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Réparation du dommage corporel, par Stéphanie Moisson, Avocat
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Parution : mercredi 31 mars 2010
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Le 16 février 2010, une proposition de loi visant à favoriser l’indemnisation des victimes de dommage corporel a été adoptée en première lecture à l’Assemblée Nationale.
Elle vise à poursuivre l’œuvre entreprise par la loi du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accident de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation.
L’objectif est de protéger les droits des victimes et d’éviter une rejudiciarisation des conflits victime/assureur.
Partant du constat que 95% des accidents de la circulation font l’objet d’un règlement transactionnel entre l’assureur et la victime et que d’une façon générale, les tribunaux accordent des montants d’indemnités sensiblement supérieurs à ceux des transactions entre assureur et victime, la loi entend réduire les disparités en agissant sur les différents maillons de la chaine de l’indemnisation et esquisse une solution d’après l’analyse des trois problèmes majeurs qui affectent l’indemnisation du dommage corporel en 2010 :
1) A préjudice égal, l’importance des disparités entres les indemnités allouées judiciairement et les indemnités accordées amiablement par les compagnies d’assurances, encourage les victimes à saisir le tribunal au rebours des intentions de la loi du 5 juillet 1985.
2) Des écarts importants sont aussi constatés au sein de l’indemnisation judiciaire elle-même. On n’est pas indemnisé à l’identique à LILLE, à PARIS ou à AIX.
3) Enfin, les écarts relevés sont imputés, pour partie au moins, aux fluctuations de l’expertise médicale qui pâtit d’un défaut de lignes directrices claires avec notamment une absence de référentiel déterminé(barème, nomenclature de postes de préjudices …), associé parfois à une formation insuffisante à la réparation du dommage corporel.
-création d’une base de données sur internet
Il est prévu la création, sous le contrôle de l’Etat, d’une base de données recensant les transactions et les décisions judiciaires et administratives en matière de réparation de dommage corporel qui permettra à la victime qui reçoit une offre d’indemnisation de son assureur d’apprécier si le montant est raisonnable .
Les données judiciaires seront renseignées par les seules Cours d’Appel, à l’exclusion des tribunaux de première instance, et des Arrêts de la Cour de Cassation qui ne portent pas sur les quantum des décisions faisant l’objet d’un pourvoi.
Pour que la comparaison soit possible, la loi propose d’obliger à fournir le détail de l’indemnité par poste de préjudice, conformément à l’article 31 de la loi du 5 juillet 1985 et à la mise en place d’une nomenclature non limitative de postes de préjudice fixée par décret en Conseil d’Etat qu’elle préconise.
En revanche, l’idée de l’élaboration d’un référentiel national indicatif de certains postes de préjudices à partir des informations collectées sur la base de données est rejetée.
- obligation pour l’assureur d’informer la victime
L’obligation d’information de la victime à la charge de l’assureur est renforcée avec notamment une obligation de transmettre une copie du procès verbal d’enquête de police ou de gendarmerie à la victime dès qu’il en a obtenu la communication.
En outre, deux listes de médecins seront jointes à la nouvelle notice d’information, l’une recensant les médecins ayant des compétences en réparation du dommage corporel dans le département, l’autre répertoriant ceux auxquels l’assureur en charge du règlement fait habituellement appel dans le département.
La méconnaissance des obligations d’information à la charge de l’assureur est sanctionnée par la nullité de la transaction.
- obligation pour l’assureur de présenter une offre provisionnelle dans un délai d’un mois à compter de la demande de la victime.
L’assureur est tenu de verser une provision dans un délai d’un mois dès que les constatations médicales permettent d’envisager que l’état de la victime nécessite un aménagement de son logement ou de son véhicule ou la présence d’une tierce personne.
-Le délai de repentir est porté à 30 joursDe la même façon que l’Assemblée Nationale avait allongé le délai initialement prévu de 7 à 15 jours lors de l’examen en première lecture de la loi du 5 juillet 1985, elle propose d’allonger le délai actuel de 15 jours à 30 jours pour dénoncer une transaction passée avec un assureur.
La proposition de loi vise à restaurer l’égalité des armes entre victimes et assureur et propose une définition type des missions d’expertises médicales.
Actuellement, il existe plusieurs modèles de mission d’expertise (mission élaborée par la commission de réflexion sur l’évaluation du dommage corporel en 1987, mission AREDOC publiée en 1994 et adaptée à la nomenclature DINTILHAC en 2006, mission spécifique traumatisme crânien dite Mission VIEUX..), et c’est le juge qui fixe souverainement l’étendue de la mission confiée à l’expert .
La disposition tendant à établir une mission type par voie réglementaire permettra aux assureurs et aux avocats de disposer d’un outil commun de référence.
Saisi sur le fondement de l’article 39 de la Constitution, le Conseil d’Etat a recommandé que cette disposition ne soit pas limitée aux victimes d’accident de la circulation mais qu’elle s’applique à tous types de dommages corporels.
Concernant l’expertise médicale, la loi institue une incompatibilité entre les fonctions de médecin conseil d’une compagnie d’assurance et médecin de recours et instaure une obligation pour le médecin de déclarer auprès du Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins le nom des entreprises d’assurances auxquelles il prête actuellement son concours. Une obligation symétrique de déclaration pèserait sur les médecins de recours auxquels les avocats font habituellement appel.
La proposition de loi rappelle en outre que l’évaluation du dommage corporel réclame une aptitude spéciale, et propose au pouvoir réglementaire de définir, après avis du Conseil National de l’Ordre des Médecins, les règles relatives à la qualité de médecin ayant des compétences en matière de réparation de dommage corporel.
-La création d’outils et de référentiels communs fixés par décret }
- un barème médical unique d’évaluation du dommage
Il est prévu l’établissement par décret d’un barème médical unique d’évaluation des A.I.P.P.
La loi prévoit l’instauration d’un barème médical unique dans un délai de deux ans qui s’appliquerait par défaut lorsqu’aucun barème spécifique n’est prévu. Ce barème ne viendrait donc pas en remplacement de barèmes distincts, prévus par exemple pour le calcul d’une rente A.T.
-une nomenclature unique de postes de préjudices
Il est prévu dans le même délai l’instauration d’une nomenclature unique non limitative des chefs de préjudices indemnisables servant de cadre à toutes les décisions de fixation d’indemnisation, qu’elles soient amiables ou judiciaires.
La nomenclature des postes de préjudices élaborée par le groupe de travail de M. DINTILHAC existe déjà et est très largement en usage devant les tribunaux, mais elle est dépourvue d’assise législative.
Si la valeur d’une nomenclature de préjudices ne fait pas de doute, la nomenclature sera non exhaustive pour offrir un cadre d’évaluation au juge sans empiéter sur sa liberté de jugement ou sur la liberté des parties, et permettre des adaptations nécessitées par les évolutions des pathologies et de leur prise en charge.
-Un barème unique et révisable de conversion en capital des rentes
Actuellement, la loi du 5 juillet 1985 prévoit la fixation par décret d’un barème de capitalisation à appliquer pour la conversion des rentes déjà allouées en réparation d’un préjudice causé par un accident, selon une table prévue par la loi pour servir de base à la conversation qui n’a pas été modifiée depuis le décret du 8 août 1986, alors que les données sur l’espérance de vie et sur le taux de l’argent ont connues des évolutions notables.
La proposition de loi prévoit un barème unique pour convertir en capital les rentes d’indemnisation dont la table de conversation sera actualisée tous les trois ans et qui servira de base de calcul pour tous les préjudices futurs de toutes les victimes de dommages corporels.
Enfin, dans une optique de cohérence du droit, la loi propose une extension du champ d’application de la loi du 5 juillet 1985 pour une application du même régime de responsabilité à tous les accidents de la circulation y compris les accidents de chemins de fer et de tramways circulant sur des voies qui leur sont propres.
Reste à savoir si l’évaluation des conséquences financières de cette proposition ne l’emportera pas sur l’intérêt du texte.
Stéphanie MOISSON
Avocat au barreau de Paris
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