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Le référé contractuel : comment l’utiliser ? Par François Bleykasten, Avocat
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Parution : vendredi 5 mars 2010
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Transposé de la directive « recours » n° 2007/66/CE, par l’ordonnance du 7 mai 2009, le référé contractuel vient compléter les recours qui peuvent être engagés dans le cadre d’une procédure de passation par les pouvoirs adjudicateurs ou les entités adjudicatrices, de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, ou la délégation d’un service public.
1- Présentation du recours.
a) Il ne se substitue, ni ne se confond, avec le référé précontractuel des articles L 551-1 à L 551-12 du code de justice administratif.
Le référé contractuel s’envisage dans la continuité du référé précontractuel.
Toutefois, afin d’éviter un recours abusif au référé contractuel en cas d’échec d’un référé précontractuel, le législateur a interdit l’exercice du référé contractuel au requérant qui aurait usé du référé précontractuel, à condition que le pouvoir adjudicateur ait respecté l’obligation de ne pas signer le contrat durant la procédure de référé précontractuel et se soit conformé à la décision rendue dans ce cadre (article L 551-14 du code de justice administrative).
b) Comme le référé précontractuel, ce nouveau recours permet de remédier aux manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence.
Mais il permet également de remédier à une violation du délai d’attente (clause de « stand still » de l’article 80 du code des marchés publics), ou de la suspension de la signature du contrat liée à la saisine du juge du référé précontractuel. Il faut à ce sujet noter que la même ordonnance du 7 mai 2009 a modifié l’article L 551-4 du code de justice administratif concernant le référé précontractuel. Ce texte prévoit désormais qu’en cas de référé précontractuel, le contrat ne peut-être signé à compter de la saisine du tribunal et jusqu’à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision intervenue sur ce recours, alors qu’auparavant, le référé précontractuel n’avait pas d’effet suspensif ; si le contrat était signé avant que le juge ne statue, la requête devenait irrecevable.
c) Les personnes pouvant exercer le référé contractuel sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué. De même, le préfet peut saisir la juridiction administrative, pour les contrats soumis à son contrôle de légalité.
d) Les délais pour exercer ce recours sont les suivants (article R 551-7)
au plus tard le trente et unième jour suivant la publication d’un avis d’attribution du contrat ou, pour les marchés fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique, suivant la notification de la conclusion du contrat.
en l’absence de publication d’avis ou de notification de conclusion du contrat, le recours doit être exercé au plus tard dans un délai de six mois à compter du lendemain du jour de la conclusion du contrat.
e) Il faut relever une originalité dans le régime de ce recours, qui n’est pas sans incidence sur les « petits » marchés (moins de 20.000 € HT), pour lesquels aucune publicité préalable n’est en principe obligatoire (article 28 du code des marchés).
Si le pouvoir adjudicateur décide de publier son intention de conclure un tel contrat et observe un délai de 11 jours à compter de cette publication, le référé contractuel ne pourra plus être exercé contre ce contrat (article L 551-15 du code de justice administrative).
Il y a là une incitation à donner à ce type de marchés une certaine publicité, avec à la clé un risque procédural moindre.
En cas d’accomplissement de cette formalité, ce « bénéfice » est étendu :
aux marchés soumis à une publicité préalable mais pour lesquels un avis d’attribution aux candidats non retenus n’est pas obligatoire (marchés à procédure adaptée de l’article 28 du code des marchés publics ; marchés de services non prioritaires – article 30 du code des marchés- dont le montant est inférieur à 193.000 € HT) ;
aux contrats fondés sur un accord-cadre ou système d’acquisition dynamique, les délais à observer étant quelque peu différents.
A vrai dire, ce dispositif suscite pour l’instant plusieurs interrogations : quel doit être le contenu de cette publication (objet du marché, montant, conditions… ?) ; quelle conduite le pouvoir adjudicateur doit-il tenir si cette publication génère des offres concurrentes (ouverture d’une procédure d’attribution, sous quelle forme… ?).
A défaut d’intervention du pouvoir législatif ou réglementaire, il reviendra à la pratique et à la jurisprudence de définir les contours de cette possibilité.
f) Les demandes de dommages et intérêts par le requérant ne sont pas recevables dans le cadre du référé contractuel, ce qui est logique puisque la procédure a pour but de stopper le processus d’attribution ou de passation du marché, pour permettre au requérant lésé d’y prendre part.
En ce sens, le recours initié par la jurisprudence du Conseil d’Etat dans l’arrêt dit « Tropic Travaux » (CE Ass. 16 juillet 2007 Sté Tropic Travaux Signalisation n° 291545) conserve tout son intérêt, puisqu’il s’agit d’un recours de plein contentieux qui permet notamment l’obtention de dommages et intérêts pour le requérant lésé par un manquement dans le cadre d’une procédure d’attribution de marché.
Le référé contractuel ne met donc pas fin à la jurisprudence « Tropic Travaux » ; il en limitera peut-être un peu l’intérêt s’il est exercé avant que le marché ne soit exécuté ou que son exécution ne soit trop avancée, car comme on va le voir, le juge à le pouvoir, dans la cadre du référé contractuel, de suspendre un contrat en cours d’exécution et d’annuler un contrat conclu.
2- Les pouvoirs du juge des référés contractuels.
Ils sont, comme dans le référé précontractuel, particulièrement étendus.
a) Relevons tout d’abord que le juge saisi d’un référé contractuel doit en principe se prononcer dans un délai d’un mois à compter de sa saisine (article R 551-9 du code de justice administrative)
Ce délai n’est pas impératif ou sanctionné, mais la pratique montre que les délais ainsi fixés sont généralement observés, sauf particularités du dossier.
b) L’article L 551-17 autorise le juge à suspendre l’exécution du contrat pendant la durée de l’instance.
Ceci est de nature à éviter que la procédure ne perde son intérêt parce que le contrat serait exécuté à l’issue de celle-ci, ou trop avancé pour pouvoir être réattribué. L’objectif, rappelons-le, est de permettre au requérant de prendre part à la procédure d’attribution.
Toutefois, si cette suspension lèserait excessivement l’intérêt public et aurait plus d’inconvénients que d’avantages, le juge peut refuser cette suspension. La formulation très large laisse une marge d’appréciation importante au magistrat, qui devra se livrer à un véritable bilan coût/avantages, alors qu’il statue seul et en urgence.
c) L’article L 551-18 du code de justice administrative dispose que le juge des référés prononce (le texte est impératif et ne lui laisse pas d’autre choix) l’annulation du contrat en cas de manquements particulièrement graves du pouvoir adjudicateur dans la phase d’attribution ou de passation du marché :
absence totale d’une mesure de publicité requise, ou de publication au JOUE quand elle est obligatoire ;
méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou sur un système d’acquisition dynamique ;
violation de la clause de « stand still » ou de la suspension de la signature du contrat pendant un référé précontractuel, à la double condition :
que le requérant ait eu des chances d’obtenir le contrat (ce qui paraît plus restrictif que la simple justification d’un intérêt lésé par un manquement à une obligation de publicité ou de mise en concurrence) ;
que le non respect des délais de suspension l’ait privé de l’exercice du référé précontractuel (cette dernière condition ne pouvant logiquement s’appliquer qu’à la violation de la clause de stand still, puisque la violation de la suspension durant le référé précontractuel implique qu’il ait été exercé…).
d) Dans la cas où l’annulation du contrat se heurterait à une raison impérieuse d’intérêt général, sévèrement appréciée, l’article L 551-19 du code de justice administrative prévoit des sanctions alternatives : résiliation du marché (c’est-à-dire seulement pour l’avenir et non ab initio), réduction de sa durée, pénalité financière imposée au pouvoir adjudicateur d’un montant maximum de 20 % du montant HT du contrat.
Le choix est laissé au juge de la mesure alternative qu’il prononcera ; s’il s’agit d’une pénalité financière, il en apprécie, dans la limite précisée ci-dessus, le montant, en tenant compte de manière proportionnée de son objet dissuasif (article L 551-22).
e) Si les deux conditions prévues à l’alinéa 3 de l’article L 551-18 du code de justice administrative, pour annuler un contrat en cas de non respect d’un délai durant lequel il ne pouvait être signé, ne sont pas remplies, le juge retrouve un pouvoir d’appréciation.
Il peut annuler le contrat, mais aussi simplement le résilier, en réduire sa durée ou imposer une pénalité financière au pouvoir adjudicateur, dans les conditions exposées ci-dessus (article L 551-20 du code de justice administrative).
f) Le pouvoir du juge est particulièrement étendu, puisque l’article L 551-21 l’autorise à prononcer d’office (même si cela ne lui a pas été demandé par les parties), les mesures prévues aux articles L 551-17 à L 551-20 exposées ci-dessus.
Il doit toutefois inviter au préalable les parties à présenter leurs observations à ce sujet, afin de respecter le principe du contradictoire.
g) Il faut enfin mentionner que l’ordonnance du juge des référés contractuels est uniquement susceptible d’un pourvoi devant le Conseil d’Etat, dans un délai de 15 jours à compter de sa notification (article R 551-10).
La contestation de la mesure de suspension du contrat pendant l’instance ne peut se faire qu’à l’occasion du pourvoi exercé contre l’ordonnance de référé.
Une première lecture des textes permet donc de penser que l’articulation de ce référé avec le référé précontractuel et le recours « Tropic Travaux » est efficace.
Il renforce les droits des entreprises qui participent aux procédures d’attribution de marchés, en évitant que la signature de ceux-ci ne leur interdise toute participation à la procédure d’attribution et ne leur laisse qu’une procédure en indemnisation pour dernier recours.
Les conditions auxquelles le référé contractuel est soumis et les délais brefs dans lesquels doit se prononcer le juge de référé, sont de nature à éviter la paralysie des procédures d’attribution et de passation pour les pouvoirs adjudicateurs, tout comme l’usage abusif des référés précontractuels et contractuels.
François BLEYKASTEN
Avocat associé
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