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La Cour d’Appel de Riom condamne la Caisse d’Épargne dans l’affaire Doublo Monde. Par Stéphane Andreo, Avocat
Parution : jeudi 19 mai 2011
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La Cour d’Appel de Riom considère que la publicité émise par la Caisse d’Épargne et relative au placement Doublo Monde est « digne des jeux de loteries publicitaires des commerces par correspondances ».

Le placement Doublo Monde est un fonds commun de placement (FCP) qui appartient à la catégorie dite des « fonds à formule », c’est-à-dire des placements dont l’objectif est d’offrir une performance conditionnelle définie en fonction de l’évolution d’un indice, d’un panier d’indices ou de valeurs ou d’une composante de ces indices ou valeurs.

En l’occurrence, la performance du placement Doublo Monde renvoyait à un panier de douze valeurs internationales, suivant un mécanisme d’une difficulté qui ne pouvait manifestement pas permettre au souscripteur moyen de le comprendre.

De nombreux clients de la Caisse d’Épargne ont été incités à contracter et à souscrire à ce placement sur la base d’une publicité, dont la présentation les a manifestement persuadés qu’ils allaient obtenir au moins un doublement de leur capital à l’échéance.

En fait, ils n’ont récupéré qu’un capital amputé des frais de gestion et ayant subi six années d’érosion monétaire, c’est-à-dire un capital qui, en euros constants, est donc largement inférieur à celui confié à la banque, six années auparavant.

Le placement Doublo Monde concernerait 266.547 épargnants et clients de la Caisse d’Épargne, d’après les chiffres publiés dans un communiqué de presse adressé à l’AFP le 21 juillet 2010, pour un encours collecté d’un montant global de 2.133.237.068 euros et des droits d’entrée perçus par la banque à hauteur de 29.925.494 euros.

Or, on peut légitimement penser, au vu des différents articles déjà parus dans la presse spécialisée, que ce placement a manifestement fait quasiment autant de mécontents que de souscripteurs, dans la mesure où le capital placé n’a pas doublé à l’issue de la période de placement, qui était de six ans.

En effet, les épargnants avaient souvent la certitude, notamment du fait de la plaquette publicitaire qui leur a été remise, que le capital placé allait effectivement doubler sur la période considérée et que ce doublement n’était même que le minimum escompté.

Ce dossier pose évidemment, de façon plus générale, le problème des pratiques commerciales des banques, dont le discours commercial ne reflète pas toujours la complexité de produits financiers complexes imaginés par des ingénieurs financiers, produits qui sont ensuite proposés à des clients n’ayant parfois aucune expérience et encore moins de connaissance théorique ou technique du fonctionnement des marchés financiers.

Les dérives de ces politiques commerciales sont fréquemment dénoncées dans la presse spécialisée et l’ont été dans un article de la revue Mieux Vivre Votre Argent du mois de décembre 2008 intitulé « Les pratiques commerciales douteuses des banques », ou dans un autre paru en janvier 2009 dans la même revue sous le titre « Tollé contre Doublo Monde », qui permettent de situer très exactement le contexte du litige et, notamment, les conditions de commercialisation du placement Doublo Monde.

Le Crédit Mutuel, qui a manifestement pris conscience de cette difficulté dans l’esprit du public, a d’ailleurs habillement communiqué, lors de l’une de ses récentes campagnes publicitaires, en mettant en avant le fait que ses chargés de clientèle ne sont pas commissionnés et en insistant sur le fait que « ça change tout ».

Or, les clients de la Caisse d’Épargne ont manifestement décidé de ne pas en rester là et ont multiplié les recours et plaintes de toutes sortes.

Un collectif, qui se fait appeler « Collectif Lagardère », a même été créé par un ancien salarié de la Caisse d’Épargne, anime un site internet et a déposé une plainte auprès de l’AMF et de la DGCCRF.

Durant l’été 2010, le placement Doublo Monde a fait les choux gras de la presse nationale, après que la DGCCRF ait manifestement rendu un rapport défavorable, accompagné d’un procès-verbal d’infraction, accusant la Caisse d’Épargne de « publicité mensongère » et l’ait transmis au Parquet de Paris.

La Caisse d’Épargne Loire Drome Ardèche a même été mise en examen par un juge d’instruction stéphanois, suite à la plainte d’un client de la banque.

Le quotidien lyonnais Le Progrès, en date du 13 juillet 2010, a publié un article relatif au placement Doublo Monde sous le titre « Caisse d’Épargne : On avait la pression sur ce placement », basé sur des témoignages de salariés de la banque, qui étaient manifestement soumis à une pression commerciale particulièrement forte.

En parallèle, suite à différentes plaintes formées par les clients de la Caisse d’Épargne, l’association UFC Que Choisir s’est également saisie du dossier (voir son communiqué du 9 juin 2009).

Pour autant, les décisions judiciaires favorables aux épargnants ne sont pas légions et ils ont même été souvent déboutés. Il est vrai que les épargnants ont parfois saisi des juridictions de proximité sans se faire assister ou représenter et sans développer d’argumentaire juridique.

Rappelons que les textes pouvant être invoqués sont généralement les articles L111-1 et L121-1 du Code de la Consommation, ou encore l’article L533-4 du Code Monétaire et Financier, dans sa rédaction applicable avant le 1er novembre 2007, pour les souscriptions antérieures à cette date.

Deux décisions de première instance ont néanmoins été rendues en faveur des épargnants.

La première par le Tribunal d’Instance de Cholet qui, par jugement du 28 mai 2010, a relevé que :

« Il ne peut qu’être constaté que la présentation succincte et particulièrement avantageuse du produit dans la plaquette publicitaire ne reflète que très imparfaitement les caractéristiques du produit, les possibilités réelles de rendement et les risques de perte. Au contraire, outre le nom du produit, il est promis par deux fois le « doublement » du capital, lequel doit se faire « en toute sérénité » et « sans risque », ce qui n’incite pas à la prudence qui doit présider pourtant à tout investissement boursier.

La finalité de cette publicité est à l’évidence d’emporter le consentement de clients qui n’ayant jusqu’alors effectué que des placements sécuritaires, ne sont pas avertis des avantages et inconvénients des placements en Bourse et qui se méfieraient spontanément de ce type de placement en raison de ses risques et aléas.

Le respect de l’obligation d’informer le client ne se réduit pas pour le banquier à porter à la connaissance du souscripteur la notice d’information approuvée par la COB lorsque, par ailleurs, il utilise d’autres instruments d’information des clients.

Le contour de cette obligation est défini par un ensemble de règles, précisées et éclairées par la jurisprudence. Il résulte de ces règles et notamment des règles de « bonne conduite » de l’article L533-4 du Code monétaire et financier et de la directive européenne 2004/39/CE du 21 avril 2009 que cette information doit être exacte, complète, claire et loyale. La responsabilité du banquier est donc mise en cause si cette information est inexacte, incomplète, ambigüe ou trompeuse.

Il apparaît donc suffisamment établi le manquement de la Caisse d’Épargne à son obligation d’information. »

Le Tribunal d’Instance de Cholet a donc clairement mis en cause la loyauté du document publicitaire remis aux épargnants.

La seconde décision qui a été rendue par le Tribunal d’Instance de Metz a également condamné la Caisse d’Épargne à propos du placement Doublo Monde, au mois de janvier 2011.

Par un arrêt du 20 avril 2011, la Cour d’Appel de Riom est également entrée en voie de condamnation à l’encontre de la Caisse d’Épargne et de Prévoyance d’Auvergne et du Limousin, après avoir constaté, notamment, le caractère trompeur de la publicité remise aux épargnants.

Il s’agit, à notre connaissance, de la première décision de condamnation rendue par une Cour d’Appel.

D’abord, la Cour a considéré que la notice d’information COB ne suggérait pas un doublement du capital placé, ce qui est tout à fait exact, puisque cette notice indique au contraire que le placement a pour objet de « garantir une valeur de remboursement minimum ».

Or, cet objectif de garantie minimum entre en contradiction avec celui de la plaquette publicitaire qui, pour sa part, met plutôt en évidence un objectif de doublement.

C’est d’ailleurs ce que la Cour de Cassation avait déjà indiqué, par un arrêt du 24 juin 2008, par lequel la haute Cour avait rappelé (dans un litige qui concernait la Caisse d’Épargne mais à l’occasion d’un autre placement) que :

« Attendu que la publicité délivrée par la personne qui propose à son client de souscrire des parts de fonds commun de placement doit être cohérente avec l’investissement proposé et mentionner le cas échéant les caractéristiques les moins favorables et les risques inhérents aux options qui peuvent être le corollaire des avantages énoncés. »

La Cour de Cassation avait alors posé deux exigences, l’une relative à la cohérence de la publicité avec le placement qu’il vise, l’autre relative à la mention des avantages et inconvénients de ce placement (ce qui renvoi clairement sur ce second point à l’article 314-11 du Règlement Général de l’AMF), et considère que lorsque ces deux conditions font défaut (ce qui sera donc nécessairement le cas si au moins l’une d’elle n’est pas respectée), alors :

« l’obligation d’information qui pèse sur ce professionnel ne peut être considérée comme remplie par la remise de la notice visée par la Commission des opérations de bourse lorsque la publicité ne répond pas à ces exigences. ».

Il ne s’agit en fait que de l’application au secteur boursier d’un adage civiliste classique (protestatio non valet contra actum) suivant lequel il n’est pas légitime en matière juridique de dire quelque chose et, en même temps, de faire le contraire.

C’est finalement ce que la Cour d’Appel de Riom retient dans son arrêt du 20 avril 2011 :

« Attendu que cette publicité fait preuve d’un manque de cohérence avec la notice d’information remise le jour de la signature en ce que la notion de doublement, affirmée dans la publicité, n’apparaît pas dans la notice ; »

La Cour d’Appel de Riom poursuit ensuite son raisonnement en comparant la publicité utilisée par la Caisse d’Épargne à celles habituellement utilisées par les sociétés de vente par correspondance à l’occasion de jeux concours :

« Attendu que cette notion de doublement – ou même plus – dans la publicité n’est pas mensongère, en ce sens qu’un tel doublement n’est pas exclu, selon les aléas des marchés boursiers ;

Attendu qu’il n’en demeure pas moins que cette publicité énonce un objectif présenté comme à l’évidence sinon acquis, et ce « en toute sécurité » ; qu’elle ne rappelle pas au minimum qu’en toute hypothèse tout se joue sur la fluctuation des marchés financiers dont la banque n’est pas maître ; que cela rend déloyale l’affirmation d’un doublement présenté sinon comme acquis ou certain, du moins accessible avec un degré de probabilité important ; que cette probabilité quasi certaine de doublement provient d’un nom significatif (Doublo Monde) et de formules publicitaires dépourvues, dans leur formulation grammaticale et syntaxique, de doute sur le résultat ; que la publicité doit être cohérente avec l’investissement proposé ; que tel n’est pas le cas en l’espèce ; que l’absence de loyauté de ces documents publicitaires – dignes de jeux de loteries publicitaires des commerces par correspondances – mais qu’une banque ne saurait se permettre – constitue une faute dont un client non spécialiste est en droit d’obtenir réparation ; »

On regrettera néanmoins, malgré la dureté de ces attendus, qui comparent la publicité éditée par la Caisse d’Épargne concernant son placement Doublo Monde à une vulgaire loterie publicitaire digne de celles pratiquées par des sociétés de vente par correspondance, la faiblesse de l’indemnisation offerte aux épargnants, qui s’avère purement symbolique puisque limitée, sans la moindre explication, à une somme de l’ordre de 3 % des sommes placées (mais sur six ans !), ce qui, à l’évidence, est difficilement compréhensible par le justiciable.

Gageons néanmoins que ce premier arrêt d’appel rendu dans l’affaire Doublo Monde, qui stigmatise le caractère trompeur de la plaquette publicitaire remise aux clients et met en évidence son incohérence par rapport à la notice COB, ouvrira la voie à d’autres juridictions, qui feront peut-être preuve de plus d’audace dans l’appréciation des dommages et intérêts qu’il convient d’allouer aux victimes de ce produit financier.

Stéphane ANDREO, Avocat [->www.stephaneandreo.fr]