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Comment réduire l’encombrement des Conseils de prud’hommes ? Par Alain-Christian Monkam, Avocat
Parution : mardi 14 juin 2011
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On est tous unanimes, depuis plusieurs années, pour se plaindre de l’encombrement des Conseils de prud’hommes, et à juste raison ! Si on en croit un récent tract syndical de Force Ouvrière, le délai moyen pour obtenir un jugement prud’homal dans le ressort de la Cour d’appel de Paris dépasse actuellement 16 mois (10 mois en moyenne nationale). Ce n’est pas étonnant lorsque l’on constate que les Conseils de prud’hommes sont submergés chaque année par près de 230.000 affaires nouvelles et que le volume du contentieux prud’homal connait chaque année une croissance à deux chiffres (près de 13 %).

Pourtant, les solutions afin de désengorger les Conseils de prud’hommes sont multiples. Le droit du travail anglais, défavorablement considéré en France (et à tort), pourrait inspirer le législateur français. Au Royaume Uni, la protection contre les licenciements sans cause réelle et sérieuse n’est accordée qu’aux salariés disposant d’une ancienneté d’au moins une année dans l’entreprise considéré. En d’autres termes, un salarié ne peut saisir un Employment Tribunal pour contester le motif de son licenciement que s’il totalise une année d’ancienneté (section 108 of the Employment Rights Act 1996). Le Gouvernement conservateur de David Cameron entend aller encore plus loin car il vient d’introduire un projet de réforme visant à porter cette condition d’ancienneté (Qualifying Period of Employment) de 1 à 2 ans. Cette condition d’ancienneté est heureusement écartée dans certains cas, comme en matière de discrimination.

La transposition d’une telle législation en France aurait le mérite de dégonfler rapidement le volume du contentieux prud’homal. En effet, d’après les statistiques établies par le Ministère de la Justice, la contestation du motif du licenciement représente près des 3/4 des saisines du Conseil de prud’hommes.

Certains seront surpris de savoir que la législation anglaise, mentionnée ci-dessus, existe déjà à l’état embryonnaire au sein de la législation française ! En effet, l’article L. 1235-5 du Code du travail énonce que :
« Ne sont pas applicables au licenciement d’un salarié de moins de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, les dispositions relatives :

1°aux irrégularités de procédure, prévues à l’article L. 1235-2 ;

2°à l’absence de cause réelle et sérieuse prévues à l’article L. 1235-3 ;

3°au remboursement des indemnités de chômage, prévues à l’article L. 1235-4.

Le salarié peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnisation correspondant au préjudice subi ».

Concrètement, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, un salarié ne bénéficie d’une indemnisation minimale de 6 mois de salaires que s’il justifie d’une ancienneté d’au moins 2 années dans une entreprise d’au moins onze salariés. En conséquence, un projet de loi supprimant la dernière phrase ci-dessus, « le salarié peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnisation correspondant au préjudice subi », pourrait conduire à réserver la sanction d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse aux seuls salariés disposant d’au moins deux ans d’ancienneté…

Certains pourraient soupçonner que sous le prétexte louable de vouloir soulager la charge des Conseils de prud’hommes, cette réforme viserait à réintroduire, sans le dire, le défunt CPE (Contrat Premier Embauche). Effectivement, l’article 8 de la loi du 31 mars 2006, acte de naissance du CPE, excluait maladroitement l’application de plusieurs dispositions du Code du travail, dont celles sur l’exigence de motivation du licenciement, pendant une période de deux ans dite de consolidation du contrat.

Un tel soupçon ne serait cependant pas totalement dénué de pertinence. En effet, le débat sur l’encombrement des Conseils de prud’hommes n’est-il pas le même que celui sur les nécessités d’une plus grande souplesse de la relation de travail ?

Alain-Christian Monkam Employment Solicitor et Avocat - Londres/Paris https://monkam.uk/