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Le devoir de silence pendant la Garde à Vue. Par Alain-Christian Monkam, Avocat
Parution : mardi 16 août 2011
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Depuis la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, toute personne placée en garde à vue doit être informée par l’officier de police judiciaire de son « droit, lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire » (article 63-1 du Code de procédure pénale).

L’un des rôles essentiels de l’avocat, qui s’entretient avec son client « dès le début de la garde à vue » et désormais l’assiste pendant les auditions et confrontations (article 63-3-1 et 63-4-2 du CPP), est de conseiller efficacement son client sur l’usage de son droit au silence.

Il est rappelé que le droit au silence, principe ancien et essentiel de droit, est protégé par l’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales qui prescrit le droit à un procès équitable. Dans la fameuse décision Brusco contre la France (no 1466/07 du 14 octobre 2010), la Cour Européenne des Droits de l’Homme a réaffirmé sa jurisprudence constante selon laquelle « le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable » (voir également Bykov c. Russie [GC], no 4378/02 du 10 mars 2009, John Murray contre Royaume-Uni, n° 18731/91 du 8 février 1996).

Concrètement, la personne gardée à vue ne dispose d’aucun intérêt dans de nombreuses situations, à répondre aux questions de l’officier de police pendant l’interrogatoire (sauf peut-être en ce qui concerne les éléments de son identité). En effet :

• ou bien les policiers ont peu ou pas d’éléments à charge contre le mis en cause ; les déclarations éventuelles du mis en cause pourront être utilisées contre lui-même, les agents de police n’hésitant pas à exploiter la moindre contradiction ou incertitude ;

• ou bien les policiers disposent de charges suffisantes contre le mis en cause pour procéder à un déferrement ; les aveux du mis en cause ont-ils alors encore un intérêt, si ce n’est de communiquer encore plus d’éléments sur une situation quasi-perdue ?

Le droit au silence doit être utilisé comme un élément de négociation dans les situations délicates. En effet, en l’état actuel des textes, l’avocat n’a pas encore accès pendant la garde à vue à l’intégralité du dossier de son client. En conséquence, l’avocat peut utiliser la règle du donnant-donnant avec les enquêteurs : « vous m’indiquez ce que vous avez au dossier et mon client communiquera des éléments de faits ».

L’avocat devra cependant attirer l’attention de son client sur les conséquences de l’usage du droit au silence. Les enquêteurs (et le procureur de la république), furieux, n’hésiteront pas à prolonger la garde à vue jusqu’à son terme de 48 heures afin d’exercer des pressions maximales. Certains policiers essaient même d’influencer le mis en cause dès que l’avocat a le dos tourné : « si vous êtes encore en garde à vue, c’est à cause de votre avocat qui vous a donné un mauvais conseil ! ». Par ailleurs, en cas de comparution du mis en cause devant le tribunal correctionnel (ou la Cour d’Assise), le silence conservé pendant la garde à vue sera probablement très mal perçu par le juge répressif qui pourra y voir un aveu de culpabilité « Pourquoi n’avoir rien dit si vous êtes innocent ?! ».

Au Royaume-Uni, pour les raisons ci-dessus mentionnées, les solicitors préconisent à leurs clients, quasi-systématiquement et à raison, le « No comment advice » même si légalement, les tribunaux répressifs (Magistrate Courts ou the Crown Court) peuvent tirer du silence gardée toute « adverse inferences », c’est-à-dire toutes conclusions à charge contre l’accusé (section 34 Criminal Justice and Public Order Act 1994).

Un ancien Président de la République français (socialiste) ne disait-il pas avec raison « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses propres dépens »

Alain-Christian Monkam Employment Solicitor et Avocat - Londres/Paris https://monkam.uk/