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La retenue douanière en « Question », par Jean Pannier, Avocat
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Parution : jeudi 25 novembre 2010
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(Cons. constit. Décision n° 2010-32 QPC du 22 septembre 2010)
Y a-t-il lieu de s’étonner de la censure du Conseil constitutionnel – si rapidement après le coup de tonnerre du 30 juillet 2010 (1) - à propos de cette curiosité juridique baptisée « retenue douanière » qui n’est rien d’autre en réalité qu’une garde à vue ? A ceci près que la retenue douanière a été privée des modestes améliorations de la garde à vue qui font effectivement la différence comme par exemple la présence de l’avocat.
On doit s’interroger, au contraire, sur les raisons profondes qui justifiaient cette différence de traitement entre ces deux systèmes privatifs de liberté même si l’on s’est habitué à constater que le droit douanier a résisté à pas mal de réformes tendant à aligner ses prérogatives sur celles du droit commun.
S’il est avéré que les velléités de réformes du caractère exorbitant du droit douanier se heurtent à des considérations pragmatiques – acceptées, on y reviendra, avec une étonnante facilité par les commissions des finances des deux assemblées - il n’en reste pas moins que la jurisprudence a fait preuve du même esprit pragmatique. Il est vrai que les réticences de la Cour de cassation se constatent surtout dans les affaires de stupéfiants.
1. La jurisprudence affiche son attachement au pragmatisme
Auparavant, l’article 323-3 du Code des douanes prévoyait simplement la capture des contrevenants en cas de flagrant délit sans autre précision. Il faudra attendre la très importante réflexion inspirée par la commission Aicardi pour que la loi vienne enfin compléter en ces termes ce texte redoutable :
« Le procureur de la République en est immédiatement informé.
La durée de la retenue ne peut excéder vingt-quatre heures sauf prolongation d’une même durée autorisée par le procureur de la République.
Pendant la retenue, le procureur de la République peut se transporter sur les lieux pour vérifier les modalités de la retenue et se faire communiquer les procès-verbaux et registres prévus à cet effet. S’il l’estime nécessaire, il peut désigner un médecin.
Les agents mentionnent, par procès-verbal de constat, la durée des interrogatoires et des repos qui ont séparé ces interrogatoires, le jour et l’heure du début et de la fin de la retenue.
Ces mentions figurent également sur un registre spécial tenu dans les locaux de douane.
Lorsque les personnes retenues sont placées en garde à vue au terme de la retenue, la durée de celle-ci s’impute sur la durée de la garde à vue ». (2)
Les fragilités au plan des droits de la défense sont apparues à la faveur de la « capture » d’un chauffeur avant qu’intervienne la modification de l’art. 63-4 du code de procédure pénale c’est-à-dire pendant la période où l’avocat pouvait intervenir à la vingtième heure après le début de la garde à vue. A l’expiration d’une retenue douanière de vingt heures il avait été placé en garde à vue mais celle-ci avait été prolongée de vingt quatre heures. Mais il avait été mis en examen et placé en détention avant la fin de la prolongation ce qui l’avait privé de la possibilité de voir un avocat. La chambre d’accusation avait considéré que, dans la mesure où la durée de la retenue douanière s’impute sur celle de la garde à vue, le prévenu aurait du bénéficier de la présence d’un avocat dès son arrivée dans les locaux de la police.
Tel ne fut pas l’avis de la chambre criminelle qui rappela, dans un arrêt du 1er mars 1994, que les seules obligations imposées aux agents des douanes qui retiennent une personne capturée en flagrant délit sont celles que prévoit l’article 323 du Code des douanes. Aucune disposition légale ne leur impose de procéder à la notification prévue par l’article 63-1 du Code de procédure pénale, texte qui concerne seulement la garde à vue dans un local de police ou de gendarmerie.
Elle décida que l’imputation, prévue par l’article 323 du Code des douanes, de la durée de la retenue douanière sur la durée de la garde à vue lui faisant suite a pour seul objet de limiter la durée de la privation de liberté. Elle est sans effet sur les régimes respectifs de chacune de ces mesures. Il en résulte que le délai de l’article 63-4, alinéa 1er, du Code de procédure pénale court, non à compter du début de la retenue douanière, mais, comme le prévoit ce texte, à compter du début de la garde à vue, c’est-à-dire de la notification par les officiers de police judiciaire à la personne en cause de son placement en garde à vue dans un local de police ou de gendarmerie. (3)
La Cour précisera encore quelques jours plus tard que si la durée de la retenue douanière est imputable sur celle de la garde à vue, aucune disposition légale n’étend à la première le régime prévu pour la seconde par l’article 63-1 du Code de procédure pénale. Ainsi les agents de l’administration des douanes, qui n’ont pas la qualité d’officiers de police judiciaire, n’ont pas l’obligation d’informer la personne retenue en vertu de l’article 323 du Code des douanes des droits mentionnés aux articles 63-2, 63-3 et 63-4 du Code de procédure pénale ni des dispositions relatives à la durée de la garde à vue. (4)
Quelques décisions viendront par la suite rappeler les limites de la rétention :
Si, hors le cas de flagrant délit, les agents des douanes ont la faculté, pour l’exercice de leur droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes, prévu par l’article 60 du Code des douanes, de garder ces personnes le temps nécessaire aux visites et à l’établissement du procès-verbal qui les constate, c’est à la condition qu’elles ne soient pas retenues contre leur gré et qu’elles ne fassent l’objet d’aucune mesure coercitive. (5)
Si la retenue douanière et la garde à vue obéissent à des régimes juridiques distincts, il demeure que la durée totale de privation de liberté que chacune de ces mesures prévoit qu’elle ne peut excéder 24 heures, sans l’intervention d’un magistrat, et qu’il en va de même lorsque les deux mesures se succèdent, la durée de l’une s’imputant sur la durée de l’autre par application de l’article 323 du Code des douanes ; le dépassement de ce délai constitue par lui-même une atteinte aux intérêts de la personne concernée. (6)
Interpellé à 10 heures 15 et retenu ensuite contre son gré par les agents des douanes, M... n’a été informé que trois heures plus tard des raisons pour lesquelles il était privé de liberté. Pour estimer que n’avaient pas été méconnues les dispositions de l’article 5, paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon lesquelles toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle, la Chambre d’accusation relève que ce retard se justifie par les particularités de l’espèce.
En se déterminant ainsi, sans mieux s’expliquer sur les raisons qui empêchaient les agents des douanes d’informer plus tôt M... des motifs de son interpellation et de sa rétention, la Chambre d’accusation n’a pas donné de base légale à sa décision. D’où il suit que la cassation est encourue.(7)
Satisfont aux exigences de l’article 5, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, les douaniers qui informent une personne des raisons de sa rétention douanière 15 minutes après son arrestation. (8)
La régularité d’une retenue douanière, notifiée dans une langue comprise par la personne concernée, ne saurait être remise en cause pour le seul motif que, pour la procédure ultérieure, cette dernière a été assistée d’un interprète s’exprimant dans sa langue d’origine. Ne donne pas de base légale à sa décision la chambre de l’instruction qui annule une telle procédure. (9)
L’article 323 3 du code des douanes, selon lequel l’agent des douanes qui retient une personne capturée en flagrant délit doit en informer immédiatement le procureur de la République, n’est pas applicable lorsque l’intéressé n’est pas retenu contre son gré au-delà du temps nécessaire aux opérations de contrôle et à leur consignation par procès-verbal. (10)
La Cour européenne elle-même adopte une approche compréhensive :
Les requérants ressortissants ukrainiens, roumains, grecs et chiliens faisaient partie de l’équipage d’un cargo battant pavillon cambodgien.
Dans le cadre de la lutte internationale contre le trafic de stupéfiants, les autorités françaises apprirent que ce navire était susceptible de transporter des quantités importantes de drogue. Les autorités maritimes procédèrent, en conséquence, à son interception en haute mer, au large des îles du Cap Vert, puis à son détournement vers le port de Brest (France).
Les requérants alléguaient avoir été victimes d’une privation arbitraire de liberté en raison de leur détention sur le cargo durant 13 jours sous la surveillance des forces militaires françaises, puis de leur garde à vue - durant deux jours pour les uns, trois jours pour les autres - à leur arrivée à Brest. Invoquant l’article 5, § 1, (droit à la liberté et à la sûreté), ils dénonçaient l’illégalité de leur privation de liberté, notamment au regard du droit international. Ils se plaignaient également, sous l’angle de l’article 5, § 3, (droit à la liberté et à la sûreté), d’avoir attendu 15 à 16 jours avant d’être présentés à un « magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».
Eu égard tout particulièrement à « l’adhésion scrupuleuse à la prééminence du droit » qu’impose l’article 5 de la Convention, on ne saurait dire que les requérants ont été privés de leur liberté « selon les voies légales » au sens du paragraphe 1 de cette disposition. Partant, il y a eu violation de l’article 5, § 1, de la Convention.
Cependant, considérant que la durée de cette privation de liberté se trouve justifiée par des « circonstances tout à fait exceptionnelles », notamment par l’inévitable délai d’acheminement du cargo vers la France, la Cour conclut, par quatre voix contre trois, à la non-violation de l’article 5, § 3. (11) (12)
Cet état des lieux élaboré à partir de la jurisprudence récente pourra utilement alimenter la réflexion. On trouvera d’autres décisions dans notre recueil de jurisprudence douanière couvrant la période 1990-2010 publié chez Economica.
2. Du pragmatisme aux droits de la défense
« Considérant que, dans ces conditions, la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peut être regardée comme équilibrée ; que, par suite, le 3° de l’article 323 du code des douanes méconnaît les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 et doit être déclaré contraire à la Constitution ;
Article 2.- Le 3° de l’article 323 du code des douanes est contraire à la Constitution.
Article 3.- La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 2 prend effet le 1er juillet 2011 dans les conditions fixées au considérant 9 ».
« Les gardes à vue « particulières » ne sont plus conformes à la Constitution » titrait le professeur Paul Cassia dans un récent point de vue. (13)
Autrement dit, la construction laborieuse de l’article 323-3 du Code des douanes n’est plus de saison et il va falloir que la douane se résigne à voir ses moyens d’investigation, du moins en matière de retenue des personnes, alignés sur ceux de la police.
Il serait même souhaitable dans un tel contexte de recentrage des mesures de coercition par rapport notamment aux indications récentes de la Cour européenne et sous le contrôle bienvenu du Conseil constitutionnel, grâce aux QPC, que disparaisse cette notion désuète de retenue douanière objet de toutes les tentations y compris jurisprudentielles comme on ne cesse de le déplorer depuis la réforme Aicardi qui était pourtant porteuse d’autre chose.
« Il faut d’abord changer de mentalité » affirme le Bâtonnier Charrière-Bournazel dans un entretien récent. (14) On ne voit d’ailleurs pas en quoi la présence de l’avocat va gêner l’action du service des douanes s’agissant de surcroit d’infractions matérielles dans lesquelles l’élément intentionnel devient secondaire voire impossible à contester. Car, en matière douanière, si la démonstration de la bonne foi est admise depuis la réforme Aicardi précitée, elle demeure à la charge du prévenu à la différence du droit commun. (Art. 369-2 du C. douanes)
Le vrai problème qu’aura à résoudre le législateur sera, ici aussi, celui du partage du temps de la garde à vue à cette différence près qu’il faudra enfin admettre que le respect des droits de la défense passe par l’intervention de l’avocat dès la phase de la garde à vue douanière. Sous peine de voir le texte revenir devant le Conseil constitutionnel comme on l’avait vu déjà en 1989 à propos des visites domiciliaires. (15)
Aujourd’hui, la solution d’une harmonisation du régime de la garde à vue douanière parait d’autant plus s’imposer que, par rapport à l’époque de la réforme Aicardi, de nombreux agents des douanes ont aujourd’hui le statut d’officiers de police judiciaire. Noblesse oblige.
Cette nouvelle refonte à laquelle vont devoir s’atteler le gouvernement puis le parlement pour proposer un texte qu’on souhaite, cette fois ci, harmonisé, passe assurément par l’association à la réflexion d’un collège élargi pour faire contrepoids à l’administration des douanes dont on connaît l’efficacité dans le lobbying à tous les niveaux. Surtout quand on sait que les textes douaniers sont généralement votés tard le soir dans un Hémicycle désertique.
La représentation du barreau français à cette réflexion constituerait une sérieuse avancée, d’autant que des questions importantes comme l’arraisonnement en haute mer qui entraine généralement une retenue beaucoup plus longue ont jusqu’à présent été traitées de manière difficilement crédible grâce au culte de « la rétention de plein gré ». (12)
De la même manière, au vu des tendances constatées à la faveur de chaque modification du Code des douanes, il parait indispensable de confier le projet de loi non pas aux commissions des finances des deux assemblées trop sensibles aux arguments des administrations concernées mais uniquement aux deux commissions des lois pour garantir un meilleur respect des libertés et des droits de la défense.
Récemment les deux commissions des finances ont eu à se prononcer sur la formulation de nouveaux articles du Code des douanes touchant à la possibilité pour les entreprises de pouvoir enfin être en mesure de contester le point de vue de l’administration en matière de recouvrement des droits de douane. La douane souhaitait s’en tenir à une conception plus théorique que pratique qui a été baptisée « le droit d’être entendu », terme qui prête à sourire quand on connaît les difficultés concrètes en pareille matière. (16)
Plusieurs amendements se référant à une avancée considérable du droit fiscal qui prône depuis longtemps l’exigence d’un véritable débat contradictoire n’ont été retenus par aucune des deux commissions des finances. On découvrira avec intérêt la formulation étonnante de l’article 67B du Code des douanes que ces deux commissions ont laissé passer. L’impression dominante est que les intérêts budgétaires ont encore trop souvent la priorité.
« Lorsque la décision envisagée porte sur la notification d’une dette douanière à la suite d’un contrôle douanier, la communication des motifs mentionnée à l’article 67 A peut être faite oralement par tout agent des douanes. La personne concernée est invitée à faire connaître immédiatement ses observations, de la même manière. Elle est informée qu’elle peut demander à bénéficier d’une communication écrite dans les conditions prévues au même article 67 A.
La date, l’heure et le contenu de la communication orale mentionnée à l’alinéa précédent sont consignés par l’administration des douanes. Cet enregistrement atteste, sauf preuve contraire, que la personne concernée a exercé son droit de faire connaître ses observations ».
Outre les arrêts rendus récemment par la Cour européenne en matière de garde à vue (18), le législateur pourra utilement s’inspirer de trois décisions qu’elle a rendues le 25 février 1993. Pour reprendre les termes de D. Viriot-Barrial : « Une fois encore, c’est une instance extra-nationale qui rappelle à l’ordre nos instances nationales et confirme le fait que les droits des individus ne peuvent être négligés au profit de l’efficacité de la répression d’une délinquance somme toute disciplinaire. » (19)
Jean PANNIER
jean.pannier chez gmail.com
Docteur en droit
Avocat à la Cour de Paris
http://contentieux-fiscal-et-douani...
(1) Décision n° 2010 14/22 QPC du 30 juillet 2010
(2) Loi n°87-502 du 8 juillet 1987 modifiant les procédures fiscales et douanières
(3) Cass. crim. 1er mars 1994, Bull. crim. n° 80 ; Rev. sc. crim. 1994, p. 721 chr. M.-J. Arcaute-Descazeaux ; JCP 1994, éd. E. I. 390 chr. n°8
(4) Cass. crim. 7 mars 1994 ; Bull. crim. n° 89 ; D. 1994, 188 note J. Pradel
(5) Cass. crim. 4 décembre 1997, Bull. Crim . n° 416
(6) Cass. crim. 11 décembre 1997, Bull. crim. n° 424
(7) Cass. crim. 30 juin 1999, Bull. crim. n° 169 ; rev. sc. Crim. 1999 p. 843 obs. Commaret
(8) Cass. Crim. 24 mai 2000, Bull. Crim. n° 201
(9) Cass. crim. 22 octobre 2002, Gaz. Pal. Rec. 2003, Jur. p. 2419, note Y. Monnet ; D. 2002, IR p. 3242 note X.
(10) Cass. crim. 22 février 2006, Bull. crim. n° 53 ; Gaz. Pal. Rec. 2006 somm. p. 1323 note A.C. ; RTD Com. 2006 p. 684 obs. B. Bouloc
(11) CEDH (5e sect.) 10 juillet 2008 n° 3394/03 D. 2008 p. 3055 ;
(12) Voir également Cass. crim. 17 septembre 1991, Gaz. Pal. Rec. 1992 jur. p. 585, note J. Pannier
(13) D. 9 septembre 2010 n° 30 p. 1949
(14) D. 2 septembre 2010 n° 29 p. 1928
(15) Décision n° 83/164 du 29 décembre 1989
(16) J. Pannier, Le casse-tête du remboursement des droits de douane, D. 2010, Chron. p. 1648
(17) Rédaction issue de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, article 25
(18) CEDH, 13 oct. 2009, Danayan c/Turquie, D. 2009 p. 2897, note J.-F. Renucci ; AJ Pénal 2010, 27 étude C. Saas ; Rev. sc. crim. 2010, 231, obs. D. Roets
(19) D. Viriot-Barrial, La preuve en droit douanier et la Convention européenne des droits de l’homme, Rev. sc. crim. 1994 p. 537 .
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