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La Médiation familiale face à la capture d’enfant. Par Alain Bouthier et Laurence Dardel, Médiatrice
Parution : lundi 9 mai 2011
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Prochainement à la Cour d’appel de Paris, les magistrats auront à décider du fondé ou mal fondé d’un appel interjeté sur une décision du TGI de Créteil en matière familiale. Faute d’avoir pu faire évoluer la situation très conflictuelle entre les parents, plusieurs services mandatés par les magistrats de plusieurs tribunaux au cours de dix années de procédures, s’étaient soit défaits de leurs missions, soit donné des objectifs de renouvellements au regard des souffrances croissantes de deux enfants. Les conflits interparentaux interminables et destructeurs ont pour source l’incapacité de partager des responsabilités parentales à deux, la Cour d’appel aura à regarder quels outils mandater pour sortir de l’impasse.

Prochainement à la Cour d’appel de Paris, les magistrats auront à décider du fondé ou mal fondé d’un appel interjeté sur une décision du TGI de Créteil en matière familiale.

Le juge aux affaires familiales de Créteil a décidé en novembre 2010 qu’une mère de famille coupée de ses deux enfants depuis plusieurs années, bénéficierait d’un droit de visite et d’hébergement de deux mois continus au moins, soit même de l’intégralité des vacances scolaires d’été 2011. Pour les petites vacances, le magistrat a décidé la solution du partage par moitié entre les parents qui résident à 800 km l’un de l’autre. Il est précisé dans l’ordonnance de Créteil que la résidence des deux garçons, respectivement âgés de 14 et 11 ans, serait fixée chez la mère durant la totalité des vacances d’été.

S’appuyant sur d’anciens dossiers et sur les rapports des intervenants de divers organismes d’assistance éducative, le père des enfants re-saisissait en décembre 2010 le juge des enfants de Créteil. Faute d’avoir pu faire évoluer la situation très conflictuelle entre les parents, plusieurs services mandatés par les magistrats de plusieurs tribunaux au cours de dix années de procédures, s’étaient soit défaits de leurs missions, soit donné des objectifs de renouvellements au regard des souffrances croissantes des deux enfants. Seuls les services éducatifs de Créteil informaient le juge des enfants d’avoir à poursuivre une mission de type AEMO malgré l’échec évident de toutes les tentatives d’apaisement du conflit parental.

A ce jour le juge des enfants n’a pas rendu sa décision afin de ne pas heurter celle du juge aux affaires familiales. Selon le dire du Président du TGI de Créteil, il est en toute priorité indispensable de respecter et faire respecter le cadre fixé par le juge aux affaires familiales, sans que celui-ci puisse être modifié en cas de désaccord parental. Ce cadre, précise-t-il dans un courrier adressé à la mère des enfants qui tient très à cœur la décision du juge aux affaires familiales, ne peut être modifié qu’en cas d’accord parental.

A de nombreuses reprises durant dix années, les deux enfants présentés, en application de leurs droits, à des auditions, ne révèlent que troubles, souffrances et difficultés, peines à formuler un choix strict entre le père et la mère. Leur père, inspiré par d’anciens textes qui retiraient l’entière responsabilité parentale à celui des deux conjoints présenté aux magistrats comme « le mauvais », satisfait sa tradition familiale et demande habilement que les enfants soient confiés à sa « garde exclusive ».

C’est ainsi que certains conflits interparentaux interminables et destructeurs ont pour source l’incapacité de partager des responsabilités parentales à deux. L’un des deux parents, bloquant toute analyse de ses croyances et peurs fondatrices de l’exclusion de l’autre parent, organisant sa monoparentalisation, élabore tous ses discours, y compris ses consignes aux enfants, ses exposés aux intervenants, pour conduire les institutions à douter des capacités et qualités parentales qui ne sont pas les siennes.

Les peurs, rendent fréquemment les communications parentales difficiles alors que la construction du lien parental doit être axé sur la responsabilité basée sur la confiance entre père et mère. Dans ce cas dont la Cour d’appel de Paris va traiter la future trajectoire après plusieurs dizaines de procédures n’ayant rien résolu du conflit parental, nous savons que la peur d’un des parents, quasi inexplicable, voire inexpliquée, et changeante ou à facettes, s’est imprimée chez un des deux enfants, l’aîné, au point même d’en dénier ses affects pour la mère. Ce garçon est écarté de sa mère, selon ses dires et non pas ses désirs profonds et affects, le père exprimant « sa peur de la mère ».

L’enfant est conduit à rejeter l’autre parent autrefois aimé. L’enfant prend parti pour l’un et se coupe de l’autre, jusqu’à devenir agressif et hostile contre ce dernier. Sa vision devient manichéenne et clivée. Ces comportements sont les effets d’une manipulation essentiellement inconsciente des affects de l’enfant par le parent aliénant. L’ hostilité, la détermination même de l’enfant à se comporter de façon agressive, empêchent le parent rejeté d’exercer son droit de visite et d’accueillir l’enfant. Mais est-ce toujours la volonté de l’enfant qui s’exprime ? A-t-il conservé son libre-arbitre ?

Excepté les cas dits "légers", dont la résolution spontanée est possible, aucune de ces situations très détériorées ne se résout sans l’aide de mesures judiciaires et psychologiques appropriées. L’enfant ayant "choisi son camp", la rupture du lien avec l’un des parents peut être durable, sinon définitive.

L’analyse à partir de ces deux questions au moins, est nécessaire pour guider la décision judiciaire et répondre à une troisième question, la plus
délicate : faut-il ou non respecter la volonté apparente des enfants ?

Les procédures judiciaires familiales, aux règles strictes et lourdes, s’éternisent et lassent les enfants, paupérisent davantage les situations familiales des parents qui n’exercent pas de co-parentalité. Le conflit parental et les conflits qui surgissent alternativement entre les enfants et leurs deux parents, ne peuvent s’atténuer que par l’agir communicationnel, tel qu’il peut être développé en médiation familiale et étalé dans le temps, et non pas seulement par la confrontation dans des instantanés instaurés par le juridique. En effet, le cabinet du juge est le lieu quotidien où sont recueillies les difficultés pratiques d’application du principe de co-parentalité, si les parents n’ont pas pris toute la mesure de sa portée, soit par négligence, désinformation ou ignorance, soit par intention délibérée de nuire à l’autre parent.

Plutôt que d’aller dans une construction parentale qui suppose deux parents d’accord pour rencontrer un médiateur familial, l’institution judiciaire a été
acquise récemment au principe de pouvoir enjoindre les parties à s’informer auprès d’un médiateur familial, non sans savoir que souvent, un seul des deux parents en forme pleinement la demande.

Utilisée de façon croissante, comme outil de prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, de la protection de ses droits en matière familiale, la médiation familiale est un mode de résolution des conflits intéressant à exploiter, à la condition d’un développement des services et organismes spécialisés donnant au médiateur familial les moyens de son autonomie, de son indépendance, et de la nécessité de s’entourer d’une équipe ou d’un équipage en perfectionnement et formation constante. Ceci pour faire face aux diversités des ressentis et des affects qui façonnent les multiples formes de relations des parents et percutent l’enfant dans ses fragilités.

Dans un contexte d’emprise, les faits s’enchaînent et l’entourage moins proche ne réalise pas ce qui se passe. Par acquiescement passif et plus le temps s’écoule, plus le conflit parental se cristallise autour de la position de l’enfant fermé à l’un de ses parents, et plus il est difficile de revenir en arrière. La banalité du mal* s’inscrit dans les constats repris par les acteurs socio-judiciaires, cautionnant la parole de l’enfant extraite et interprétée comme détermination rationnelle ayant toute sa valeur juridique. Chacun entérine cette vision enfantine du monde avec un parent exclu comme par effet de loi, plus souvent dans l’exclusion du père que celle de la mère. L’enfant grandit dans une double identification, à son parent symbolique absent souvent représenté comme l’agresseur, et à son parent perçu comme son seul protecteur. Certains acteurs de l’appareil judiciaire et nombre de services éducatifs mandatés par les juges, l’admettent encore, bien que l’on sache que l’enfant risque de manquer de discernement et d’esprit critique, même arrivé à l’âge adulte, sur ce qui n’aura pas contribué à le construire et qu’il ne connaît pas ou plus.

Les magistrats doivent mesurer l’importance de leur décision qui peut réduire à néant la relation parentale et familiale, et aussi les conséquences psycho-affectives sur l’enfant en construction. Peu de structures actuelles de médiation familiale, habilitées par les TGI, proposent la disponibilité d’équipe multi ou pluridisciplinaire et de co-médiation en capacité d’investiguer, analyser et dissoudre des archaïsmes de peurs parentales. Un parent restant inscrit dans ses peurs, ses craintes, ses résistances, ses oppositions, parfois ses rancunes et ses haines, ses rancœurs et ses vengeances, tend à voir l’enfant comme sujet de droit irréfutable afin de le rallier à des affects et des jugements en sa faveur exclusive.

Cette appropriation, cette capture de l’enfant, peut devenir un enjeu important, soit parce qu’elle permet de détruire moralement l’ex-conjoint, soit parce qu’elle permet d’obtenir un contrat moral d’éducation exclusive avec l’enfant. Selon Paul BENSUSSAN, Expert psychiatre national auprès de la Cour de Cassation, l’enfant devient alors victime et otage , « Il perçoit le parent aliénant comme victime et veut le soutenir tout en s’assurant du maintien du lien qui l’unit à celui-ci » .

Dans l’intérêt de l’enfant à bénéficier de liens avec ses deux parents, le processus de médiation familiale et de pacification des relations parentales, impliquant un adolescent en conflit parental, devra s’entendre avec des connaissances psychologiques et une grande pratique de l’écoute. Par rapport à une audition judiciaire de mineur non à négliger, les temps d’écoutes pourront être approfondis et des mises en relation avec chacun des parents effectuées. Si le mineur en est d’accord et si les parents acceptent de participer à la médiation familiale basée sur l’autorité parentale conjointe, le processus de médiation familiale pourra venir en complémentarité et soutenir la recherche de solutions en impliquant les pleines responsabilités parentales.

- Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, Trad. Fr. 1987, rééd. Fayard, 2001 Tome 1, 90-120.

- Bénédicte Goudard, Le syndrome d’aliénation parentale, Thèse Faculté de médecine Lyon Nord, 7-41.

- * Concept philosophique proposé par Hannah Arendt en 1963 dans son ouvrage Eichmann à Jérusalem - Rapport sur la banalité du mal.

- Site de Parents-Enfants-Médiation

Alain Bouthier & Laurence Dardel, Médiatrice. Centre PEM - Parents-Enfants-Médiation [->pem.mediation@wanadoo.fr]