièrement l’article 25 du code civil livre III, l’objet est la prestation que tout associé en tant que partie contractante s’oblige à fournir ; par exemple, l’objet de l’obligation du vendeur, c’est la livraison de la chose vendue, étant entendu que le transfert de propriété s’effectue par le seul effet du contrant lorsque vendu est immeuble, et par enregistrement lorsque le bien objet de la vente, est un immeuble.
Mais ce qui nous intéresse c’est le sens du mot objet en matière de contrat de société pour nous permettre de mieux comprendre notre étude.
Le second sens de l’objet du moins en matière de contrat de société, est que le mot désigne l’activité ou but poursuivi par la société ; et c’est suivant cette seconde acceptation que l’objet social se confond avec la cause du contrat de société et c’est cet objet social dont l’article 5 alinéa 4 du décret du 23 Juin 1960 tel que complété par le décret loi du 19 Septembre 1965 fait une des mentions obligatoires que doit contenir les statuts ou l’extrait de ceux-ci à déposer au greffe compétent du tribunal de grande instance dans le ressort duquel la société a son siège social, et à publier au journal officiel.
Nous agréons cette acception car elle concorde parfaitement avec l’objet de notre étude. En effet, une société lorsqu’elle est à la phase de sa constitution, elle doit déterminer son objet social qui doit impérativement figurer dans les statuts ou l’extrait qui devra être déposé au greffe du tribunal du lieu où est situé le siège social de la société.
Ceci a pour conséquence légale que la société ne peut exercer que l’activité renseignée dans les statuts comme son objet social.
Par crainte de nous écarter de notre étude, nous n’allons pas analyser de manière approfondie toutes les conditions requises pour la constitution d’une société, mais nous allons mettre un accent particulier sur les éléments qui figurent dans les statuts de la société lors de son immatriculation pour enfin en tirer les conséquences de droit qui s’imposent.
En matière des sociétés, l’immatriculation, c’est à la fois l’accouchement (la société, jusque là en gestation, accède à la vie juridique) et la déclaration à l’Etat civil à ceci près que la naissance résulte de la déclaration qu’il en est faite.
La pratique judicaire devenue aujourd’hui une véritable jurisprudence Congolaise est que chaque fois qu’une société intente une action en justice on lui exige de produire ses actes constitutifs et on vérifie si elle a rempli toutes les formalités requises pour la constitution légale d’une société.
Ces exigences ne peuvent être vérifiées avec certitude qu’au greffe du registre du commerce du tribunal de grande instance du siège social de la société concernée.
C’est ainsi qu’il a été jugé que dans le cas où la société poursuivante n’a pas déposé ses actes constitutifs au greffe du tribunal de grande instance compétent de son ressort, pareille société est incapable d’ester en justice.
Nous sommes d’avis du professeur LUKOMBE lorsqu’en faisant un commentaire sur la décision précitée, il soutient qu’en pareille situation « La société n’a pas de personnalité morale dès l’instant où les formalités de constitution ont eu lieu, pour la SCS, la SNC et la SPRL, or poursuit-il, le point culminant de constitution de société est le dépôt des statuts au greffe… »
Au regard de ce qui précède, il y a lieu de comprendre qu’une société est appelée « société minière » lorsque son objet social consiste en la recherche et/ou l’exploitation minière. Ceci revient à dire que pour cette société l’objet social qui figure dans les statuts sociaux déposés au greffe du tribunal de grande instance du lieu du siège social c’est l’exploitation ou la recherche minière. Du point de vue légal, cette société ne peut exercer que les activités qui figurent dans les statuts sociaux déposés au greffe. Exercer une activité qui n’est pas renseignée dans les statuts constitutifs de la société signifie que cette société se décide de violer la loi et c’est punissable. Dès lors il devient important de poser la question de savoir si le défaut de la culture du champ de maïs par les sociétés minières ne peut pas leur donner le pouvoir d’exporter leurs produits miniers.
Une société minière peut-elle cultiver un champ sans violer la loi ?
La réponse à cette question peut être trouvée dans les considérations ci-haut développées.
En effet, au regard de la loi une société minière dont l’objet social est la recherche ou l’exploitation minière ne peut s’adonner aux travaux champêtres sans violer la loi car son objet social qui est contenu dans ses actes constitutifs déposés au greffe du commerce lors de sa constitution ne reprend pas l’agriculture comme activité de la société. Si donc pareille société procède à l’exercice des activités du champ en dehors de son objet social se rend coupable des infractions prévues par l’ordonnance n°79-025 du 07 février 1979 qui institue le nouveau registre du commerce.
Le Code Minier ne réglemente pas la culture d’un champ de maïs de 500 hectares par une société minière.
Nous avons essayé de parcourir le code minier, le règlement minier ainsi que le code des investissements, en rapport avec cette question, nulle part ne ressort pareille obligation aux opérateurs miniers de cultiver un champ. Cela les écarterait même de leur objet parce que la loi ne peut pas se contredire elle-même.
Car cultiver un champ de 500 hectares nécessite non seulement un grand budget mais aussi exige un détournement de la société de son objet social une démarche purement illégale.
S’il peut être possible pour la société de cultiver un champ de 500 hectares ça sera avec quel budget ?
Si le budget peut être trouvé c’est avec quel personnel ? La société ne sera-t-elle pas contrainte d’esquinter son personnel originel pour recruter une nouvelle main d’œuvre spécialisée dans l’agriculture et mettre dehors une partie de son personnel naturel alors que son objet social c’est l’exploitation des mines ? Après la récolte, la société va-t-elle commercialiser elle-même les produits sur base de son permis d’exploitation minière ou doit-elle prendre une inscription complémentaire au registre du commerce pour insérer la vente de maïs sur son objet social ? Quelle sera l’attitude des investisseurs qui sont sur le point de venir investir dans les mines en République Démocratique du Congo par rapport à cette question ? Doivent-elles intégrer le champ de maïs dans l’investissement minier et ce sur base de quelles dispositions légales ?
On pourrait comprendre si ce projet d’arrêté était soumis à l’assemblée nationale ou provinciale qui pouvaient peut être prendre un édit ou une autre loi dans ce sens. Rien n’a été fait, c’est pourquoi nous estimons en ce qui nous concerne qu’en vertu du principe du parallélisme de forme il n’y a que l’autorité qui a pris régulièrement une loi ou une décision qui peut y revenir dans les formes prescrites par la loi elle même. Dans l’espèce, le code minier ayant été élaboré par le parlement national et promulgué par le chef de l’Etat il n’y a que ces autorités qui peuvent sous peine d’inconstitutionnalité revenir sur ce code dans les mêmes formes qui ont présidé à son élaboration et à sa promulgation. En vertu du principe de la légalité des délits et des peines, toute sanction, même civile ne peut trouver de fondement que dans une loi prise régulièrement.
D’aucuns pourront peut être recourir à ce qui se faisait à la Gécamines quand cette entreprise exploitait d’énormes étendues de champs. La situation de cette entreprise cadrait avec son objet social car au-delà des champs il y avait aussi l’éducation avec la construction des meilleures écoles pour ses agents et sans oublier les hôpitaux pour soigner ses travailleurs.
En conclusion, nous disons que la mesure d’interdire les entreprises minières d’exporter leurs produits pour lesquels elles paient régulièrement les taxes à l’Etat en leur imposant la culture des champs de maïs ou la distribution des engrais chimiques en dehors de leur objet social est illégale et voir anticonstitutionnelle et contraire à l’esprit même de l’actuel Code Minier qui se veut un code incitateur des investissements afin d’attirer les capitaux frais dont le pays a besoin pour sa reconstruction.
Telle est notre modeste analyse par rapport aux différentes données scientifiques à notre disposition par rapport à cette question. Nous restons donc ouvert à toute réaction scientifique pour le triomphe de la science.
Maître BAMBI KABASHI
Avocat au Barreau de Lubumbashi en RDC et Chercheur en Droit Minier
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