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Précisions sur le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux. Par Christophe Georges Albert
Parution : vendredi 2 décembre 2011
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Commentaire de l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation du 9 juillet 2009.

La volonté du législateur de réparer intégralement et rapidement des préjudices très divers, a conduit ce dernier à disposer des régimes de responsabilité spécifiques, parmi lesquels figure à l’aune de la directive CEE, du 25/07/85, celui des produits défectueux.

L’arrêt du 9 juillet 2009, rendu par la première chambre civile de la Cour de Cassation contribue à propos de l’interprétation de l’article 7,e de la directive précitée, à définir les causes positives d’exonération de la responsabilité d’un fabricant de médicaments.

En effet, Mme X a suivi à plusieurs reprises un traitement à base d’une molécule nommée isoméride et commercialisée par les laboratoires Servier.
Mme X a développé une grave affection à la suite de ce traitement, puis, est décédée le 31/10/95.

Ses ayants droit ont formé une demande en réparation.

La Cour d’appel de Versailles dans son arrêt rendu le 15/11/07 déboute ces derniers aux motifs qu’en l’état des connaissances scientifiques et techniques de l’époque, il n’était pas possible de déceler la défectuosité et la dangerosité du produit, et qu’une disposition de la directive du 25/07/85, prévoyait une cause d’exonération pour le risque de développement.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de Cassation était interrogée sur le fait de savoir quelles étaient au regard de la directive, les conditions d’engagement de la responsabilité du fait du produit défectueux du fabricant, ainsi que les causes éventuelles d’exonération.

Apportant une réponse, la Cour suprême casse et annule l’arrêt rendu le 15/11/07 par la Cour d’appel de Versailles, et renvoie les parties devant la même Cour autrement composée, aux motifs qu’une directive non encore transposée n’est contraignante pour le législateur que dans la mesure où elle ne lui offre aucune faculté d’adaptation en droit interne.

De ces faits simples et de cette et de cette motivation lapidaire, la Cour de cassation définit tant les contours de l’engagement de la responsabilité du fait des produits défectueux (I), que les causes positives d’exonération de celle-ci (II).

I – Définition des conditions de l’engagement de la responsabilité du fait des produits défectueux

Cette analyse nous conduit dans un premier temps à définir tant la notion de produits, que celle de producteurs (A), puis la portée de cette responsabilité (B)

A – Définition des termes de produits défectueux et de producteur

L’article 1386-3 du Code Civil dispose que le produit défectueux est un bien meuble, qu’il soit incorporé ou non dans un immeuble et qu’il soit ou non fini.
A ce titre l’électricité est considérée comme un produit.
Il faut néanmoins exclure de cette définition, un produit devenu obsolète, en raison du progrès technique au regard des dispositions de l’article 1386-4 al 3 du Code Civil.
Enfin, le produit ne peut être considéré comme défectueux que dans la mesure où il a fait l’objet d’une première mise en circulation, entendue comme le désistement volontaire du producteur à destination d’un processus quelconque de commercialisation

Cependant, si le vice affectant le produit est essentiel à caractériser son défaut, il est une condition non suffisante pour apprécier la portée de l’engagement de la responsabilité du producteur.


B – Portée de l’engagement de la responsabilité du producteur

L’article 1386-4al 1 dispose qu’un produit est considéré comme défectueux dès lors qu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on est légitimement en droit de s’attendre.

Or, c’est à l’aune de ce principe, que la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel, rappelant qu’en l’espèce, les laboratoires Servier : « avaient l’obligation de fournir un produit exempt de tout défaut de nature à créer un danger pour les personnes et les biens ».

Or, la portée de ce principe est considérable, car elle fait peser une obligation de résultat sur le fabricant entendu largement, alors que la directive CEE, n° 85/374, du 25/07/85, n’envisageait qu’une obligation de moyens, admettant comme cause d’exonération en son article 7,e, une faculté d’exonération du producteur pour risque de développement.
Une traduction littérale de cette directive introduirait dans notre droit interne une condition d’exonération en raison de l’existence d’un cas de force majeure, or le TGI de Toulouse, 14/12/04 n’avait pas précédemment retenu une telle possibilité en application de l’article 1386-1 du Code Civil, car même en vertu de l’existence d’une autorisation administrative, le producteur demeure responsable, position qui va par ailleurs dans le sens de l’interprétation de la CJCE, 10/05/01, pour laquelle, les exonérations prévues à l’article 7 de la directive font l’objet d’interprétation stricte.

La Cour de Cassation définissant les contours de l’engagement de la responsabilité en matière de produits défectueux en a également limité les causes positives d’exonération.


II – Causes positives d’exonération de la responsabilité du fabricant

Conformément au Principe de la responsabilité civile initiée par DOMAT, les causes positives d’exonération de la responsabilité du fabricant portent tant sur l’absence de lien de causalité existant entre le fait générateur et le dommage (A), que sur la faute de la victime (B).

A – L’absence de causalité entre le fait générateur et le dommage

L’article 1386-11 du Code Civil précise les dispositions limitant de plein droit la responsabilité du producteur, or, si classiquement, l’absence de mise en circulation du produit, ou le fait qu’il n’ait présenté un défaut que postérieurement à sa mise en circulation ne surprend pas, le 4° de l’article précité dispose que l’absence de défaut relevé par les connaissances scientifiques et techniques de l’époque peuvent exonérer le producteur.

C’est en l’espèce, l’inverse de la position de la Cour de Cassation, car les laboratoire Sevier justifiait dans les moyens développés, d’une part d’une autorisation administrative de mise sur le marché, et d’autre part de tests réalisés à une époque ou l’état des connaissances scientifiques et techniques ne permettaient pas de déceler ce défaut.
Or, les laboratoires Servier ont fondé leur moyen de droit non pas sur l’article 1386-11 4° du Code Civil, mais sur la méconnaissance d’une directive non encore transposée par les autorités.

C’est sur ce fondement que la Cour de Cassation peut annuler l’arrêt de la Cour d’appel, car l’article 15-1c de la directive du 25/07/85, laisse la faculté au législateur d’introduire ou non une cause d’exonération fondée sur le risque de développement.

C’est pourquoi, la Cour de Cassation suivant les constatations de la Cour d’appel, contrôle et admet l’existence d’un lien direct entre le dommage subi par Mme X et le médicament prescrit, peut considérer le lien de causalité établi, et ainsi faire droit au pourvoi formé par les ayants droit de Mme X.

Une autre cause positive d’exonération, elle aussi traditionnelle est celle de la faute commise par la victime ou par une personne qu’elle a sous sa garde.

B- Existence d’une faute commise par la victime ou par une personne dont elle a la responsabilité

Disposée par l’article 1386-13 du Code Civil, cette cause d’exonération pourrait être difficilement invoquée par le défendeur dans la mesure où ce médicament a été prescrit par une autorité légitime, en l’occurrence le médecin.

Cet arrêt se situe néanmoins dans la droite ligne du scandale de Santé publique que connaissent les laboratoires Servier avec cette molécule, ce qui fait peser sur ces derniers outre une responsabilité du fait des produits défectueux, une responsabilité issue du régime de droit commun et fondée sur l’article 1353 du Code Civil, qui précise qu’en cas de présomptions graves, précises et concordantes, la responsabilité du laboratoire peut être engagée.

Christophe GEORGES ALBERT www.pack-ankh.fr