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Les barrières à l’information, synthèse.
Parution : jeudi 16 juin 2011
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Les décisions de la Commission des sanctions de l’AMF relatives aux manquements aux obligations déontologiques liées à la prévention des conflits d’intérêts se multiplient et révèlent ainsi l’attention particulière que porte la Direction des enquêtes et de la surveillance des marchés au respect des obligations pesant sur les Prestataires de Services d’Investissement.

Le traitement traditionnel des conflits d’intérêts dans le monde bancaire passe d’une part, par la mise en place d’organisations professionnelles propres à définir une déontologie et à la faire respecter, mais également par l’instauration de séparations juridiques ou organisationnelles visant à établir des « murailles de Chine » entre les personnes susceptibles d’être placées en situation de conflit d’intérêts.

Article proposé par le Master 2 Droit pénal financier Cergy-Pontoise.

Définition et intérêt de la notion...

La définition des barrières à l’information livrée par Martine Kloepfer Pelëse [1] permet de mettre en lumière la substance et la finalité de ce deuxième type d’exigence au sein des entreprises prestataires de services d’investissements (PSI) : « les procédures appelées « murailles de Chine » ou encore barrières à l’information consistent, d’une manière générale, en des barrières physiques, procédurales ou informatiques permettant de cloisonner l’information et d’encadrer la circulation de l’information privilégiée, tant à l’intérieur et à l’extérieur d’un groupe, qu’au sein des différentes activités d’une même entreprise qualifiée d’indépendante. » Ce dispositif prend donc la forme d’une stricte séparation des tâches et des fonctions, et en particulier l’autonomie des activités potentiellement conflictuelles. La finalité générale de cette obligation est de créer une étanchéité au sein des services du PSI, qui se traduit par une séparation tangible fonctionnelle et hiérarchique des entités susceptibles de générer des conflits d’intérêts.

Le conflit d’intérêts, défini de manière large par le Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC) comme « une situation dans laquelle une personne employée par un organisme public ou privé possède, à titre privé, des intérêts qui pourraient influer ou paraître influer sur la manière dont elle s’acquitte de ses fonctions et des responsabilités qui lui ont été confiées par cet organisme » [2], n’épargne pas les PSI.

Ainsi, s’il fallait fournir une typologie des risques de survenance de conflits d’intérêts dans le cadre de la commercialisation des produits financiers, deux types de cas se distingueraient comme suit :
- lorsqu’il existe un conflit entre le prestataire ou les personnes qui lui sont liées et ses clients ;
- lorsqu’il existe un conflit entre des clients du même prestataire.

Dans ces cas précis, la notion d’« intérêt personnel » sera évidemment entendue de façon large. Celui-ci pourra prendre la forme soit d’un intérêt direct pour la personne influencée, soit d’un intérêt pour quelqu’un de sa famille ou de ses proches. La notion « d’intérêt privé » permettra également d’envisager toute hypothèse où l’objectivité du professionnel ne serait pas assurée.

Partant du constat que des conflits d’intérêts sont susceptibles de naître au sein des PSI, il s’avère nécessaire d’encadrer ce risque par des procédures efficaces. Il s’agit d’imposer des mesures préventives en amont, mais également de prévoir les règles de comportement à adopter dans le cadre de la « gestion des conflits d’intérêts » et enfin d’imposer une procédure de révélation si finalement, en dépit des précautions prises, le conflit d’intérêts parvenait à s’imposer.

Ces procédures sont donc bien divisées en trois catégories :
- Les procédures dites de « prévention » nécessitant la mise en place de « mesures raisonnables » tel que le fait d’identifier les situations à risque et les personnes concernées.
- Les procédures dites de « gestion des conflits » dans lesquelles interviennent les barrières à l’information.
- La procédure de « révélation » qui impose aux PSI qui n’ont pu éviter le conflit d’intérêts d’informer le client de l’existence de celui-ci.

Réglementation.

Les législateurs européen et français puis, par la suite le régulateur, ont chacun mis en place, par une réglementation plus ou moins détaillée, les obligations qui incombent à tout PSI en matière de barrières à l’information.

Comme bien souvent en la matière, l’impulsion de cette réglementation est d’origine européenne. C’est, en effet, la directive MIF [3] qui est venue imposer la mise en place d’un dispositif visant à éviter que les conflits d’intérêts ne lèsent les intérêts des clients. Le droit français, à l’article L533-10 du Code monétaire et financier, a par la suite transposé cette exigence en prévoyant l’obligation pour le PSI de «  prendre toutes les mesures raisonnables pour empêcher les conflits d’intérêts de porter atteinte aux intérêts de leurs clients ». Ces textes restaient cependant très flous sur les moyens à utiliser pour atteindre cet unique objectif, à savoir monter un véritable mur entre le détenteur de l’information et les tiers. Le Règlement général de l’AMF est venu préciser la nature des mesures à adopter dans le cadre de la gestion de ces conflits d’intérêts :

« 1° Des procédures efficaces en vue d’interdire ou de contrôler les échanges d’informations entre les personnes concernées exerçant des activités comportant un risque de conflit d’intérêts lorsque l’échange de ces informations peut léser les intérêts d’un ou de plusieurs clients ;

2° Une surveillance séparée des personnes concernées dont les principales fonctions consistent à exercer des activités pour le compte de certains clients ou à leur fournir des services lorsque les intérêts de ces clients peuvent entrer en conflit, ou lorsque ces personnes concernées représentent des intérêts différents, y compris ceux du prestataire, pouvant entrer en conflit ; […]

5° Des mesures visant à interdire ou à contrôler la participation simultanée ou consécutive d’une personne concernée à plusieurs services d’investissement ou connexes ou autres activités lorsqu’une telle participation est susceptible de nuire à la gestion adéquate des conflits d’intérêts ; […]  »

Dans le cadre de la prévention des abus de marché, l’article 315-15 du Règlement général de l’AMF prévoit également, en complément, la mise en place de « barrières à l’information » pour éviter la circulation d’informations privilégiées :

«  Le prestataire de services d’investissement établit et garde opérationnelles des procédures appropriées de contrôle de la circulation et de l’utilisation des informations privilégiées au sens des articles 621-1 à 621-3 en tenant compte des activités exercées par le groupe auquel il appartient et de l’organisation adoptée au sein de celui-ci. Ces procédures dites « barrières à l’information » prévoient :

1° L’identification des secteurs, services, départements ou toutes autres entités, susceptibles de détenir des informations privilégiées ;

2° L’organisation, notamment matérielle, conduisant à la séparation des entités au sein desquelles des personnes concernées mentionnées au II de l’article 313-2 sont susceptibles de détenir des informations privilégiées ;

3° L’interdiction, pour les personnes concernées détentrices d’une information privilégiée, de la communiquer à d’autres personnes sauf dans les conditions prévues au 1° de l’article 622-1 et après information du responsable de la conformité ;

4° Les conditions dans lesquelles le prestataire de services d’investissement peut autoriser une personne concernée affectée à une entité donnée à apporter son concours à une autre entité, dès lors qu’une de ces entités est susceptible de détenir des informations privilégiées. Le responsable de la conformité est informé lorsque la personne concernée apporte son concours à l’entité détentrice des informations privilégiées ;

5° La manière dont la personne concernée bénéficiant de l’autorisation prévue au 4° est informée des conséquences temporaires de celles-ci sur l’exercice de ses fonctions habituelles.

Le responsable de la conformité est informé lorsque cette personne retrouve ses fonctions habituelles. »

D’autres règles spéciales concernant les barrières à l’information sont précisées ponctuellement dans les textes. Le Règlement général de l’AMF encadre notamment « l’exception » à cette interdiction de communication. A titre d’exemple, le PSI peut être autorisé à franchir cette barrière pour apporter son concours à une autre entité. La principale contrainte est que cette communication se fera sous le contrôle du responsable de conformité.

Critiques portées à cette réglementation...

S’il paraît évident que la prévention et la bonne gestion des conflits d’intérêts constitue, au delà des exigences légales, un véritable atout pour le PSI, nombreux ont été les professionnels à critiquer cette réglementation.

Le débat porte notamment sur l’absence de précision dans la description des mesures concrètes à adopter afin de se conformer aux exigences prévues. Si l’objectif est clairement énoncé, les moyens n’en demeurent pas moins incertains. Même le Règlement Général de l’AMF - texte le plus détaillé en la matière - se focalise davantage sur les objectifs à atteindre que sur les mesures concrètes à mettre en œuvre. De manière générale, l’on reproche au législateur français de s’être contenté d’une transposition littérale de la directive, sans utiliser la marge de liberté qui lui était laissée par le législateur européen d’encadrer la mise en œuvre pratique de la prévention des conflits d’intérêts.

La formulation générale des textes laisse cependant aux professionnels une marge de liberté intéressante. Elle permet une certaine flexibilité dans la mise en œuvre des barrières d’information, et donc leur adaptation aux spécificités structurelles de chaque PSI. A condition, bien évidemment, que l’intérêt des clients prime et que l’intégrité du marché soit respectée. Cette souplesse est néanmoins susceptible de générer une certaine insécurité juridique, dans la mesure où il est difficile pour les PSI de savoir si les moyens qu’ils mettent en œuvre suffisent à satisfaire les exigences légales.

En pratique.

Les textes laissant aux PSI le soin du choix des mesures à mettre en œuvre, il est intéressant de rappeler ce qu’impliquent, concrètement, les barrières à l’information.

A titre d’exemple, les PSI doivent établir une liste des activités susceptibles de générer ou d’avoir accès à des informations privilégiées. C’est notamment le cas d’activités sensibles telles que la recherche sur actions, la gestion pour compte de tiers, la gestion pour compte propre, les back offices et front offices de salles de marché, etc. Ces activités doivent être soumises à une séparation matérielle : il faut mettre en place des bureaux fermés et indépendants pour les personnes ayant accès à ces informations, prévoir des ordinateurs sécurisés par des mots de passe personnifiés, etc.

Il est également utile de protéger les informations privilégiées, telles que les noms des clients, par des noms de code dans toutes les communications, notamment lorsque ces informations sont susceptibles d’influencer le cours du marché. Cela correspond, par exemple, à l’hypothèse de la réalisation d’une fusion-acquisition par un client de la banque : tout échange d’information sur cette fusion doit être fait sous des noms de codes afin d’empêcher l’identification par un tiers des deux sociétés en fusion.

Sanction du non-respect de la réglementation.

L’Autorité des marchés financiers (AMF) est compétente pour apprécier le respect de cette réglementation, et fait preuve d’une certaine fermeté lorsque les procédures dites de « muraille de Chine » ne sont pas mises en place de manière effective. Si la Commission des sanctions de l’AMF considère que le dispositif prévu pour prévenir la circulation d’informations confidentielles est insuffisant à juguler le risque de survenance ou la bonne gestion de conflits d’intérêts, elle peut décider de prononcer une sanction pécuniaire.

L’approche adoptée par l’AMF en la matière est très pragmatique, ce qui permet aux professionnels de se faire une idée concrète des exigences légales à respecter. Ainsi, dans une décision en date du 8 janvier 2009 [4], l’AMF avait constaté un «  manquement relatif à la porosité de la « muraille de Chine » du fait d’une insuffisante séparation des activités d’analyse financière et de corporate », au motif que « si les 2 équipes [celle du corporate finance et celle de l’analyse financière] ne partageaient pas la même salle de travail, aucun moyen n’avait été mis en œuvre pour empêcher les analystes financiers d’accéder librement au bureau de l’équipe de corporate finance : il n’existait pas de système de badge et les cloisons du bureau de corporate finance sont vitrées. En outre, le bureau du corporate finance se trouvait en face de la salle occupée par les analystes financiers, les deux salles n’étant séparées que de quelques mètres ».

La mise en place de “murailles de Chine” est donc un processus complexe, compte tenu à la fois des spécificités structurelles propres à chaque PSI et à l’imprécision de la loi quant aux mesures à instaurer en pratique. Dans ces circonstances, peut-être faut-il admettre, à l’instar de Jean-Jacques DAIGRE, que « de nombreux conflits ne trouveront pas leur solution dans la loi mais dans les décisions appropriées et pragmatiques des dirigeants. » [5]

Lucile Collot, Sandra Kahn, Laetitia Vanni _ Promotion 2011 _ Master 2 Droit pénal financier Cergy-Pontoise _ http://www.m2dpf.fr

[1Bulletin Joly Bourse, 1er mai 2009, Martine Kloepfer Pelëse, « Analyse financière produite et diffusée par un PSI : les précisions apportées par l’AMF », p. 204-211.

[2Service central de prévention de la corruption, Rapport 2004.

[3Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers.

[4Décision Commission des sanctions AMF, 1ère section, 8 janvier 2009, Société Euroland Finance

[5Revue Trimestrielle de Droit Financier, n°2-2006, Régulation des marchés, Jean jacques DAIGRE, « L’inversion des sources formelles en droit des marchés financiers ».