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Précisions sur le contrôle du formalisme de la procédure civile par la Cour de Cassation. Par Christophe Georges Albert
Parution : dimanche 4 décembre 2011
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Commentaire de l’arrêt de la deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation du 8 juillet 2004.

On attache souvent à la procédure civile un caractère formaliste, car elle présente un rite consistant à accomplir les formalités dans l’ordre, les formes et les délais impartis par la loi.

L’arrêt rendu par la deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation le 08/07/04, témoigne à ce titre de la rigueur formelle imposée par cette chambre qui fait autorité en matière de procédure.

En effet, alors qu’un Tribunal de commerce avait étendu à une personne privée la liquidation judiciaire d’une société, Mr X interjette appel du jugement rendu devant la Cour d’appel de Reims.

Cette dernière déboute l’appelant et confirme la décision rendue précédemment par le Tribunal de commerce dans son arrêt du 03/09/02.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de Cassation était interrogée sur le fait de savoir si la condition d’ordre imposé par les dispositions de l’article 74 du Code de Procédure Civile était d’interprétation stricte ?

Apportant une réponse, la Cour suprême rejette le pourvoi du demandeur aux motifs que les conclusions déposées par le plaideur doivent être qualifiées d’acte de procédure et sont dès lors soumises à un formalisme certain.

De ces faits simples et de cette motivation lapidaire, la Cour de Cassation témoigne tant de sa volonté de renforcer son contrôle du respect de l’ordre des actes de procédure qui lui sont soumis (I), que d’inscrire sa décision dans un mouvement de fond visant à renforcer les obligations formelles des plaideurs dans le dépôt de leurs conclusions (II).

I – Le renforcement du contrôle de la Cour de Cassation quant à l’ordre des actes de procédure

Si la protection des droits des justiciables impose de recevoir tous les moyens de défense soulevés par le plaideur, le désir d’organiser et de rationaliser la procédure ne répondait pas à un formalisme aussi strict (A), avant la position arrêtée par la deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation le 08/07/04 (B).

A – Historiquement, l’article 74 du Code de Procédure Civile bénéficiait d’un formalisme plus souple

Le défendeur à une instance peut invoquer utilement à l’appui de sa prétention les exceptions de procédure, et autres fins de non recevoir définies par les articles 73 et 122 du Code de Procédure Civile.
Les exceptions ont en effet pour objet de contester l’acte de procédure alors que la fin de non recevoir vise à anéantir l’action, c’est-à-dire la demande du plaideur.
Néanmoins, si l’article 74 du Code de Procédure Civile dispose que les exceptions de nullité doivent être soulevées avant toute fin de non recevoir, la jurisprudence antérieure de la Cour de Cassation (Civ.1ère, 18/11/1986 et Civ.1ère, 27/01/1993) considérait quelles pouvaient prospérer quelque soit leur ordre de présentation, dès lors qu’elles étaient invoquées dans le même acte.

L’idée soutenue par la Cour était que l’acte de procédure initial formait un tout, et que les conclusions n’étaient pas soumises aux formes très strictes des jugements.

Or, c’est cette interprétation moins formelle que va abandonner la Cour de Cassation, imposant désormais par l’autorité dégagée par sa deuxième chambre civile en matière de procédure, une règle particulièrement nette.

B – Impératif de la règle posée par la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation

Désormais, une exception de procédure et une fin de non recevoir peuvent conjointement être soulevées dans les mêmes conclusions, mais à la condition expresse que les exceptions figurent dans les écritures avant la fin de non recevoir.

La Cour de Cassation revient à travers cet arrêt à une interprétation stricte des dispositions de l’article 74 du Code de Procédure Civile, ce qui aboutit ainsi logiquement au rejet du pourvoi formé par le demandeur.
Cette décision n’est néanmoins pas en elle-même un revirement de jurisprudence car, elle était classiquement appliquée tant par la Chambre Civile de la Cour (Cass.Civ 3ème , 08/03/1977), que par la Chambre commerciale (Cass.Com, 13/12/1994).

Bien que de facture classique, cette décision tend à poser la première pierre d’un mouvement plus large qui ambitionne de renforcer les obligations formelles des plaideurs lors du dépôt de leurs conclusions.

II – Le renforcement des obligations formelles qui pèsent sur les plaideurs

Le désir d’organiser et de rationaliser la procédure a conduit la Cour de Cassation à ordonner les moyens de défense et à limiter la recevabilité des exceptions de procédure et des fins de non recevoir, contribuant ainsi à contraindre formellement les conclusions présentées par les plaideurs (A), et à transférer pour ces derniers le risque d’une négligence procédurale (B)

A – Les contraintes formelles pesant sur les plaideurs

Bien que soit retenu dans la décision de la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation du 08/07/04, l’idée selon laquelle l’acte de procédure initial forme un tout, la logique de cette chambre vise à ordonner dans un ordre croissant les difficultés du procès.
C’est en effet, parce que les conclusions déposées sont un acte de procédure, c’est-à-dire un cheminement progressif, que la rédaction de cet acte impose un ordre intérieur.

D’ailleurs, l’article 2 du Code de Procédure Civile dispose qu’il appartient aux parties d’accepter les actes de procédure dans les formes et les délais requis.
Il convient désormais aux parties de respecter dans leurs conclusions l’ordre suivant :

-  les exceptions afin de contester l’acte de procédure ;
-  l’acte de fin de non recevoir, afin d’anéantir l’action ;
-  la défense au fond qui veut nier le droit substantiel de l’adversaire.

Après avoir rappelé la nécessité de respecter un ordre précis dans les conclusions déposées par les plaideurs, la Cour renouvelant en Assemblée Plénière (Ass. Pl , 07/07/06) les critères de la chose jugée, transférera un risque supplémentaire sur ces derniers.

B – l’accroissement d’un risque procédural pour les plaideurs

En sus du respect des conditions relatives à l’ordre des moyens développés, il apparaît nécessaire à la Cour d’assurer la stabilité du système juridique, en imposant aux plaideurs une concentration des moyens de fait et de droit qui fondent sa prétention dans l’instance introduite par une assignation.
Le procès est en effet gouverné par un impératif de loyauté, et il est essentiel pour la Cour de contraindre les plaideurs afin d’éviter les manœuvres dilatoires.

Ce formalisme strict qui pèse sur les plaideurs n’est cependant pas anecdotique, et en cas de négligence ou de manquements graves, cette carence entraînerait un risque d’échec de la prétention défendue par le plaideur, ce qui est le cas en l’espèce.

Christophe GEORGES ALBERT www.pack-ankh.fr