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Le nouveau statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, par Me Jean-Raphaël Altabef, Avocat
Parution : mardi 31 août 2010
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La loi relative à l’Entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) du 15 juin 2010, dont l’essentiel des dispositions entreront en vigueur début 2011 après la publication des ordonnances nécessaires, permettra aux entrepreneurs individuels de séparer leur patrimoine personnel et professionnel sans création d’une personne morale, d’exercer directement leur activité et de percevoir personnellement les fruits de leur travail, tout en limitant l’étendue de leur patrimoine susceptible d’être affecté par l’activité professionnelle.

Il s’agit d’une innovation majeure qui met fin à des décennies de controverses doctrinales puisque jusqu’alors, le droit positif considérait qu’une même personne ne pouvait avoir qu’un seul patrimoine.

En créant, ex nihilo, un patrimoine d’affectation lié à l’exercice d’une activité professionnelle, le législateur a fait preuve d’innovation et d’audace, ce qui est suffisamment rare pour être souligné.

En effet, l’adoption du statut d’Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée permettra ainsi de constituer un patrimoine d’affectation professionnelle, ou même plusieurs à compter de 2013, et de protéger ainsi une partie de son patrimoine vis-à-vis des éventuelles poursuites des créanciers qui verront leur gage restreint à celui affecté à l’activité à laquelle leur créance se rapporte.

Ce patrimoine sera composé des éléments nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle, et éventuellement, des biens qui sont utilisés pour les besoins de cette activité.

Les créanciers professionnels auxquels ce statut sera opposable auront pour seul gage le patrimoine affecté à l’activité professionnelle de l’entrepreneur.

Les créanciers non professionnels quant à eux auront pour seul gage général le patrimoine non affecté, et, pour le cas où ce dernier serait insuffisant, les éventuels bénéfices professionnels du dernier exercice clos.

Toutefois, certains créanciers ne manqueront pas d’exiger des garanties supplémentaires qui amenuiseront la portée de protection patrimoniale offerte par ce statut (ex. : une caution bancaire supplémentaire).

Pour éviter toute contestation, un état descriptif des éléments du patrimoine affecté devra être rédigée avec le plus grand soin car, à n’en pas douter, les contentieux seront nombreux lorsqu’un exploitant malheureux tentera de soustraire aux poursuites une partie de son patrimoine qu’il pensait affecté, tandis que ces créanciers revendiqueront le contraire pour tenter de récupérer leur créance.

La vigilance portée à cette évaluation devra être d’autant plus importante qu’en cas de déclaration de valeur supérieure soit à celle proposée par le professionnel, soit à la valeur réelle du bien au moment de l’affectation ; elle ne sera pas opposable aux tiers pour une durée de cinq ans, à hauteur de la différence entre la valeur déclarée et celle proposée par le professionnel ou réelle au moment de l’affectation.

Par ailleurs, l’affectation peut être remise en cause en cas de fraude ou de manquement grave aux règles concernant la composition du patrimoine affecté ou aux obligations comptables.

Des contraintes en matière de comptabilité, justifiées par la restriction des risques encourus, vont en effet s’imposer à l’EIRL.

L’EIRL sera soumis aux obligations imposées aux commerçants par le Code de commerce (art. L 123-12 à -23 et L 123-25 à -27) et devront donc tenir une comptabilité autonome.

Les exploitants relevant du régime fiscal de la micro-entreprise, tels que les autoentrepreneurs, ou du forfait agricole seront toutefois tenus à des obligations comptables simplifiées fixées par décret.

L’entrepreneur devra procéder au dépôt annuel des comptes, ou des documents exigés en vertu des obligations comptables simplifiées, au lieu d’enregistrement de la déclaration d’affectation.

Il devra également ouvrir dans un établissement de crédit un ou plusieurs comptes bancaires exclusivement dédiés à l’activité à laquelle le patrimoine a été affecté

L’adoption du statut d’EIRL se réalisera au moyen de l’enregistrement d’une déclaration effectuée au registre du commerce et des sociétés (RCS) en ce qui concerne les commerçants.

Cette immatriculation au RCS, bien plus qu’une simple formalité contraignante, est une véritable garantie pour l’entrepreneur et pour les tiers car elle permet son identification précise.

Elle est gage de sécurité juridique, indispensable à l’obtention de crédit.

De ce point de vue, le législateur a eu la sagesse de ne pas reproduire l’erreur qu’il a commise en créant le statut d’autoentrepreneur qu’il a dispensé d’immatriculation obligatoire.

Car, sans immatriculation au RCS, nombre d’établissement de crédit refusent de prêter faute de pouvoir prendre une garantie sur le fonds de commerce.

De même, le statut des baux commerciaux, qui protège les exploitants commerciaux en pérennisant leur activité, est notamment subordonné à l’immatriculation au RCS.

La déclaration d’immatriculation devra contenir :
- la mention de l’objet de l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté ;
- l’état descriptif des éléments affectés à l’entreprise ;
- l’acte notarié en cas d’affectation d’un bien immobilier ;
- le rapport d’évaluation établi par un professionnel défini par la loi, en cas d’affectation de bien d’une valeur unitaire supérieure à un montant qui sera fixé par décret (à titre indicatif ce montant était jusqu’à présent fixé à 7500€ pour la SARL) ;
- le document justifiant que l’entrepreneur a obtenu l’accord de son conjoint ou de ses coïndivisaires et les a informés des conséquences de l’affectation, lorsque des biens affectés sont des biens communs ou indivis.

Le régime fiscal de l’EIRL va s’aligner, à quelques adaptions près, à celui applicable à une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), voire si l’entrepreneur est agriculteur, à celui d’une Exploitation agricole à responsabilité limitée ; dont l’entrepreneur individuel serait l’unique associé.

Ainsi l’EIRL va relever, sauf option expresse de sa part pour l’impôt sur les sociétés, du régime des sociétés de personnes. Celui-ci sera donc personnellement imposable sur la totalité des bénéfices sociaux qui seront en principe déterminés suivant les règles propres à la catégorie de bénéfices dont relève l’activité.

De même, en matière de TVA, l’EIRL sera imposé selon des modalités analogues à celles applicables pour l’EURL.

La différence entre le régime fiscal de l’EIRL et de l’EURL tient essentiellement en ce que les droits d’enregistrement pour la prorogation, la transformation ou la dissolution de la société, de même que pour l’augmentation, l’amortissement ou la réduction de son capital, ne sont pas applicables à l’EIRL.

Le régime social des revenus issus de l’EIRL sera différent selon qu’il sera fiscalement assujetti à l’impôt sur le revenu (IR), auquel cas, la totalité des bénéfices professionnels retenus pour le calcul de cet impôt sera soumise à cotisations sociales ; ou aura opté pour l’impôt sur les sociétés (IS), auquel cas, les cotisations sociales seront dues sur la rémunération qu’il se versera.

Cela dit, en cas d’option de l’EIRL pour l’IS, le législateur a prévu que les cotisations sociales seront dues aussi sur la part des bénéfices de l’activité qui excédera 10 % de la valeur des biens du patrimoine affecté constaté en fin d’exercice, ou 10 % du montant du bénéfice net si ce dernier montant est supérieur.

Ainsi, l’intérêt essentiel de ce nouveau statut réside dans la possibilité d’isoler son patrimoine professionnel et les risques y afférant, de son patrimoine personnel ; tout en conservant l’exploitation directe de son activité et sans passer par les formalismes et l’artifice d’une société.

A l’inverse, si le développement escompté nécessite à terme le passage en société, l’adoption de l’EURL plutôt que celui de l’EIRL restera justifiée.

Me Jean-Raphaël ALTABEF, Avocat

Rédigé avec le précieux concours de Filiz YILDIRIM, Master 2 Entreprise et droit de l’Union Européenne

jraltabef chez altabef-avocat.fr

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