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Femmes du Droit : Le dossier du Village de la justice (1)
Parution : samedi 12 novembre 2011
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Plus proche que jamais de son symbole, la déesse Thémis, le corps professionnel de la justice se féminise de jour en jour. Depuis l’ouverture progressive des différents métiers du droit aux femmes, leur proportion tend à dépasser celle des hommes dans de nombreuses branches de la profession.

Malgré ce phénomène, les clivages se creusent entre les deux genres (poste à responsabilité / poste moins qualifié, spécialisation de certains domaines) conduisant à la pérennisation des écarts de rémunération. La maternité est évidemment le creuset où se cristallisent la majorité des conflits et les occasions de discrimination.

Mais ces dernières années, on assiste à une multiplication des initiatives, création d’associations, organisation de conférences, afin de lutter contre ces inégalités.

Nous vous proposons donc un dossier spécial consacré aux Femmes du Droit afin de vous offrir un aperçu des différentes facettes de la féminisation de la justice.

Dossier complet au format PDF

Première partie de ce dossier (suite ici et dossier complet au format PDF ci-contre).

I. Le constat : Féminisation rime encore avec discrimination

Malgré une féminisation continue, les métiers du droit restent un terreau propice à la discrimination envers les femmes, particulièrement autour de la question de la maternité.

Les chiffres : Une féminisation continue mais inégalement répartie des métiers du droit.

Une lecture des statistiques portant sur l’ensemble des professions du droit n’incite pas à s’inquiéter de la place des femmes. Au contraire, on note une féminisation toujours croissante du secteur, dans certaines filières la proportion de femmes tend même à dépasser celle des hommes. Par exemple, depuis 2010, plus de 50% des membres du Barreau de Paris sont des femmes. L’évolution est donc rapide au sein d’une profession ouverte aux femmes depuis tout juste un siècle (Jeanne Chauvin, première femme avocate est enfin autorisée à prêter serment en 1900 après plusieurs refus).

La féminisation est lisible dès l’université puisque selon l’étude de Francine Demichel menée dans le cadre de la Convention interministérielle « pour la promotion de l’égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif » ; pour l’année 2001-2002, la filière « droit-sciences politiques » est composée à 63,8% de femmes.

Concernant la magistrature, il a fallu attendre 1946 pour que la profession soit ouverte aux femmes. Même constat chez les huissiers de justice et chez les notaires, après l’ouverture très tardive de ces filières aux femmes, respectivement en 1948 et 1949, les candidats au titre sont aujourd’hui majoritairement des femmes. Cependant, la féminisation de la profession est beaucoup plus lente chez les avocats puisque actuellement on ne compte que 800 femmes pour 3300 huissiers au total.

Gisèle Halimi, Geneviève Augendre ou Dominique de la Garanderie, ces pionnières de la féminisation des barreaux sont-elles représentatives de la place occupée par les femmes dans l’ensemble de la profession ?
Les statistiques générales ne permettent pas d’avoir un aperçu de la réalité de la place des femmes dans les professions du droit. Comme le souligne un rapport du laboratoire de sociologie juridique de l’université Paris II Assas «  la seule dimension statistique ne suffit évidemment pas à saisir la féminisation […] il apparaît , en effet, que les femmes et les hommes ne plébiscitent pas les mêmes spécialités juridiques. A cet égard, Anne Boigeol a pu à observer la présence importante des femmes dans les juridictions pour enfants et leur absence significative au Parquet  ».

En effet, comme l’a également indiqué le rapport Mariani « si les femmes constituent une partie importante des troupes des grands cabinets, elles sont beaucoup moins nombreuses à être associées et donc à occuper des postes à responsabilité ». De la même façon, concernant la magistrature l’Express relevait, en 2010, que « les postes à haute responsabilité demeurent très majoritairement occupés par des hommes : à 72% pour les présidents de tribunal et à 83% pour les procureurs ».

Des discriminations pérennes...

La répartition des postes occupés par des femmes est donc très différente de ce que pourrait laisser présager les études globales : poste à moindre responsabilité, secteur en lien avec l’enfance. Tout se passe donc comme si féminité s’accordait systématiquement avec attitude maternante et temps partiel. Sur le plan salarial, un rapport INSEE sur les professions libérales, datant de 2007, à révéler qu’à niveau d’expérience égale un homme gagnait 117% de plus qu’une femme dans les professions du droit.

Cette répartition s’explique par plusieurs facteurs. Les déterminismes liés à l’éducation n’y sont certainement pas pour rien et les femmes ont tendance à s’autocensurer en choisissant des spécialités qui réclameraient soi-disant des qualités plus féminines et abandonnant aux hommes le droit des affaires et ses clichés de négociation virile . Mais c’est surtout du côté des discriminations à l’embauche et au cours de la carrière qu’il faut chercher une explication à cette répartition. L’article L 1132-1 du Code du Travail est souvent oublié dans les métiers pourtant juridiques, parfois même des spécialistes de droit social.

On rappellera pourtant qu’en France : « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, […], de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de […] de son sexe, […] de sa situation de famille ou de sa grossesse… ».

Au-delà de la discrimination lors de la maternité, c’est même l’« intention de maternité » qui est passée au crible lors des recrutements comme le dénonçait au village de la justice l’avocate Mounira El Ayachi Khebchi : «  Lorsque leur candidature est retenue, elles se voient poser la question de savoir si elles souhaitent avoir un enfant ou un 2ème enfant. Malheur à celles qui ne répondent pas à la question ou ne peuvent répondre à la question en raison du caractère indéterminé de leur projet de grossesse, car elles se verront congédier à la minute. L’attitude de ces confrères et consœurs est inadmissible, indigne et inqualifiable. […] Qu’importe les règles déontologiques les plus essentielles, pourvu qu’on ait la rentabilité » .

Les avocates sont de plus nombreuses à s’accorder sur ces discriminations. « Le sexisme n’a pas qu’un caractère sexuel. Il prend des formes différentes qui peuvent être violentes, pas seulement physiquement. De très nombreuses femmes y sont confrontées dans leur carrière, politique ou professionnelle. Depuis mes débuts, j’ai eu à regretter que l’on s’intéresse plus à mon apparence qu’à mes projets ou à mes idées. On pense alors : "Je ne veux pas que tu me regardes, je veux que tu m’écoutes. […] En tant qu’avocate, mais aussi ancienne secrétaire d’Etat aux Droits des victimes, je tiens à préciser que je désolidarise mes propos de l’affaire DSK, dont je déplore le tapage médiatique et cette forme de lynchage qui pourrait être préjudiciable à une bonne administration de la justice, autant à son égard qu’à celle de la plaignante que, bien entendu, je n’oublie pas » déclarait Nicole Guedj, avocate et ancienne secrétaire d’état (UMP), au journal Libération le 31 mai 20011.

Au Barreau de Strasbourg, une motion signée par 180 avocats a dénoncé les « discriminations liées à l’état de grossesse et de maternité ».
« Les ruptures des contrats de collaboration des avocates au cours ou à l’issue de leur congé maternité, se sont multipliées ces dernières années. La fréquences de ces ruptures ne relève pas de la simple coïncidence. Elles sont, en réalité, l’expression d’une discrimination liée à l’état de grossesse et de maternité. Cette situation est d’autant plus choquante qu’elle émane d’avocats dont le serment est d’exercer leurs fonctions avec dignité et humanité. »

Témoignages...

Une avocate anonyme confiait au magazine Elle en décembre 2010 : « on appréhende le fait d’annoncer qu’on est enceinte , on se sent en situation d’abus, voire de trahison  » (propos recueillis par Lauren Bastide « Des avocates de révoltent : licenciées après leur congé mat’  », 3 déc. 2010).

À Strasbourg, le congé maternité des avocates est encore de 12 semaines contrairement au Barreau de Paris où il vient de passer à 16 semaines pour s’aligner sur le régime des salariés.

La situation ne se cantonne pas à l’Est, une étude du Barreau de Paris réalisée en 2008 montre que 25% des femmes n’ont pas pris de congé maternité et 7% ont été licenciées en fin de grossesse. 71% des avocates ont été confrontées à des difficultés lors de leur grossesse car 1 femme sur 5 a pris un congé maternité trop court (Avocat Profession Magazine novembre 2009).

Face à ces nombreux obstacles, beaucoup finissent par s’installer à leur compte. Même si cette prise d’indépendance réussit, elle n’en demeure pas moins une décision douloureuse lorsqu’elle doit être prise au pied du mur dans des conditions très brutales.

Mais les discriminations ne se cantonnent pas à la question de la maternité ou au monde des avocats. Les obstacles sont parfois d’une autre nature mais tout aussi vifs parmi les juristes d’entreprises, les notaires, les huissiers de justice ou les magistrats. Ainsi, une juriste d’entreprise confiait au Village de la Justice les difficultés rencontrées lors de sa prise de poste, moment où une femme doit souvent faire davantage ses preuves qu’un homme pour asseoir sa légitimité : « S’imposer comme femme dans un monde d’hommes l’est davantage encore, car ce n’est pas sa fonction, mais sa nature même de femme que l’on expose aux remarques, parfois peu heureuses, de certains collègues masculins. C’est ainsi que je suis restée sèche face à l’innocente observation de l’un d’entre eux : " Sophie, si tu veux réussir, il va falloir raccourcir la jupe"  » (cf. intégralité du témoignage à la fin du dossier).

De la même façon, une avocate, alors même qu’elle venait d’être débauchée pour créer un service juridique raconte : « Il a été très difficile d’assoir ma légitimité, mon autorité, ma crédibilité, d’être valorisée au même niveau que les autres managers. Cela signifiait se battre constamment pour avoir de l’écoute, obtenir des postes pour l’équipe juridique où l’on me demandait à chaque fois "d’essayer au moins pour cette fois de recruter un homme", de défendre plus que mes homologues masculins mes augmentations de salaire et celles de mon équipe, qui m’étaient heureusement et légitimement accordées au final. Même si j’étais la seule de la société à avoir vécu en Asie et à comprendre un peu la langue de la maison mère, à parler anglais bien mieux que la plupart des autres managers. Cela n’excusait pas l’erreur première, suprême, impardonnable, qui était d’être une femme, arrêtée pour congés maternités. Mais il est vrai que je n’ai ni fait l’objet de discrimination, ni de harcèlement...  ».

On comprend à la lecture de ces témoignages que les discriminations implicites, constituées d’une accumulation de petites remarques apparemment sans importance sont souvent les plus insidieuses et les plus difficiles à combattre.

Le constat est peut-être encore plus tranché parmi les huissiers de justice parmi lesquels la croyance selon laquelle la profession n’est pas faite pour les femmes est pérenne et assumée. Dans le cadre de son étude La résistible intégration des femmes dans un univers professionnel masculin : les huissiers de justice, Alexandre Mathieu-Fritz distinguait quatre catégories de perception par les hommes de l’accès par les femmes à la profession d’huissier de justice, allant du rejet à la pensée que les femmes pourrait être mieux à même que les hommes de remplir cette fonction. La première catégorie étant la plus fréquente. Il rapporte ainsi les propos d’un huissier déclarant : «  (…) Je ne vois pas une femme faire certains constats. Je suis monté une fois dans un silo à grains, je ne vois pas une femme le faire… Ou sous un pont ; je rampais presque parce qu’il fallait constater qu’il y avait des fissures sous le pont. Je ne vois pas une femme faire ça. Une femme ne peut pas faire ça ». Les exigences physiques de la profession et l’autorité dont il faut faire preuve seraient donc, selon eux, un frein à la féminisation de la profession.

Chez les notaires, les femmes, bien qu’encore largement minoritaires, ne semblent pas ressentir le même niveau de discrimination que dans les autres professions du droit comme en témoigne un dossier « Regard de femmes » réalisé en 2004 par le Mouvement du Jeune Notariat.

Aux journalistes qui l’interrogeaient sur la difficulté d’imposer ses décisions à ses collègues masculins Béatrice Creneau Jabaud, première femme Président de la Chambre des Notaires de Paris répondait ainsi : « Non, je ne pense pas avoir eu des difficultés à faire respecter les décisions de la Chambre et les orientations que j’avais privilégiées. Je crois même avoir eu beaucoup de chance. J’ai reçu tout au long de mon mandat le soutien de l’immense majorité de mes confrères. Il témoigne du sens de la confraternité, de la discipline qui règne dans cette Compagnie et dans le Notariat tout entier. Même sur les dossiers les plus sensibles les instructions ont été suivies d’effet. Si vous voulez me faire dire que la profession est misogyne, je réponds sans hésitation : NON. Plusieurs femmes ont exercé et exercent au sein de la profession des missions importantes et l’accès des femmes aux postes de responsabilité ne pose pas, dans le notariat, davantage de problèmes qu’ailleurs ».

Au final et sur l’ensemble des métiers du droit, 44% des femmes interrogées considèrent que le fait d’être une femme a eu un impact sur leur carrière ou sur leurs évolutions professionnelles (étude menée auprès de 500 femmes des professions du droit par le Village de la justice). 
C’est à la fois une minorité... et beaucoup !

Dossier complet au format PDF

Suite du dossier ici (Les initiatives, les réactions, les réseaux... et l’ensemble des témoignages collectés) et dossier complet au format PDF ci-contre).

Rédaction du village