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Femmes du Droit : Le dossier du Village de la justice (2)
Parution : jeudi 22 septembre 2011
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Plus proche que jamais de son symbole, la déesse Thémis, le corps professionnel de la justice se féminise de jour en jour. Depuis l’ouverture progressive des différents métiers du droit aux femmes, leur proportion tend à dépasser celle des hommes dans de nombreuses branches de la profession.

Malgré ce phénomène, les clivages se creusent entre les deux genres (poste à responsabilité / poste moins qualifié, spécialisation de certains domaines) conduisant à la pérennisation des écarts de rémunération. La maternité est évidemment le creuset où se cristallisent la majorité des conflits et les occasions de discrimination.

Mais ces dernières années, on assiste à une multiplication des initiatives, création d’associations, organisation de conférences, afin de lutter contre ces inégalités.

Nous vous proposons donc un dossier spécial consacré aux Femmes du Droit afin de vous offrir un aperçu des différentes facettes de la féminisation de la justice.

Suite et fin de ce dossier... (1ère partie ici).

II. Les initiatives 

Face à ces inégalités, des initiatives de plus en plus nombreuses sont menées à différents niveaux.

Un vent venu d’Amérique...

Comme nous l’avons souligné dans la première partie du dossier, la discrimination envers les femmes sévit tout particulièrement au sein de la profession d’avocat en raison de la précarité et de l’ambiguïté du statut d’avocat collaborateur, pas tout à fait libéral mais pas tout à fait salarié. À cet égard les garanties statutaires des magistrates les préservent un minimum contre les mauvaises surprises du retour de congé maternité. Sous l’influence de la culture anglo-saxonne, très favorable et surtout moins complexée par les mesures de discriminations positives, quelques cabinets américains ont mis en place des « programmes » afin de valoriser la place des femmes avocates.

C’est ainsi que le bureau parisien de Norton Rose LLP, où plus d’un associé parisien sur trois est une femme et un of counsel sur deux, a créé Women in Red, un programme qui a pour objectif de « créer un réseau à valeur ajoutée entre les avocates du cabinet et leurs relations professionnelles ». Le réseau organise des déjeuners séminaires. À titre d’exemple, l’un des thèmes abordés dans le cadre de ces conférences, intitulé Les règles du jeux, examinait la différence des techniques de communication des hommes et des femmes.

Des réseaux similaires se sont formés dans les autres bureaux du groupe à travers le monde, notamment à Abu Dhabi, Singapour et au Bahrain. Chez Baker and Mckenzie 14% associés dans le monde sont des femmes et 22% en France, ce qui est considéré comme une statistique encourageante. De la même façon, le cabinet Salans, fier d’avoir associé Christiane Féral Schuhl à ses débuts, pousse les femmes au management.

Le débat sur la féminisation du barreau : Grand gagnant de la campagne du bâtonnat de Paris !

Grâce à la candidature de Christiane Féral Schuhl, la dernière campagne du dauphinat a accordé une large place au débat de la féminisation du barreau de Paris. Une question qui a tout particulièrement éveillé l’attention des électeurs et emporté leur adhésion, puisque la candidate avait octroyé au sujet « Femme au barreau » une place de choix parmi ses douze thèmes de campagne. Il serait dommage de résumer la campagne et l’élection de Christiane Féral Schuhl à cette préoccupation car c’est sans doute l’ensemble de son projet pour la profession qui a convaincu son électorat mais force est de constater que la thématique a pesé dans le choix des électrices. La bâtonnier désigné a notamment mis en valeur le rôle crucial que pouvaient jouer les nouvelles technologies comme facilitateur du travail des jeunes parents. Elle a également prévu de créer une centrale d’achat, économe de temps, d’énergie et de moyen, de faciliter l’accès aux crèches de la région Ile de France et d’en négocier les horaires afin de les rendre compatibles avec les exigences de la profession...

La multiplication des réseaux féminins

La lutte pour l’amélioration de la vie professionnelle des femmes de droit passe également par la création d’associations. Ainsi, la jeune structure Moms à la Barre, créée en 2010 par Maître Valérie Duez-Ruff, soutient les avocates enceintes ou jeunes mamans en leurs proposant des solutions pratiques pour les aider à retrouver leur place au retour de leur congé maternité ou à faciliter leur installation. L’association s’est fixée trois objectifs principaux : « Créer un réseau professionnel d’entraide tant pour les avocates avec un projet d’installation que pour les collaboratrices, créer un réseau d’entraide logistique pour partager nos bons plans et faciliter notre quotidien, à terme, créer un annuaire pour faciliter le choix d’un postulant ou d’un confrère exerçant dans un autre domaine d’activité  ».

Pour ce faire, l’association organise notamment des rencontres petit-déjeuner qui permettent aux jeunes mères avocates d’être moins isolées en partageant problèmes et solutions tant concernant des problématiques professionnelles que des questions très pragmatiques liées à la gestion d’un emploi du temps souvent chargé.

De même, partant du constat que malgré la loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration, seuls 15% des membres des conseils d’administration des société du CAC40 sont des femmes, l’association FEMMES AAA+, s’est donnée pour mission de «  promouvoir les femmes avocats et/ou juristes comme administrateurs dans les conseils d’administration de sociétés cotées ou non cotées ; de sensibiliser le public et de communiquer sur le thème des femmes avocats et/ou juristes comme administrateurs dans les conseils d’administration de sociétés cotées ou non cotées ». L’association organise des conférences et favorise le développement de réseau. Elle proposait par exemple en mai 2011 une formation en partenariat avec le cabinet Bird and Bird sur le thème « Expérience d’un administrateur de deux sociétés du CAC 40 et rôle des comités (comité d’audit, comité des comptes, comité financier, comité des risques, comité d’éthique, comité d’information financière) ». Ce fut l’occasion pour Frédérique Dupuis-Toubol, Managing partner, d’insister « pour que l’association Femmes AAA+ organise des actions communes avec le monde du chiffre. Les avocats et juristes doivent en effet avoir la maîtrise de la connaissance financière d’autant que les postulations aux postes d’administrateurs s’analysent beaucoup plus comme des recrutements que des cooptations ».

Des réseaux similaires sont créés par les juristes d’entreprise, les magistrates ou les huissiers de justice comme en témoigne la tenue annuelle des dîners de femmes de l’AFJE à l’occasion de la journée de la femme ou encore la création de l’Association des femmes huissiers de justice qui tente de changer la perception de la profession.

À la recherche d’une nouvelle définition du féminisme

Si les initiatives des cabinets sont louables sur le papier, une certaine méfiance subsiste parmi les avocates qui y voient davantage des mesures cosmétiques, une technique de communication supplémentaire à l’image de l’usage qui est peut être fait du pro bono par certaines structures. Dans les faits, il est vrai que les aménagements du temps de travail pour les mères avocates restent souvent insuffisants. Certains cabinets proposent des temps « partiels » qui sont souvent synonymes d’une fin de journée officielle à 18h… pour commencer une journée officieuse à la maison grâce à un remote office ou un smartphone.

Ainsi les technologies facilitatrices s’avèrent souvent être à double tranchant et sont parfois une moyen dissimulé de renvoyer les femmes à la maison. Certes, elles permettent plus de flexibilité en aménageant les horaires de travail, évitent les temps perdus dans les transports, permettent de troquer la pause café contre un lancement de machine ou un goûter avec les enfants, pallient l’absence de baby-sitter ou dépannent en cas d’enfant malade ; mais ces technologies ne sont pas dénuées d’effets pervers. Elles sont aussi un moyen de désociabiliser une mère qui travaille, engendrent un risque de l’écarter des décisions prises informellement autour d’un déjeuner ou dans les couloirs.

Au final, une question reste en suspend « où sont les hommes ? ». Pourquoi placer les technologies facilitatrices au service des femmes exclusivement ? Trop rares sont encore les hommes demandant un aménagement du temps de travail et ceux qui s’absentent du travail en cas d’imprévu. Si on ne peut que se réjouir du développement de réseaux féminins, à l’image des club réservés aux hommes, des fameuses séances de sauna ou de golf où se joue la conclusion de contrats, doit-on s’inquiéter de la formation d’un clivage ?

Ainsi, sur le site de l’Association des femmes huissiers de justice, peut-on lire une article justifiant la légitimité des femmes dans la profession d’huissier du fait de leur sensibilité : « Notre sensibilité permet de résoudre en douceur les cas difficiles  ». Même constat chez Me Marie Paule Houppe, une cinquantenaire qui affiche 25 ans de pratique à Lille : « Nous avons plus de doigté, faisons preuve de plus de psychologie. C’est à la fois lié à notre tempérament et notre professionnalisme  ».

De la même façon que le problème se pose en termes d’immigration, « faut-il favoriser le communautarisme ou l’intégration ? », le féminisme du monde du droit cherche encore sa voie. L’équilibre à trouver se trouve certainement entre les deux conceptions.

III. Conclusion...

Face à la féminisation des métiers du droit, quid de la perception de cette évolution par le justiciable ?

Hermocrate. - Mais, qu’est-ce que c’est que cette mauvaise plaisanterie-là ? Parlez-leur donc, seigneur Timagène, sachez de quoi il est question.

Timagène. - Voulez-vous bien vous expliquer, Madame ?

Madame Sorbin. - Lisez l’affiche, l’explication y est.

Arthénice. - Elle vous apprendra que nous voulons nous mêler de tout, être associées à tout, exercer avec vous tous les emplois, ceux de finance, de judicature et d’épée.

Marivaux, La Colonie (1729) 

En 1729, Marivaux, précurseur, mettait déjà en scène les revendications des femmes afin d’obtenir l’accès aux « emplois de judicature ». Trois siècles se sont écoulés depuis les premières représentations de La Colonie, où en sommes-nous ?

Comme en témoigne notre dossier Femmes de droit, si l’accès même aux professions du droit semble être acquis, c’est désormais le combat de l’égalité au sein de la profession qui reste à mener.

Égalité salariale, égalité de l’accès aux postes à responsabilité, représentations dans toutes les spécialités du droit, autant de terrains sur lesquels rien n’est encore acquis. Mais au-delà, de ce travail, le chemin à parcourir afin de modifier la perception par le justiciable d’une justice rendue par les femmes reste important et sera peut-être le tronçon le plus ardu. Lors d’un jugement devant fixer une garde d’enfant, comment un homme perçoit-il le jugement d’une femme attribuant la garde à la mère ? Soupçonnera-t-il le tribunal d’impartialité ? Nourrirait-il les mêmes inquiétudes face au jugement d’un homme ? Un justiciable s’adressera-t-il aussi spontanément à une femme avocate qu’à un homme pour une affaire pénale ?

Pour rêver du jour où les divas du barreau seront aussi médiatisées et reconnues que les ténors, c’est avant tout dans notre imaginaire et nos représentations collectives que le changement doit s’opérer.

Anexe 1 :

Extraits des témoignages reçus 
par le Village de la Justice…

Une responsable juridique en entreprise :

«  S’imposer comme juriste dans un monde d’ingénieurs n’est toujours pas chose aisée. C’est même relativement compliqué : il faut souvent déployer des trésors de pédagogie et d’ouverture pour parvenir à insuffler un début de culture juridique dans un environnement qui n’y est, a priori, pas particulièrement sensible. Mais s’imposer comme femme dans un monde d’hommes l’est davantage encore, car ce n’est pas sa fonction, mais sa nature même de femme que l’on expose aux remarques, parfois peu heureuses, de certains collègues masculins. C’est ainsi que je suis restée sèche face à l’innocente observation de l’un d’entre eux : « Sophie, si tu veux réussir, il va falloir raccourcir la jupe ». Il y a des petites phrases qui, décidément, sonnent comme des adages. »

Témoignage d’une avocate :

« Je suis ravie de voir que la profession s’intéresse de plus en plus à la cause de ses femmes puisque la profession, déjà difficile pour les jeunes, l’est d’autant plus pour une femme, à plus forte raison lorsque celle-ci va devenir mère. Moi-même j’ai pu constater à mon retour de congé maternité, la difficulté à concilier une collaboration avec une vie personnelle, voire un développement de clientèle. C’est en échangeant avec mes consœurs sur nos difficultés quotidiennes que j’ai eu l’idée de créer l’Association « Moms à la Barre », afin de venir en aide aux futures et jeunes mamans pour sortir chacune de nous de l’isolement dans lequel nous nous trouvons. Les témoignages recueillis confirment la nécessité de créer une structure d’aide. »

Autre témoignage d’une avocate :

« Entrée dans la profession d’avocat dans les années 2000, j’ai, rétrospectivement, choisi un métier où la liberté de penser, d’expression, d’ouverture étaient possibles. Profession réputée pour être ouverte aux femmes, environnée de femmes majoritaires pendant mes études, j’ai effectivement eu le sentiment d’être en terrain connu où tout serait possible. Mes débuts comme avocat conseil d’entreprises et contentieux ne m’ont pas donnés une impression différente. On me laissait l’autonomie, l’indépendance et l’on m’accordait la confiance dont j’avais besoin. Puis j’ai décidé de partir comme avocate en Asie et alors là ce fût le choc culturel. Je vais énoncer une évidence mais il est certain que nous n’avons clairement pas les mêmes vies que les femmes asiatiques. J’étais certes très isolée mais aussi très soutenue par un avocat fin connaisseur des deux cultures, qui a su me baliser le chemin et me rendre la vie plus facile. Mon isolement m’a malgré tout permis de prendre conscience que j’avais de la chance d’être occidentale, ce qui me donnait droit à un certain respect de mes confrères, respect auquel mes confrères féminines asiatiques avaient semble-t-il moins droit. Et pourtant qu’elles étaient impressionnantes ces femmes. La plupart parlaient très bien plusieurs langues, avaient une grande expertise technique juridique, un respect presqu’immodéré de la hiérarchie et un rapport de soumission dont il était difficile de sortir. Sachant que la plupart d’entre elles allaient arrêter de travailler lorsqu’elles auraient des enfants, si elles parvenaient à se marier, ce qui était difficile pour une avocate puisqu’il fallait trouver un mari de condition sociale supérieure.

Confiante dans le fait d’avoir réussi à passer plusieurs années dans un cabinet d’avocats asiatique, j’ai accepté de poursuivre cette aventure, mais en France dans une entreprise asiatique. Lors de l’entretien d’embauche, il m’a été demandé combien d’enfants je pensais avoir dans l’avenir mais pour autant, le « choix » un peu forcé, a été fait de me recruter même si j’étais à l’âge critique. Cependant, il a été très difficile d’assoir sa légitimité, son autorité, sa crédibilité, d’être valorisée au même niveau que les autres managers. Cela signifiait se battre constamment pour avoir de l’écoute, obtenir des postes pour l’équipe juridique où l’on me demandait à chaque fois « d’essayer au moins pour cette fois de recruter un homme », de défendre plus que mes homologues masculins mes augmentations de salaire et celles de mon équipe, qui m’étaient heureusement et légitimement accordées au final. Même si j’étais la seule de la société à avoir vécu en Asie et à comprendre un peu la langue de la maison mère, à parler anglais bien mieux que la plupart des autres managers. Cela n’excusait pas l’erreur première, suprême, impardonnable, qui était d’être une femme, arrêtée pour congés maternités. Alors il est vrai que je n’ai ni fait l’objet de discrimination, ni de harcèlement. Le pire était à venir et ailleurs, dans une autre société où l’on se pose pourtant en chantre de l’égalité hommes-femmes, de la promotion des femmes cadres.

La leçon que je retire de tout ceci est que la prise de conscience, la levée de l’omerta qui arrive sur la condition des femmes en France du fait de l’actualité, doit nous inciter à témoigner. Et nous juristes, avocates, qui connaissons le fonctionnement et les risques de contentieux, les règles, nous nous devons d’ouvrir la voie et de donner confiance aux autres femmes victimes de discrimination. Il faut beaucoup de courage car c’est toujours une parole contre une autre lorsque l’on décide de parler et la notre a moins de valeur, que l’on soit juriste ou non. Il est évident que la situation des femmes en France est bien meilleure que celle d’autres femmes dans le monde mais elle est aussi beaucoup moins bonne que dans les pays anglo-saxon ou d’Europe du nord. L’hypocrisie en France est dangereuse et le besoin de parler de ce que ressentent les femmes en ce moment est bien le signe de cette pression constante des mentalités patriarcales qui n’évoluent que trop peu. Il faut nous saisir de tout cela, défendre nos droits, en s’appuyant sur les femmes et les hommes, nombreux, même en France, qui veulent faire évoluer les choses. »

Une personne qui aurait aimé avoir le courage de Gisèle Halimi !  »

 

Le mot de la fin...

Principal site internet de la communauté des métiers du droit et ce depuis près de 15 ans, il propose une rubrique Emploi, des Forums, un Blog d’actualité juridique mutualisé, des dossiers et articles liés à l’activité des professions du droit... et de nombreux échanges.

Merci à toutes celles et tous ceux qui ont témoigné pour ce dossier et répondu à nos questions.

NB : après la parution initiale de ce dossier, nous apprenons que le Barreau de Paris a obtenu un label AFNOR, qui confirme les efforts menés par les
services de l’Ordre des avocats de Paris pour développer une politique de ressources humaines respectueuse de l’équité entre salariés femmes et hommes. Emmanuelle Hoffman, membre du conseil de l’Ordre et responsable du processus de certification insiste sur l’effet d’entraînement que pourrait avoir cette nouvelle norme : « Cette certification a valeur
d’exemple pour l’ensemble des cabinets et avocats de notre barreau, qui compte aujourd’hui 51% de femmes. Si l’Ordre est arrivé à cette certification, tout le barreau devrait pouvoir y prétendre. »

Annexe 2 :
Sources et liens utiles

Dossier complet au format PDF

Voyez le dossier complet au format PDF ci-contre.

Rédaction du village