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L’action en réduction de la donation-partage conjonctive et l’évaluation des biens : arrêt de la Cour de Cassation du 16 juin 2011. Par Judith Duperoy, Avocat
Parution : mercredi 6 juillet 2011
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Dans un arrêt du 16 juin 2011, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, n° 10-17.499, nous rappelle les modalités d’évaluation des biens transmis par donation-partage dans le cadre de l’action en réduction.

La donation-partage permet d’anticiper sur le partage de la succession d’une personne de son vivant. Elle a notamment pour avantage de préserver la liberté du donateur concernant le choix des biens, lots, quotités ou valeurs qu’il attribue de son vivant à chacun des bénéficiaires.

La donation-partage présente la particularité de ne pas être rapportable à la succession : elle fait sortir les biens de la masse successorale à partager au décès.

Toutefois, si les biens restant au décès du donateur ne permettent pas à un héritier réservataire d’obtenir la part minimum à laquelle il a légalement droit dans la succession, il peut demander la réduction des donations antérieures pour reconstituer sa part. C’est alors que se pose le problème de l’évaluation de la valeur des biens ayant fait l’objet de la donation-partage.

En effet, entre le moment ou un acte de donation-partage est signé et le jour de l’ouverture d’une succession, il peut s’écouler plusieurs années au cours desquelles la valeur des biens transmis est susceptible d’évoluer.

Dès lors, à quelle valeur les biens doivent-ils être estimés lors d’une action en réduction, celle qui est indiquée dans l’acte de donation ou bien celle qu’ils ont acquis au moment du décès du donateur ?

C’est à cette question que la Cour de cassation est récemment venue répondre.

Dans l’arrêt du 16 juin 2011 (Cass., 1ère civ., n° 10-17.499), les faits étaient les suivants.

Deux époux décédés, en 1971 pour l’un et en 1999 pour l’autre, avaient consenti différentes donations à leurs trois enfants communs.

Dans une donation-partage conjonctive faite à deux des enfants, par un acte du 30 avril 1965, l’un avait reçu, à titre préciputaire, la moitié d’une exploitation agricole évaluée à 150 000 francs à l’acte et l’autre deux parcelles constructibles dans un lotissement d’une valeur estimée à l’acte à 75 000 francs.

Refusant de participer à l’acte de donation-partage conjonctive, le troisième enfant avait, quant à lui, reçu par un acte séparé de 1968 une autre parcelle dans le même lotissement, avec un rapport en moins prenant de la valeur au jour de l’acte et fixée à 50 000 francs.

Ce troisième enfant étant décédé, son fils a introduit une action en réduction de la donation-partage. Selon lui, les biens donnés devaient être évalués selon leur valeur au jour du décès du dernier donateur.

Sur la base de ce calcul, et compte tenu de la valeur de la quotité disponible et de la réserve dans la succession, le demandeur a estimé qu’il n’avait pas reçu la part de réserve à laquelle il avait légalement droit.

Le raisonnement de la Cour d’appel quant à lui reposait sur le fait que la valeur de la donation-partage devait être estimée au jour de la donation, de sortes que sa valeur était figée à cette date.

La question sur laquelle la Cour de cassation devait se prononcer était la suivante : À quel moment faut-il se placer pour évaluer le bien objet de la donation partage ? Est-ce au jour de la donation partage ou au moment de l’ouverture de la succession ?

Avant d’exposer la réponse que la Cour de cassation apporte à cette question, il convient de revenir brièvement sur les conditions de la mise en œuvre de l’action en réduction d’une donation-partage.

I- Les conditions de l’action en réduction d’une donation-partage

1. Atteinte portée à la réserve héréditaire

L’action en réduction ne peut être mise en œuvre que si les biens ou la masse successorale existants sont insuffisants pour assurer, à l’héritier réservataire, sa part dans la succession.

S’il y a atteinte à sa part dans la réserve, l’héritier réservataire peut solliciter la réduction de la donation-partage. Il peut également renoncer, par avance ou après le décès du donateur, à l’exercice de l’action en réduction.

L’action en réduction n’est ouverte qu’aux héritiers réservataires ayant accepté la succession, car son objet est de protéger la réserve héréditaire.

L’héritier réservataire, qui n’a pas concouru à la donation-partage ou qui a reçu un lot inférieur à sa part de réserve peut exercer l’action en réduction, si compte tenu des libéralités faites par le donateur, il n’existe pas à l’ouverture de la succession des biens non compris dans le partage et suffisants pour composer ou compléter sa réserve (article 1077-1 du Code civil).

2. Moment de l’action

L’action en réduction ne peut être introduite qu’après le décès de l’ascendant donateur.

Ainsi, lorsque la donation-partage est conjonctive, c’est-à dire faite conjointement par les deux parents, l’action en réduction ne peut être introduite qu’après le décès des deux parents si les enfants sont communs aux époux.

La Cour rappelle cette solution classique maintenue par l’article 1077-2 alinéa 2 issu de la loi du 23 juin 2006, en précisant l’intérêt et l’objectif du caractère conjonctif d’une donation-partage :

« Aux termes de l’article 1077-2, alinéa 2, dans la même rédaction, l’action en réduction ne peut être introduite qu’après le décès de l’ascendant qui a fait le partage ou du survivant des ascendants en cas de partage conjonctif ; qu’un tel partage est indivisible par la volonté des donateurs qui ont constitué une masse unique de leurs biens pour les répartir sans considération de leur origine ; que la quotité dont celui qui a survécu à l’autre pouvait disposer n’étant déterminable qu’à son décès, la valeur de l’ensemble des biens donnés doit être fixée à cette date. »

La donation-partage peut également être faite par un couple qui a eu des enfants issus de lits différents. Dans ce cas, les enfants peuvent exercer une action en réduction après le décès de leur ascendant donateur (article 1077-2 du Code civil).

3. Délai de prescription

L’action en réduction est ouverte pendant un délai de 5 ans à compter de l’ouverture de la succession ou dans un délai de 2 ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder 10 ans à compter du décès (article 921 du Code civil).

II. Les modalités d’évaluation des biens objet de la donation-partage

Pour obtenir la valeur de la réduction de la donation, il faut recomposer fictivement le patrimoine.

La valeur de la masse patrimoniale n’est pas le même selon la date à laquelle on se place pour évaluer les biens qui la constitue. De même la quotité disponible et la réserve varient selon la valeur de cette masse.

La Cour de cassation procède de manière méthodique en exposant le principe puis l’exception quant aux modalités d’évaluation des donations soumises à réduction.

1. Le principe : les biens objet de la donation-partage sont évalués à l’ouverture de la succession

Aux termes de l’article 1077-2 : « Les donations-partages suivent les règles des donations entre vifs pour tout ce qui concerne l’imputation, le calcul de la réserve et la réduction  ».

Ce principe étant réaffirmé, la Cour en déduit « Qu’il s’ensuit que les dispositions de l’article 922 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, s’appliquent à la composition de la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible qui doit être constituée pour déterminer s’il y a lieu à réduction ».

Or, l’article 922 du Code civil prévoit :
« La réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur.

Les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d’après leur état à l’époque de la donation et leur valeur à l’ouverture de la succession, après qu’en ont été déduites les dettes ou les charges les grevant.

Si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l’époque de l’aliénation. S’il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l’ouverture de la succession, d’après leur état à l’époque de l’acquisition.

Toutefois, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n’est pas tenu compte de la subrogation.

On calcule sur tous ces biens, eu égard à la qualité des héritiers qu’il laisse, quelle est la quotité dont le défunt a pu disposer »

Dès lors, en application l’article 922, le principe est que les biens objet de la donation-partage sont estimés d’après leur état à l’époque de la donation et leur valeur à l’ouverture de la succession.

2. L’exception : les biens, objet de la donation-partage sont évalués au jour de la donation-partage

L’article 1078 du Code civil, qui permet d’évaluer les biens objet de la donation au jour de la donation-partage, constitue une exception à la règle de calcul de l’article 922.

« Nonobstant les règles applicables aux donations entre vifs, les biens donnés seront, sauf convention contraire, évalués au jour de la donation-partage pour l’imputation et le calcul de la réserve, à condition que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès de l’ascendant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l’aient expressément accepté, et qu’il n’ait pas été prévu de réserve d’usufruit portant sur une somme d’argent ».

Cette exception n’est applicable que lorsque les trois conditions prévues par l’article 1078 sont réunies, à savoir que :

1. tous les héritiers réservataires, vivants ou représentés au décès, du donateur aient été allotis dans le partage anticipé ;

2. qu’ils aient expressément accepté la donation-partage ;

3. et qu’il n’ait pas été prévu de réserve d’usufruit dans l’acte.

Dans l’affaire dont était saisie la Cour de cassation, tous les enfants n’avaient pas reçu un lot dans le partage anticipé, les conditions d’application de l’article 1078 n’étaient pas réunies, dès lors, la Cour de cassation a considéré que :
« la cour d’appel [avait] exactement écarté l’application en l’espèce des dispositions de l’article 1078 du code civil dans sa rédaction issue de la même loi, et a décidé, à bon droit, que, s’agissant d’une donation-partage conjonctive, les biens dont les donateurs ont ainsi disposé sont réunis d’après leur état à l’époque de la donation et leur valeur à l’ouverture de la succession du survivant des donateurs ».

En conclusion :

Si tous les héritiers réservataires n’ont pas participé à la donation partage, l’estimation de la valeur des biens transmis est faite au moment du décès, dans le cadre de l’action en réduction de la donation-partage.

Si tous les héritiers ont participé à une donation-partage qui remplit les conditions de l’article 1078, la valeur des biens transmis sera évaluée à la date de la donation dans le cadre de l’action en réduction de la donation-partage (sauf clause différente de l’acte de donation).

Il importe de relever que la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions n’a pas modifié les dispositions relatives aux modalités d’évaluation de la valeur des biens, objet de la donation partage, qui sont appliquées dans cette affaire par la Cour de Cassation.

Judith Duperoy Avocat à la Cour [Le droit des seniors.fr->http://www.ledroitdesseniors.fr/] Cabinet Duperoy-Paour