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Brèves réflexions sur la situation des personnes âgées étrangères démunies de titre de séjour et victimes de maltraitances, par Marc Lecacheux, Avocat
Parution : jeudi 30 septembre 2010
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Cette étude a pour objet d’analyser les perspectives de régularisation de personnes âgées étrangères en situations irrégulières, primo-arrivantes ou non, victimes de violences et de maltraitance de la part de leurs proches.

Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité lorsque l’on aborde le droit des étrangers, car il s’agit d’une population doublement vulnérable tout d’abord du fait de son âge, mais aussi du défaut voire de l’absence de maîtrise de la langue française et enfin et surtout de leur situation administrative irrégulière.

Alors que le code de séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) aborde de façon certaine les possibilités de régularisation pour les étrangers majeurs en pleine force de l’âge victime de violences conjugales (article L313-12 du Code du séjour des étrangers et du droit d’asile ), ou victimes de traites des êtres humains(L 316-1 du CESEDA) il reste muet quant au sort des personnes âgées étrangères aussi victimes de maltraitances.

On peut légitiment s’interroger sur ce silence alors que cette thématique s’inscrit pleinement dans la victimologie et par conséquent ne doit pas être considéré comme un épiphénomène ou une question marginale.

A titre liminaire, il est nécessaire de décrire les origines de ce phénomène qui semble prendre de plus en plus d’ampleur.

En effet, beaucoup de personnes âgées étrangères croient trouver ou retrouver une sécurité affective et administrative (ascendant de français) dans la possibilité d’être hébergées par leurs enfants vivant en France suite aux décès d’un conjoint ou tout simplement poussé par la misère économique dans leur pays d’origine qui n’offre bien souvent qu’une maigre retraite à ces personnes (retraite insuffisante ou non revalorisée).

Toutefois, force est de constater que cette voie peut devenir risquée voire très dangereuse, car en réalité, la survie économique et administrative de la personne dépend entièrement du bon-vouloir des enfants ou de la belle-famille.

On imagine donc aisément le risque d’une emprise et d’une sujétion psychique en contrepartie d’une hypothétique régularisation.

Ce risque de dépendance est d’autant plus accrue que bien souvent ces personnes âges sont incapables d’effectuées les moindres démarches administratives ou judiciaires du fait de l’absence de maîtrise de la langue française et aussi bien d’un amoindrissement de leurs capacités motrices et cognitives.

Enfin dernier facteur crucial, c’est la tendance à une distanciation intergénérationnelle qui se caractérise par un abandon voire un mépris avéré pour une population inactive et improductive qui reste une charge au sein de la famille déjà précarisée par une situation économique catastrophique dans notre pays.

Tout laisse à penser que la solidarité intergénérationnelle est inversement proportionnelle au marasme économique actuel.

Cette réalité n’épargne malheureusement pas les familles étrangères.

Ce constat étant posé, la question est de savoir comment permettre une régularisation de ces personnes vulnérables, démunies de titre de séjour et soumises régulièrement à des comportements que l’on peut considéré comme de la maltraitance physique ou psychique.

Tout en sachant, qu’en droit, il n’existe aucun droit au maintien sur le territoire pour des étrangers primo-arrivants. (Décision du Conseil Constitutionnel Août 1993) et que dans le même temps, l’article 434-1 du Code Pénal oblige chaque citoyen à signaler des mauvais traitements infligés à un majeur vulnérable.

« Le fait, pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende. »

Face à ce dilemme, il s’agit dans cette étude d’aborder la typologie des violences qui peuvent êtres exercées contre les personnes âgées (I) pour ensuite analyser les textes Européens et nationaux sur ce sujet (II) et poser les limites de l’utilisation de la législation pénale (III) et enfin tenter d’appréhender les solutions envisageables juridiquement et socialement (IV).

I) La typologie des violences infligées aux personnes âgées :

A titre liminaire, dans le cadre du code pénal, la maltraitance s’inscrit dans le livre II chapitres 2 consacrés aux violences (222-7 et suiv du code pénal).

Pour ce qui concerne « les maltraitances », que l’on peut qualifier juridiquement de violences habituelles (article 222-10 du code pénal modifiée par la loi 2010-79 du 9 juillet 2010) le code pénal fait preuve d’une grande sévérité :

« Les violences habituelles sur un mineur de quinze ans ou sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur sont punies :
1° De trente ans de réclusion criminelle lorsqu’elles ont entraîné la mort de la victime ;
2° De vingt ans de réclusion criminelle lorsqu’elles ont entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ;
3° De dix ans d’emprisonnement et de 150000 euros d’amende lorsqu’elles ont entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours ;
4° De cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende lorsqu’elles n’ont pas entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours.
Les peines prévues par le présent article sont également applicables aux violences habituelles commises par le conjoint ou le concubin de la victime ou par le partenaire lié à celle-ci par un pacte civil de solidarité. Les dispositions du second alinéa l’article 132-80 sont applicables au présent alinéa.
Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables aux cas prévus aux 1° et 2° du présent article. »

De manière plus précise, on englobe parmi les violences :

Les violences physiques : coups, brûlures, ligotage, soins brusques sans information ou préparation, non-satisfaction des demandes pour des besoins physiologiques, violences sexuelles, meurtre dont euthanasie ; les violences psychiques ou morales : langage irrespectueux ou dévalorisant, absence de considération, chantages, abus d’autorité, comportements d’infantilisation, non-respect de l’intimité, injonctions paradoxales.

Les violences matérielles et financières : vols, exigences de pourboire, escroqueries diverses, locaux inadaptés ;

Les violences médicales ou médicamenteuses : manque de soins de base, non-information sur les traitements ou les soins, abus de traitement sédatif ou neuroleptique, défaut de soins de rééducation, non-prise en compte de la douleur ;

Les négligences actives : toutes formes de sévices, abus, abandons, manquements pratiqués avec l’intention de nuire ;

Les négligences passives : relevant de l’ignorance, de l’inattention de l’entourage ;

La privation ou la violation des droits : limitation de la liberté de la personne, privation de l’exercice des droits civiques, d’une pratique religieuse.

Les différentes situations - La maltraitance peut survenir aussi bien au domicile de la personne âgée qu’en institutions et émaner des professionnels comme de l’entourage. De plus, les victimes le plus souvent se taisent (sentiment de honte, peur de représailles éventuelles

Enfin, il est important de noter que la violence peut aussi signifier des chocs émotifs graves (CRIM 2 Sept 2005 87-046 D 2005 P2989).

Mais aussi et surtout, il s’agit de ne pas oublier que ces violences peuvent avoir des conséquences dramatiques humainement et socialement (errance, clochardisation, tentative de suicide,..).

Autre facteur aggravant, les principaux textes règlementaires récents (Instruction DGAS/2A no 2007-112 du 22 mars 2007 relative au développement de la bientraitance et au renforcement de la politique de lutte contre la maltraitance) ne mentionnent que les maltraitances dites institutionnelles c’est-à-dire dans des établissements socio et médico-sociaux, ce qui exclue par principes ces personnes qui ne peuvent prétendre à un hébergement institutionnels puisque démunies de titre de séjour.

Ainsi, force est de constater que cette question de la violence à l’égard des personnes âgées prend un relief particulier pour cette population en situation irrégulières.

II) Des textes Européens et Nationaux protecteurs :

Il est donc nécessaire que la collectivité s’attache à prendre en charge ces personnes qui doivent êtres protégées par l’état et la collectivité conformément à différents textes Européens.

Ainsi, le préambule de la constitution de 1946 précise :

« Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler à le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenable d’existence ».

Pour ce qui concerne les textes Européens, l’article 23 de la charte Sociale Européenne, précise le droit pour la personne âgée d’être protégée par la collectivité et de pouvoir mener une vie décente.

Enfin, et surtout l’article 25 de ma charte des droits fondamentaux de l’union européenne ratifiée par la France :

" L’union reconnait et respecte le droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie culturelle"

III) L’utilisation parcimonieuse de la législation pénale pour ces victimes particulières :

En règle générale, aucune législation spécifique ne protège les personnes étrangères vieillissantes en situation irrégulières victimes de délaissement ou de violences.

En réalité, la législation pénale ne présente d’intérêt que si elle s’accompagne d’une protection juridique adéquate.

Or, le code du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) ne protège que les victimes de violences conjugales et de la traite des êtres humains et du proxénétisme.

Il faut donc requérir les règles générales de procédure pénale applicable à toutes victimes et notamment le classique dépôt de plainte ou le dépôt de plainte avec constitution partie civile.

Toutefois, il s’agit de garder à l’esprit que le signalement au Parquet signifie souvent une demande d’information concomitante à la préfecture sur la situation administrative de l’étranger et par voie de conséquence de la divulgation de la situation irrégulière de l’étrangère.

A ce titre, rappelons qu’il existe une infraction spécifique (infraction sur la législation des étrangers) réprimée elle aussi par le code pénale L 621-1 et L 621 et L 621-2 du CESEDA, qui oblige tout intervenant à une évaluation soigneuse du rapport bénéfice/risque de ce signalement.

Il ne s’agit donc pas d’une hypothèse d’école, car en cas de classement sans suite d’une plainte, il est tout à fait possible pour le Ministère Public d’engager une procédure au titre de l’infraction sur la législation des étrangers (ILE) concomitante à l’envoi d’un arrêté de reconduite à la frontière.

IV) Une réponse sociale hypothétique :

IV-1) Une protection sociale inefficace :

A titre liminaire, il convient de préciser que le code civil pose comme postulat aux articles 205 et 209 code civil, l’obligation alimentaire des descendants à l’égard des ascendants à charge.

Ainsi, il est manifeste que les services sociaux n’entreprendront aucune démarche sans solliciter aux préalables la famille, qui est par nature défaillante.

De surcroît, il est à craindre que beaucoup d’associations caritatives fassent preuves de retenues compte tenu de la médiatisation récente de l’article L 622-1 du CESEDA.

Délit de solidarité qui est bel est bien utilisé massivement par les parquets pour condamner des dirigeants associatifs ou des personnes physiques pour aide au séjour d’un étranger.

Il donc permit de penser, que beaucoup d’association, voire de collectivité locales, vont faire œuvre de prétéritions avant de prendre en charge ce type de public très particulier dont beaucoup d’entre eux n’ont jamais pu cotisées à l’assurance vieillesse et sont tout au plus titulaire de l’AME (aide médicale d’état).

Autre exemple topique, le dispositif « allocation logement temporaire » (ALT) prévue par les lois 91-1406 du 31 décembre 1991 et du 29 juillet 1998 (art 53) ont instituer cette aide aux associations et également aux centres communaux ou intercommunaux d’action sociale (établissements publics administratifs rattachés à la commune) en vue loger, à titre transitoire, des personnes et des familles défavorisées, n’est pas mobilisable dans ce type de situation puisque les bénéficiaires doivent êtres en situation régulière.

En effet, lorsqu’elles sont étrangères, les bénéficiaires potentiels doivent justifier de la régularité de leur séjour en France.

Enfin, le découragement des intervenants risque d’être accentué par le fait que l’espoir d’une régularisation risque d’être hypothétique voire totalement vaine.

Pour être parfaitement complet, est-il envisageable de faire appel au dispositif dit « Droit au logement opposable » prévue par la loi 5 mars 2007 ?

En bonne logique, seul l’hébergement d’urgence, par nature précaire, est possible pour les personnes de nationalités étrangères démunies de titre de séjour conformément aux prescriptions à l’article R 300-2 du code de la construction et de l’habitation (D 2008-908 du 8 septembre 2008).

Du reste, les commissions départementales de médiations apprécient généralement la situation du demandeur au regard du logement et de l’hébergement dont il peut disposer en vertu d’une obligation d’aliment.

Cette obligation doit être mobilisée avant tout autre dispositif et les commissions de médiation peuvent demander à le faire valoir plutôt que de mobiliser la procédure DALO.

En réalité, en vertu du principe de subsidiarité c’est l’aide familiale qui doit prévaloir sur l’aide de la collectivité les descendants sont aptes a prendre en charges financièrement et matériellement.

Par voie de conséquence, la seule solution réside, en l’absence de soutient familial, dans l’appel à des foyers d’hébergement d’urgence type 115.

Désormais, il s’agit de nous pencher sur le type de régularisation administrative est envisageable au regard du code code du droit des étrangers et du droit d’asile :

IV-2) Une régularisation administrative limitée ?

En effet, la typologie ou le type de régularisation possible au regard du Code s’appliquant à ces victimes reste très limitées.

Ainsi, on peut citer :

- Titre de séjour pour soins pour des atteints de pathologie chroniques voire poly-pathologiques (L 313-11-11°).

A défaut, la seule possibilité juridique opérationnelle reste la régularisation au titre de l’article L 313-11-7 c’est à dire d’une situation personnelle d’une extrême gravité compte tenu de l’absence d’attache à l’étranger et en France suite à des violences.

A cette occasion, il est utile de rappeler que l’article 8 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH) est invocable même pour une personne seule.

La jurisprudence administrative mentionne pour sa part des situations de veuves venues rejoindre en France leurs parents ou leurs enfants :

• Comme par exemple, une ressortissante algérienne souffrant de problème de santé important venue rejoindre son fils de nationalité (CAA Lyon 30 avril 2008 n°07LY02005 Lachemi).

• Ressortissante arménienne hébergée chez sa fille unique (CAA de Lyon 8 avril 2008 n°07LY01255).

Néanmoins, que faire lorsque l’unique soutien familial devient défaillant ?

En bonne logique, on aboutit à une demande de régularisation pour un célibataire démuni d’attache à l’étranger et en France.

Enfin, en cas de refus de régularisation, se pose la question du pays de renvoi, car en vertu de l’article R 513-1 du code des étrangers l’étrangers ne peut être renvoyé vers un pays où il existe un risque pour la vie ou sa liberté ou que la personne soit soumise à des traitements inhumains ou dégradants.

Or, comment ne pas considérer que le renvoi d’une personne âgée vers un pays ou sa survie économique n’est plus assurée, ne constitue pas à un danger immédiat ?

Maître Marc Lecacheux

Avocat au barreau de Paris

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