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Contrat de travail et évolution des fonctions du salarié, par le Cabinet Chamaillard Avocats
Parution : mercredi 10 novembre 2010
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Deux arrêts de la Cour de cassation du 6 et 13 octobre 2010 reviennent sur le changement de taches confiées au salarié et leurs conséquences sur le contrat de travail.

S’il est vrai qu’il peut, dans le cadre de son pouvoir de direction, unilatéralement imposer au salarié un changement des modalités d’exécution de son contrat de travail ; l’employeur ne peut procéder à une modification du contrat de travail sans l’accord du salarié.

Cette distinction qui doit systématiquement être opérée par l’employeur avant toute modification n’est pas toujours des plus aisée lorsqu’elle porte sur la fonction même du salarié.

Or, il est rare que cette difficulté ne se pose pas, puisque très souvent les fonctions d’un salarié sont appelées à changer en raison de l’évolution des besoins de l’entreprise ou des nécessités de réorganisation de cette dernière.

Par deux arrêts en date des 6 et 13 octobre 2010 (n°pourvoi 09-40087 et 09-65986), la chambre sociale de la Cour de Cassation vient de rappeler les principes directeurs de cette distinction en jugeant qu’il n’y avait pas de modification du contrat de travail, dès lors que les nouvelles tâches confiées aux salariés correspondaient à leur qualification. Les refus des salariés de les exécuter étaient donc fautifs.

Ces deux arrêts récents nous permettent de rappeler les principes régissant les pouvoirs de l’employeur en la matière.

I LA DECISION UNILATERALE DE L’EMPLOYEUR

A) Rappel du principe

Dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur peut aménager la relation contractuelle et décider de manière unilatérale de ces modifications, dès lors que lesdites modifications n’ont aucune incidence sur la qualification professionnelle et la rémunération du salarié.

Il convient de rappeler que la qualification à prendre en considération n’est pas celle correspondant aux diplômes ou titres effectivement détenus par le salarié, mais celle correspondant à l’emploi précédemment occupé ou à la qualification prévue par la convention collective. Elle doit par ailleurs s’apprécier au regard des fonctions réellement exercées par le salarié et non à partir des seules mentions du contrat de travail.

Un salarié peut donc se voir imposer une légère modification de ses tâches, se voir confier des tâches supplémentaires ou différentes et même se voir retirer des tâches ou responsabilités, dès lors que ces modifications n’ont aucune incidence sur sa qualification et sa rémunération.

Ce critère de la relation entre la tâche et la qualification est renforcé par celui du maintien du niveau hiérarchique ; le retrait ou l’adjonction de tâches ne devant pas se traduire par un déclassement du salarié.

La modification proposée par l’employeur doit donc être sans incidence tant sur l’aspect fonctionnel qu’organisationnel. Ainsi, les nouvelles fonctions doivent être du même niveau que celles précédemment occupées et le poste doit être du même degré au niveau de la hiérarchie des emplois.

Lorsque ces exigences sont respectées, la modification proposée peut se traduire par un nouveau rattachement hiérarchique.

Ces principes viennent d’être rappelés par la chambre sociale de la Cour de Cassation suivant arrêts en date des 6 et 13 octobre 2010.

Dans la première espèce (n° pourvoi 09-40087), une salariée avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat suite à une promotion intervenue dans le cadre d’une réorganisation de son service. A l’appui de sa demande, la salariée faisait valoir que cette promotion qui s’était traduite par la création d’un échelon intermédiaire et partant d’un nouveau rattachement hiérarchique avait eu pour effet de la priver de ses plus hautes responsabilités et de la confiner dans l’exécution de tâches subalternes.

La Cour de Cassation rejette son pourvoi en relevant que : "la création d’un échelon intermédiaire....correspondait à la mise en place, dans le cadre d’une restructuration, d’un service des achats agrandi aux tâches et effectifs sans commune mesure avec le service achat auparavant traité par la salariée seule, et qu’il n’en résultait pas pour cette dernière de diminution du niveau des tâches qui lui étaient confiées au regard de sa qualification, ni par conséquent de modification du contrat de travail imposée par l’employeur qui justifierait la résiliation du contrat aux torts de celui-ci....".

Dans le second arrêt (n°pourvoi 09-65986), une salariée licenciée pour faute grave avait saisi la juridiction prud’homale en excipant d’une modification de son contrat intervenue sans son accord.

Engagée par la Société "A nous Paris" pour maquetter le journal du même nom, son employeur lui avait demandé de maquetter également les magazines "A nous Lille" et "A nous Lyon", lesquels n’étaient pas édités par l’employeur mais par des sociétés distinctes, la salariée faisait valoir une modification de son contrat de travail concernant tant sa tâche que le bénéficiaire de cette prestation puisque le travail n’était plus effectué pour l’employeur.

La Cour de Cassation qui a fait sienne l’analyse des premiers juges a jugé cet argument inopérant en relevant que "les nouvelles tâches que l’employeur avait demandé à la salariée d’exécuter n’étaient pas de nature différente de celles visées au contrat de travail et correspondaient à sa qualification de maquettiste, en ont justement déduit qu’il ne s’agissait pas d’une modification de son contrat de travail et que son refus de les effectuer était fautif".

B) Conséquences

Si le salarié accepte le changement de ses conditions de travail, la modification deviendra effective d’elle-même puisqu’elle n’est soumise à aucun formalisme.

Le même contrat de travail se pouruivra sans qu’il soit nécessaire de procéder à la régularisation d’un avenant.

Si le salarié refuse la modification proposée, trois hypothèses sont envisageables :

- Le salarié peut tout d’abord démissionner. Il convient de rappeler que la démission ne se présume pas et doit résulter d’une décision claire et non équivoque.

- Le salarié peut également refuser d’exécuter les nouvelles tâches qui lui sont confiées sans pour autant prendre l’initiative de la rupture.
En pareil cas, ce dernier commet une faute grave justifiant son licenciement.

- L’employeur décide de mettre en oeuvre une procédure de licenciement pour motif disciplinaire étant précisé que la Cour de Cassation considère que le refus du salarié d’un changement de ses conditions de travail ne justifie pas, à lui seul, un licenciement pour faute grave, la faute grave ne pouvant être invoquée que lorsque ce refus rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

Si le changement des conditions de travail s’impose au salarié, il en va différemment dés lors que la modification de la fonction constitue une modification du contrat.

II ACCORD NECESSAIRE DU SALARIE

A) La fonction, un élément essentiel du contrat de travail qui ne peut être modifiée sans l’accord du salarié

La fonction est un élément de l’essence du contrat de travail, car le salarié est engagé pour occuper un emploi déterminé ou un poste d’une catégorie d’emploi déterminé.

Dés lors, si les nouvelles fonctions ne correspondent plus à la qualification figurant au contrat ou modifient la rémunération, le salarié est en droit de refuser ses nouvelles attributions sans que son refus ne soit constitutif d’une faute ; ce principe valant aussi bien en cas de réduction des attributions (telle qu’une rétrogradation) qu’en cas de promotion.

Les clauses contractuelles conférant à l’employeur le droit de modifier unilatéralement la fonction du salarié en cours d’exécution du contrat sont privées d’effet.

De plus, l’employeur ne pourra reprocher au salarié les erreurs qu’il commettrait dans son travail si les tâches qu’il effectuait ne relèvent pas de sa qualification.

B) Conséquences de la modification

En cas d’accord du salarié, il conviendra de requérir son acceptation écrite qui se traduira le plus souvent par la régularisation d’un avenant.

En effet, la jurisprudence pose pour principe que l’acceptation ne se présume pas et ne peut être déduite de la seule continuation du travail, même pendant plusieurs années, aux nouvelles conditions.

Dans le cas d’une réponse négative, le refus s’analysera en une rupture du contrat imputable à l’employeur ; le refus du salarié d’effectuer les nouvelles tâches n’étant pas en lui même constitutif d’une faute.

L’employeur devra alors invoquer les motifs à l’origine de la proposition de modification.

Si la proposition de modification constitue une sanction (telle une rétrogradation), l’employeur devra mettre en oeuvre la procédure disciplinaire.

Si la proposition de modification du contrat résulte d’un motif économique (tel que des difficultés économiques ou une réorganisation), la procédure prévue en matière de licenciement économique devra être mise en oeuvre.

La distinction étant souvent complexe et susceptible d’avoir de lourdes répercussions financières, l’avis d’un avocat est évidemment recommandé.

Pierre CHAMAILLARD, Claude EBSTEIN, Avocats

Cabinet CHAMAILLARD
http://www.chamaillard-avocats.com

Rédaction du village

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