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Le piège de la location de meublés pour les SCI. Par Nicolas Marguerat, Avocat
Parution : mardi 28 juin 2011
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Les avantages de la constitution d’une Société Civile Immobilière (SCI) pour gérer son patrimoine immobilier sont bien connus. Néanmoins l’imposition peut constituer un piège très dangereux dans certaines situations.

Le premier avantage de la SCI est de faciliter la gestion des biens et d’éviter les blocages de l’indivision ou encore le risque de l’action en partage.

La SCI permet également d’assurer la stabilité des associés en contrôlant les entrées de nouveaux associés grâce à la procédure d’agrément.

La SCI permet, grâce à l’écran de la personnalité morale, de protéger le patrimoine personnel de ses associés de leurs créanciers.

Un autre avantage de la SCI est la possibilité de transmission qui est facilitée du fait que son capital est divisé en parts sociales et peut être facilement transmis partiellement par cession ou par donation.

Enfin, la SCI peut avoir un intérêt fiscal pour les associés, d’une part, en matière d’ISF, en permettant une décote sur la valeur déclarée des biens et, d’autre part, en matière d’imposition sur le revenu des associés lorsque la SCI opte pour l’Impôt sur les Sociétés à condition que les bénéfices restent au niveau de la SCI sans être distribués, ainsi que nous l’étudierons plus loin.

Néanmoins l’imposition à l’Impôt sur les Sociétés d’une SCI peut constituer un piège très dangereux dans certaines situations et ce risque est d’autant plus important qu’une SCI peut être soumise d’office à l’IS sans que ses associés n’aient opté pour cette imposition.

C’est le cas lorsqu’une SCI exerce une activité de location en meublés de biens immobiliers.

En effet, normalement une SCI est soumise à l’Impôt sur le Revenu c’est à dire que ce sont les associés personnes-physiques qui seront imposés à l’impôt sur le revenu sur le résultat dégagé par la SCI au prorata de leur participation dans la SCI ; il est simplement nécessaire de faire annuellement une déclaration supplémentaire 2072.

Toutefois, le principe de base est qu’une SCI doit avoir une activité civile.

Or, la location en meublés est une activité commerciale et donc une SCI ayant une activité commerciale (location de meublés) sera obligatoirement soumise à l’Impôt sur les Sociétés (IS).

En effet, l’article 206-2 du CG dispose que :
« … les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt (l’IS), même lorsqu’elles ne revêtent pas l’une des formes visées au 1, si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 (activité commerciale).  »

Il est exact que, pour être considérée comme une opération commerciale, la location en meublés doit être effectuée à titre habituel.

Le Conseil d’Etat a ainsi jugé, dans un arrêt très ancien du 22 mars 1929, qu’un contribuable qui ne se livrait qu’occasionnellement à des opérations de location de meublés ne saurait être considéré comme ayant exercé une profession commerciale et ne pouvait, par suite, être taxé au titre des bénéfices industriels et commerciaux.

Néanmoins, même si, selon l’Administration, le caractère habituel d’une location en meublés résulte des circonstances de fait qu’il convient d’apprécier dans chaque cas particulier… l’Administration, et le juge, ont une interprétation très extensive de la notion d’habitude.

Le juge a ainsi retenu, pour estimer que la location de meublés n’était pas habituelle et donc pas commerciale, d’une part, une courte durée de la location et, d’autre part, le fait que la SCI y recourait pour la première fois.

Le Conseil d’Etat a en effet décidé dans un arrêt du 19 janvier 1983 que ne peut être regardée comme ayant effectué une opération commerciale une société civile immobilière qui a loué pendant une période de trois mois un appartement dont elle réserve en principe la jouissance gratuite à son gérant et principal associé, dès lors qu’en raison de sa courte durée et de la circonstance que la société y recourait pour la première fois cette location a revêtu un caractère occasionnel.

Par contre, l’Administration estime que les SCI dont la seule activité est de louer un local meublés durant la saison estivale exercent une activité industrielle et commerciale et qu’elles sont donc passibles de l’IS.

Dès lors que SCI est soumise à l’IS, elle devra alors tenir une comptabilité comme une Société commerciale et faire une déclaration 2031 plus complexe et naturellement payer l’IS.

Cela est plus compliqué mais n’est pas forcément désavantageux fiscalement !

Au contraire, cela peut être plus avantageux si les associés sont imposés fortement à l’IR (par exemple, au taux marginal de 41%) puisque le taux de l’IS de 33,33% peut être ramené à 15% pour les 38.120 premiers euros de résultat.

Dans ces conditions, l’imposition à l’IS de la SCI est alors plus faible que celle à l’IR des associés qui eux ne sont pas imposés sur les résultats de la SCI à condition que les résultats ne soient pas désinvestis de la SCI et restent en réserve dans la SCI.

Par contre, si les associés désinvestissent en "prélevant" les résultats de la SCI, cela sera sous forme de distribution de dividendes qui devront alors être taxés chez les associés à l’IR en tant que revenus de capitaux mobiliers.

La situation se complique et devient nettement moins avantageuse lorsqu’un bien immobilier appartenant à la SCI soumise à l’IS est mis à la disposition d’un associé.

En effet, dans cette hypothèse, il existe une première contrainte importante puisque lorsqu’une Société soumise à l’IS met à la disposition d’un associé un immeuble, cela entraîne, au niveau de la SCI, la taxation à l’IS du "loyer théorique" que l’immeuble aurait rapporté s’il avait été donné en location à un tiers (ce qui permet toutefois de déduire les charges...).

Seconde contrainte majeure, l’avantage en nature qui correspond à la mise à disposition gratuite du logement constitue pour l’associé bénéficiaire un revenu distribué assis sur la valeur locative du bien immobilier imposable à l’IR dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

L’imposition à l’IS de la SCI pose donc une véritable difficulté si les associés se réservent la jouissance, fût-elle partielle, d’un bien...

Il faut donc veiller à ne pas louer en meublés un bien immobilier, propriété d’une SCI, sous peine de rendre la SCI automatiquement soumise à l’IS.

Nombre de personnes n’y pensent pas lorsqu’elles constituent une SCI ou l’ignorent tout simplement !!!

Le risque fiscal est très important d’autant que les conséquences fiscales peuvent être très lourdes.

Nicolas MARGUERAT Avocat à la Cour [->nmarguerat.avocat@orange.fr]