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Briser le silence pour avoir le droit de se taire.
Parution : vendredi 3 juin 2011
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« Vous avez le droit de garder le silence. Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous au procès. » (« You have the right to remain silent, anything you say will be used against you in court »). Rendue célèbre en France grâce au martèlement des séries policières américaines, la notification du droit au silence est l’élément primordial de la procédure pénale aux Etats-Unis. Il s’agit d’un droit fondamental, consacré par les textes internationaux et sans cesse réaffirmé par la jurisprudence. Pourtant en France, une personne interrogée ne peut compter que sur la pédagogie d’Horatio Caine ou de l’agent spécial Gibbs pour connaître ses droits. Une situation qui devrait changer face aux récents bouleversements des règles de garde à vue.

Aux Etats-Unis : un droit profondément ancré

Le silence de Dominique Strauss Kahn durant les premières heures suivant son arrestation a été souligné par l’ensemble des médias français. L’obligation de signifier le droit au silence découle du droit de ne pas témoigner contre soi-même, inscrit au cinquième amendement de la Constitution américaine et a été clairement dégagée par la Cour Suprême dans un arrêt Miranda Vs Arizona dès 1966. Depuis cette date, l’officier de police doit avertir toute personne appréhendée de son droit à garder le silence et de son droit à la présence d’un avocat.
Pour autant, le droit au silence aux Etats-Unis n’est pas absolu. Sans même aborder la question de la torture, ce droit fondamental est atténué dans certaines affaires de sécurité publique. Il est également envisagé de le supprimer dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

En France : un droit existant mais à l’effectivité limitée

En France, le droit de se taire ou droit au silence existe… en théorie. La loi du 18 mai 2003 pour la sécurité intérieure a supprimé l’obligation d’information de ce droit de la défense, le vidant ainsi de toute substance. En effet, la majorité des personnes interrogées dans le cadre des gardes à vue « ancienne formule », ne bénéficiant pas non plus de l’assistance de leur avocat, ne connaissaient pas leurs droits. Le résultat est donc bien loin des objectifs concrets et pragmatiques de la CEDH.

La situation devrait changer à l’avenir à la suite de la prise en compte par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation des condamnations européennes de la France pour atteinte à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. La loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue et dont l’entrée en vigueur a été anticipée par la Cour de cassation dispose que :

« Art. 63-1.-La personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire […] Du fait qu’elle bénéficie : […] du droit, lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire. »

Les quatre arrêts rendus en début de semaine par la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire insistent d’ailleurs très fortement sur l’importance de la notification du droit de se taire même si en l’espèce c’est davantage l’absence de l’avocat qui semble avoir entraîné la nullité des actes subséquents à la garde à vue. La chambre criminelle de la Cour de Cassation a ainsi considéré que :

« Vu l’article 6§3 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
Attendu qu’il se déduit de ce texte, que toute personne, placée en retenue douanière ou en garde à vue, doit , dès le début de ces mesures, être informée de son droit de se taire
[…] »
(Chambre criminelle, Cour de cassation, 31 mai 2011, arrêts n°2673, 2674, 3049 et 3107).

Si l’on suit le raisonnement développé, le fait de ne pas avoir été informé de son droit de se taire pourrait, à l’instar du fait de ne pas avoir pu bénéficier de la présence de son avocat, entacher de nullité tous les actes subséquents à la mesure privative de liberté, et ce même pour les gardes à vue ayant eu lieu avant le 15 avril 2011.

Consultez les articles déjà parus sur ce thème :
- La Cour de cassation de baisse pas la garde.
- Assistance de l’avocat en garde à vue et droit au silence : un utile rappel des principes adressé à la France, par Thomas Caussaint ;
- La France condamnée pour violation des droits de garder le silence et à l’assistance d’un avocat, par Anthony Bem.

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Sarah-Louise Gervais Pour la rédaction du Village de la Justice