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Les produits obligataires islamiques sur le marché réglementé français
Parution : mercredi 7 septembre 2011
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La finance islamique obéit aux préceptes tirés du Coran et de la Sounna communément appelé Charia.

Article proposé par le Master 2 Droit pénal financier Cergy-Pontoise.

Ces principes visent :

- L’interdiction de la pratique des taux d’intérêts (riba) : L’argent ne peut de lui-même générer un profit du seul fait de l’écoulement du temps. La rémunération du banquier ne pourra provenir que de revenus effectivement produits par l’actif financé.

- L’interdiction de l’aléa dans les relations entre partenaires économiques (gharar) : Ce principe impose l’obligation que soit définis clairement tous les termes fondamentaux du contrat au jour de sa conclusion tels que l’identité des parties, le prix, l’objet, l’échéance du contrat, le délai d’exécution des obligations contractuelles [1].

- L’interdiction des opérations reposant sur une pure spéculation.

- Le principe du partage des pertes et des profits entre partenaires économiques.

- Le principe de l’asset backing : la finance islamique est une finance qui repose sur une économie réelle et non spéculative. De ce fait, toute opération de financement islamique doit être adossée à un actif tangible.

Conformément à ces principes, les jurisconsultes du droit musulman ont développé un ensemble de contrats de financement qui se déclinent sous plusieurs formes : des opérations ayant pour objet le financement de l’acquisition d’un bien, des opérations reposant sur des financements participatifs puis les obligations islamiques (les sukuks).

L’introduction de la finance islamique s’accompagne d’une adaptation du système juridique français. Les aménagements entrepris par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) pour accueillir les sukuks en sont l’illustration. L’AMF a récemment publié un guide sur les modalités d’admission des sukuks sur le marché réglementé français.

Le mécanisme des sukuks

Les sukuks sont des produits obligataires islamiques assimilables aux Assets Backed Securities. Il s’agit de titres participatifs dont l’échéance est fixée d’avance et qui sont obligatoirement adossés à un actif tangible. Ces actifs génèrent un revenu stable et négociable dépourvu du recours à tout intérêt. Autrement dit, les sukuks sont des certificats de propriété d’un actif, ce qui les différencie des obligations conventionnelles qui sont basées sur de la dette.

De manière générale, le mécanisme des sukuks consiste en la création d’un véhicule ad hoc (SPV) qui émet des obligations sur un marché à destination d’investisseurs. Ces investisseurs détenteurs des titres émis procurent des liquidités à la SPV qui achète un bien (conformément au principe de l’asset backing). Les investisseurs jouissent de l’usufruit de ces actifs au prorata de leurs investissements et supportent le risque de crédit de l’émetteur sauf dans le cas où l’émetteur garantit l’opération en s’engageant à racheter le bien à l’échéance de l’opération.

La vente de cet actif se fait au moyen d’autres contrats de financements islamiques c’est pourquoi le plus souvent l’émission de sukuks fait intervenir un autre contrat de financement islamique ; tel est le cas du Sukuk Ijara.

L’opération de financement islamique Ijara est un contrat de location dans lequel une institution financière achète un bien et le loue à un particulier ou une entreprise. Dans le mécanisme du sukuk ijara, une entreprise constitue un SPV qui va émettre des sukuks. Les investisseurs détenteurs de ces sukuks versent des liquidités qui sont placées dans l’immeuble que le SPV est chargé d’acheter. Cet immeuble fait alors l’objet d’un contrat d’ijara et est loué à un tiers pendant toute la durée d’émission des sukuks. A l’échéance de cette opération, les SPV sont dissoutes et les bénéfices issus de cette opération sont reversés entre les investisseurs [2].

L’émission des sukuks en France

Par une note du 2 juillet 2008, l’AMF a admis l’entrée des obligations islamiques en France. Cet accueil des sukuks s’est accompagné de l’élaboration de conditions d’acceptation à la négociation des sukuks sur le marché français. Ces conditions prévoient notamment que l’émetteur devra au préalable déposer un prospectus auprès de l’AMF comportant une description précise du produit proposé.

Le 27 octobre 2010, l’AMF réitère sa position sur la nécessité de réaliser un prospectus soumis au visa de l’AMF comme condition d’admission des sukuks sur le marché réglementé. Cette position s’accompagne d’un guide pratique qui détaille les modalités pratiques d’obtention de ce visa.

Ce guide énonce que bien que les sukuks ne soient pas expressément visés par le règlement européen et la directive Prospectus, il n’en demeure pas moins que les dispositions de ces textes sont applicable aux obligations islamiques. En effet, l’AMF précise qu’aux termes de l’article 23§2 du règlement, les valeurs mobilières assimilables aux catégories visés par ce même règlement sont soumises au même schéma de note retenu pour cette catégorie avec en complément les informations pertinentes et les caractéristiques financières propres aux sukuks.

L’AMF précise ensuite que sa compétence se limite à accorder un visa pour l’admission des sukuks sur le marché réglementé. Autrement dit, l’AMF met en évidence qu’elle ne contrôle pas le caractère charia compliant des sukuks proposés à l’émission qui relève uniquement de la compétence du charia board. L’AMF notifiera sa décision de délivrance ou non d’un visa 10 jours après le dépôt de la demande.

Concernant le prospectus, l’AMF précise que ce dernier peut être rédigé en français ou uniquement en anglais et qu’il n’y a pas d’exigences concernant la devise. Un résumé n’est exigé qu’en cas d’admission aux négociations sur un marché réglementé portant sur des sukuks dont la valeur normale est inférieure à 50 000 euros.

L’Autorité des Marchés Financiers a élaboré les aménagements nécessaires à l’admission des sukuks sur le marché réglementé français et à la protection des investisseurs. Reste à trouver un régime juridique satisfaisant pour ces sukuks depuis l’échec de l’utilisation de la fiducie comme figure contractuelle pour les sukuks. Le Professeur Crocq a énoncé que la solution ne se trouverait pas dans la modification de l’article 2011 du Code Civil mais dans un texte spécial visant directement les instruments financiers [3].

Rédaction du village

[1Cabinet HERBERT SMITH, Guide de la finance islamique, 2009 p.3.

[2F. GUERANGER, La finance islamique : une illustration de la finance éthique, 2009 p. 146

[3P.CROCQ, Conférence sur l’introduction de la finance islamique en droit français du 13 avril 2010, Université Paris Panthéon Assas.