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Acta ou accord commercial anti-contrefaçon : une surprise dans l’air, par Arnaud Soton, Avocat.
Parution : lundi 13 septembre 2010
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Au cours de la session plénière du 6 au 9 septembre 2010, les députés européens ont eu l’occasion de débattre le mercredi 8 septembre, du « fameux » accord anti-contrefaçon, en cours de négociation depuis plus de deux ans. Et le moins qu’on puisse dire est que le Commissaire européen Karel De Gucht, chargé des négociations au nom de l’Union européenne a évoqué un possible retrait de l’Union européenne des négociations tandis que beaucoup de députés européens restent sceptiques, à quelques mois seulement de la fin prévisionnelle des négociations.

Il faut dire que ces négociations ont tout fait pour susciter des protestations de la part de diverses organisations et institutions. Sans revenir sur toute sa chronologie, il faut rappeler qu’ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement) ou Accord Commercial Anti-Contrefaçon (ACAC), se négocie depuis 2007 entre l’Australie, le Canada, la Corée du Sud, les Émirats arabes unis, les États-Unis, le Japon, la Jordanie, le Maroc, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, Singapour, la Suisse et l’Union européenne, et devrait arriver à conclusion à la fin 2010.

Il est négocié en dehors d’un cadre institutionnel ou d’une institution internationale, entre un nombre réduit de pays. Les négociations hébergées successivement par chacun des pays participants se sont tenues à Genève (octobre 2007, décembre 2007 et juin 2008), Washington (juillet 2008), Tokyo (octobre 2008), Paris (décembre 2008), Rabat (juillet 2009), Séoul (novembre 2009), Guadalajara (janvier 2010), Wellington (avril 2010), Lucerne (Juin 2010) et Washington (août 2010).

L’objectif est la lutte contre la contrefaçon, mais les dispositions de ce nouvel accord s’annoncent bien plus restrictives que celles déjà prévues par l’ADPIC (Accord sur Aspects de Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce), négocié à la fin du cycle d’Uruguay du GATT en 1994.

Cet accord, s’il est adopté, permettrait par exemple aux douaniers de fouiller des portables ou encore des lecteurs MP3 à la recherche de produits qui violent le droit d’auteur. Il imposerait également de nouvelles obligations aux fournisseurs d’accès à Internet, notamment, la divulgation d’informations touchant leurs clients, (ce qui faire dire à certain qu’il y aurait violation de vie privée) et surtout mettrait en place des mesures susceptibles de bloquer la circulation de médicaments génériques.

Rappelons que les génériques sont des médicaments dont les brevets sont déchus. Ils présentent les mêmes principes actifs que le médicament de référence dont le brevet est tombé dans le domaine public. Lorsqu’un laboratoire met au point un médicament, il garde l’exclusivité de sa commercialisation pendant la durée du brevet, soit en principe 20 ans. A l’expiration du brevet, une copie conforme du médicament original peut alors être développée et commercialisée sous un autre nom.

Les génériques sont reconnus dans certains pays et approuvés par l’Organisation mondiale de la santé. Mais en renforçant la lutte contre la contrefaçon, ACTA imposerait des blocages de médicaments génériques, traités comme de la contrefaçon, ce qui inquiète notamment les associations de lutte contre le sida, car cela pourrait anéantir les efforts menés depuis de nombreuses années pour l’accès aux médicaments génériques dans les pays en développement.

Au-delà même des mesures contraignantes que cet accord imposerait, beaucoup d’institutions et organisations contestent surtout l’opacité qui entoure les négociations. En effet depuis le début, les négociations en vue de cet accord se déroulent dans le plus grand secret. Si le Parlement européen à l’opportunité de débattre de ces négociations aujourd’hui, c’est surtout parce que dans une résolution au mois de mars dernier, il avait menacé de saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne, si la Commission continue à prendre part à ces négociations dans le plus grand secret sans le tenir informé. En effet d’après le traité de Lisbonne, entré en vigueur au 1er décembre 2009, la Commission européenne est tenue de tenir le Parlement au courant des négociations qu’elle mène au nom de l’Union européenne.

Les débats au Parlement européen le mercredi 8 septembre 2010 ont montré que de nombreuses questions restent ouvertes. Certains députés se sont demandé par exemple s’il est utile de souscrire à un accord auquel ne prend pas part la Chine d’où viennent pourtant 64 % des contrefaçons.

Le Commissaire européen Karel De Gucht, chargé des négociations au nom de l’Union européenne a souligné lui-même qu’il souhaite que les appellations d’origine soient traitées, mais ce n’est pas le souhait d’autres pays qui veulent s’en tenir aux droits d’auteurs et aux marques, et Karel De Gucht est allé jusqu’à évoquer un possible retrait de l’Union européenne des négociations.

Que faut-il attendre de cet accord ? La question reste toujours posée.

Arnaud Soton, professeur de droit et de fiscalité

Arnaud Soton, Avocat Fiscaliste Professeur de droit fiscal http://www.soton-avocat.com/

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