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Un remède à l’adoption pour les pays musulmans : la kafala… …mais que signifie cette notion ? Par Nisrine Ez-Zahoud, Avocat
Parution : mercredi 18 mai 2011
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Il ne fait aucun doute que l’intérêt de l’enfant dans le cadre d’une adoption doit primer.

Si c’est le cas en droit interne, la réciproque est tout aussi vraie en matière d’adoption internationale. L’intérêt supérieur de l’enfant constitue et doit constituer le souci majeur des autorités compétentes.

L’intérêt de l’enfant d’un pays étranger doit nécessairement se déterminer au regard de la situation particulière de cet enfant... Le principe est clair à cet égard, et la Cour de cassation comme il en a été fait rappel dans un précédent article "la kafala n’est pas une adoption", le rappelle systématiquement dans ses décisions.

Lorsqu’un couple candidat à l’adoption, envisage l’adoption d’un enfant musulman, la situation est différente et on ne parlera pas d’adoption au sens du droit français.

Je vous propose ci-après une approche et une définition de l’institution que connait le droit musulman : la « kafala ».

En droit musulman l’adoption d’un enfant (en arabe « Attabanni »), n’est donc pas une notion juridique connue et reconnue au sens du droit français.

Sans entrer dans un quelconque discours religieux, mais simplement à titre d’information, cette prohibition trouve sa source dans le Coran à la Sourate 33 « Les coalisés » (Al-Ahzab) – Verset 5 « Appelez-les du nom de leurs pères ; c’est plus équitable devant Allah. Mais si vous ne connaissez pas leurs pères, alors considérez-les comme vos frères en religion ou vos alliés (…) ».

Un enfant musulman ne peut donc porter un autre nom que celui de son père biologique !

Note  : ceci n’est pas évident à concevoir lorsque l’on sait que :

- l’adoption plénière entraîne une rupture totale des liens de filiation de l’enfant avec sa famille d’origine et qu’elle emporte changement de nom de l’adopté ;
- que dans le cadre de l’adoption simple, l’enfant adopté conserve tous ses droits dans sa famille d’origine. Il portera son nom suivi du nom de l’adoptant, ou seulement le nom de l’adoptant si la demande est faite en ce sens. Dans le cas où l’enfant a plus de 13 ans, son consentement est requis non seulement pour le changement de nom mais aussi pour l’adoption elle-même.

Nonobstant donc cette prohibition, l’Islam qui porte l’enfant à un rang élevé, a introduit la notion de « recueil légal » mieux connue par tous sous le nom de « kafala  ».

Après ces nécessaires propos introductifs, j’en arrive donc à la définition de l’institution qu’est la « kafala ».

La « kafala » musulmane, qui ne peut être assimilée ni à une adoption plénière ni même à une adoption simple – se définie classiquement comme étant l’engagement de prendre bénévolement en charge un enfant mineur sans pouvoir créer un quelconque lien de filiation. Cet engagement consiste pour le titulaire du droit « le Kafil  » à assurer l’entretien, l’éducation et la protection de l’enfant mineur « le Makfoul » jusqu’à sa majorité.

Si le principe veut que l’engagement pris, cesse de plein droit à la majorité de l’enfant, la pratique est tout autre…

Cela étant, au regard du droit français, la « kafala » pourrait se rapprocher d’une délégation d’autorité parentale ou une tutelle au profit du parent nourricier, sans toutefois altérer la filiation.

Si le principe veut que les pays de droit musulman prohibent l’institution de l’adoption, c’est à l’exception de – la Turquie, la Tunisie, la Somalie, le Liban et l’Indonésie – qui ont insérés dans leurs droits internes la notion d’adoption telle que la connait le droit français.

Etant sensible à la législation marocaine, c’est le cas du Maroc, et donc la « Kafala marocaine », que je vais évoquer dans les grandes lignes :

Il n’y a pas d’adoption au Maroc, pays de droit musulman, comme rappelé précédemment, mais depuis la loi du 13 juin 2002, le Royaume du Maroc a légiféré et institué deux types de recueil : outre la kafala , il y a aussi l’adoption dite de Gratification ou testamentaire mieux connue sous le terme Tanzil  :

S’agissant de la Kafala, on trouve :

- la « kafala judiciaire » : par laquelle les époux prennent en charge les enfants abandonnés définitivement ;
- au contraire de la « kafala notariale » qui ne concerne que les enfants dont les parents sont connus.

Pour la kafala notariale , la personne souhaitant adopter un enfant sous cette forme, doit obtenir le consentement exprès des parents de l’enfant.

S’agissant de la kafala judiciaire, l’adoptant doit s’adresser aux services de l’assistance publique. L’enfant recueilli peut être de filiation connue ou inconnue, mais il est définitivement abandonné.

Si la kafala notariale est rédigée par un notaire, la kafala judiciaire est, quant à elle, délivrée par un Juge.

Si l’enfant pris en kafala doit quitter le territoire du Maroc définitivement ou temporairement, un suivi est assuré ensuite par les autorités consulaires du pays d’accueil, sous couvert de son autorité principal : le Consul Général en poste. Cette disposition on l’a retrouve dans la loi du 13 juin 2002 à l’article 24 alinéa 3.

S’agissant du Tanzil, et suivant l’article 149 de la Moudawana (Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant code de la famille :

« L’adoption Attabani est juridiquement nulle et n’entraîne aucun des effets de la filiation parentale légitime. L’adoption dite de gratification (Jaza) ou testamentaire (Tanzil), par laquelle une personne est placée au rang d’un héritier de premier degré, n’établit pas la filiation paternelle et suit les règles du testament (Wassiya) ».

Là encore, une forme d’adoption qui ne créée pas de filiation.

Avec la loi n° 97-99 relative à l’état civil (Dahir n° 1.02-239 du 03/10/2002 dans son article 20), on aurait pu espérer y voir une nouvelle considération s’agissant de la création du lien de filiation.

Si cette loi, laisse désormais la possibilité au « kafil » (adoptant) de donner son nom au « makfoul » (l’enfant adopté), ce n’est que sous certaines conditions que l’enfant portera le nom du père, mais en aucun cas, il ne sera inscrit dans sa descendance ou dans son livret de famille.

Nonobstant donc cette réforme, le lien de filiation n’existe toujours pas. En se référent aux explications ci-dessus énoncées, c’est une évidence mais le fait que l’enfant puisse dans certaines conditions porter le nom du père adoptant, est en soit une belle avancée pour un pays musulman...

Enfin et à toutes fins utiles, au Maroc, tout le monde ne peut pas adopter un petit enfant marocain. En effet et suivant l’article 9 de la loi 15-01 relative à la prise en charge des enfants abandonnés, le recueil d’un enfant au Maroc, ne peut se faire que par des musulmans.

La kafala des enfants déclarés abandonnés par jugement est confiée à :

- des époux musulmans sous réserve de remplir les conditions légales ;

- la femme musulmane sous réserve de remplir les quatre conditions visées au paragraphe I du présent article ;

- aux établissements publics chargés de la protection de l’enfance ainsi que les organismes, organisations et associations à caractère social reconnus d’utilité publique.

Dès lors et au vu de ce texte, un couple non musulman : un couple français par exemple ne peut être un candidat potentiel à l’adoption au Maroc. Il n’est pas impossible de recevoir un jour comme client en son cabinet un couple français sans aucune autre nationalité, qui viendra nous rapporter qu’il s’est vu rejeter son dossier d’adoption au Maroc, d’où l’intérêt de cette précision.

Nisrine EZ-ZAHOUD Avocat au Barreau de Lille [->nisrine.ezz@gmail.com]