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Lycée Français Charles de Gaulle versus Delambre : une insolite condamnation prud’homale britannique. Par le cabinet Monkam Solicitors
Parution : mercredi 21 septembre 2011
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1- Nous commentons, ci-après, une décision rendue à Londres le 5 avril 2011, par une Employment Appeal Tribunal (Conseil de Prud’hommes Britannique en instance d’appel), assez rare pour être soulignée à deux points de vue : un grand établissement français est condamné à Londres pour discrimination et les juges ont usé de leurs pouvoirs surprenants de recommandation.

2- Le Lycée français Charles de Gaulle est l’un des établissements scolaires les plus réputés de Londres (http://www.lyceefrancais.org.uk/). Il compte 4.000 élèves et il emploie un effectif de 450 salariés. La plupart des enseignants sont recrutés depuis la France par contrat de travail de 4 ans.

3- Madame Delambre est une jeune française de 34 ans, venue à Londres en 1999 et engagée à temps partiel depuis l’année 2001 au Lycée Français Charles De Gaulle en tant que school dinner lady (femme de service cuisinant et/ou servant les repas aux élèves). En 2008, 7 ans plus tard, Madame Delambre a présenté, à l’âge de 41 ans, sa candidature en interne pour évoluer vers des fonctions d’encadrement. L’établissement français a rejeté cette candidature pour des raisons fondées sur l’âge de la candidate.

4- Madame Delambre a contesté ce rejet devant un Employment Tribunal qui lui a, bien évidemment, donné raison en constatant qu’elle avait fait l’objet d’une discrimination fondée sur l’âge, illégale au titre de la réglementation Employment Equality Age Regulations 2006. Madame Delambre s’est vue allouer des dommages intérêts de £ 48.709,79 (56.000 €).

5- L’intérêt du jugement de première instance réside plutôt dans les autres chefs de condamnations, particulièrement sévères voire humiliants. Après avoir constaté que l’établissement français avait fait preuve « d’une ignorance délibérée du droit du travail britannique » (« wilful ignorance of UK employment law »), le tribunal a recommandé (en pratique ordonné) que :

• une copie du jugement soit diffusée à chaque membre des instances dirigeantes de l’établissement afin « qu’il soit lu et digéré par chacun d’entre eux avant mars 2010 » (« to be read and digested by them by the end of March 2010 »)

• l’établissement français engage un chargé de ressources humaines qualifié afin de (i) revoir les procédures internes (notamment en matière d’égalité professionnelle, recrutement, disciplinaire) et de (ii) veiller à la bonne application du droit du travail britannique (« that the Respondent secure the services of an appropriately qualified HR professional who (…) ensure compliance with United Kingdom Employment Law »)

6- L’établissement français a interjeté appel de ce jugement devant l’Employment Appeal Tribunal, qui a rejeté ce recours en estimant que l’Employment Tribunal de première instance avait correctement fait usage des pouvoirs de recommandation qu’il détenait du paragraphe 38 (1) de Employment Equality Age Regulations 2006.

En effet, il résulte de ce texte qu’en cas de discrimination avérée, l’Employment Tribunal peut user de plusieurs pouvoirs s’il l’estime juste et équitable :

• ordonner des dommages intérêts,

• recommender que le défendeur prenne des actions positives afin d’annuler ou de réduire les effets de l’acte de discrimination sur le plaignant (« a recommendation that the respondent take within a specified period action appearing to the tribunal to be practicable for the purpose of obviating or reducing the adverse effect on the complainant of any act of discrimination or harassment to which the complaint relates »).

7- Qu’en est-il du droit du travail français ? En cas de discrimination, la loi ne prévoit pas de mesures de recommandation :

• le juge répressif peut ordonner des sanctions pénales lourdes contre l’employeur (article 225-1 à 225-4 du Code pénal, article L. 1146-1 à L. 1146-3 du Code du travail, article L. 3322-1 à L. 3322-2 du Code du travail),

• le juge civil (en l’occurrence prud’homale) peut ordonner la nullité des actes discriminatoires (article L. 1132-4, L. 1142-3, L. 3221-7, L. 1134-4, L. 1144-3 du Code du travail),

• le juge civil dispose surtout du pouvoir d’ordonner « des dommages intérêts [qui] réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination pendant toute sa durée » (article L. 1134-5 alinéa 3 du Code du travail).

8- Cette liste disparate de sanctions françaises pourrait évoluer un jour dans la mesure où la Directive européenne n° 2000/78/EC du 27 novembre 2000 sur l’Equal Treatment indique que les Etats-Membres peuvent prévoir toute sanction qui, outre des dommages intérêts, soit « effective, proportionate and dissuasive » (article 17).

Alain-Christian Monkam Employment Solicitor et Avocat - Londres/Paris https://monkam.uk/