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Les nombreuses incertitudes liées à la réforme de l’imposition des plus-values immobilières entrée en vigueur le 1er février 2012. Par Nicolas Marguerat, Avocat
Parution : vendredi 10 février 2012
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1er acte : le durcissement du régime d’exonération des plus-values immobilières issu de la loi du 8 septembre 2011

La seconde loi de finances rectificative pour 2011 du 8 septembre 2011 a entériné la réforme de l’imposition des plus-values immobilières à compter du 1er février 2012.

Le gouvernement avait, dans son projet de loi du 24 août 2011, proposé de supprimer, à effet immédiat (dès le 25 août 2011) purement et simplement l’abattement de 10% par année de détention au-delà de la cinquième année ce qui conduisait à supprimer toute exonération des plus-values en cas de cession d’un bien immobilier (à l’exception des cessions de résidences principales qui demeuraient exonérés).

Lors des débats parlementaires, il a été finalement décidé que l’abattement de 10% par année de détention au-delà de la cinquième année serait remplacé par un abattement de :

– 2 % pour chaque année de détention au-delà de la cinquième ;

– 4 % pour chaque année de détention au-delà de la dix-septième ;

– 8 % pour chaque année de détention au-delà de la vingt-quatrième.

Les conséquences de cette modification sont, d’une part, que les cessions de biens immobiliers ne sont exonérées qu’après une détention de 30 années du bien au lieu de 15 années auparavant et, d’autre part, que le dispositif d’exonération progressive par abattement est beaucoup moins rapide.

Ce nouveau dispositif est entré en vigueur depuis le 1er février 2012.

2ème acte : l’assouplissement « surprise » introduit par la loi du 28 décembre 2011 introduisant un nouveau régime d’exonération des plus-values strictement encadré

Lors des débats parlementaires au cours de la discussion sur la loi de finances pour 2012, Messieurs Gilles Carrez, Rapporteur général du Budget, Michel Bouvard et Jean-François Lamour ont présenté un amendement visant à rétablir une disposition concernant les exonérations de plus-values immobilières qui avait été en vigueur entre 1979 et 2004.

Ce régime avait pour objectif de créer une égalité entre ceux qui étaient propriétaires de leur résidence principale et qui bénéficiaient, lorsqu’ils la vendaient, d’une exonération de plus-value, et ceux qui vendaient un bien immobilier tout en n’étant pas propriétaires de leur résidence principale.

Cet article 3 bis lors des débats devenu l’article 5 de la loi de finances exonère d’impôt sur le revenu la plus-value réalisée lors de la première cession d’un logement lorsque le cédant n’est pas propriétaire de sa résidence principale et remploie le produit dans l’acquisition de sa résidence principale.

Cette exonération a été codifiée à l’article 150 U, II-1° bis du CGI.

Ce dispositif concerne les cessions de logements autres que la résidence principale, puisque les plus-values de cession des résidences principales demeurent exonérées, et ce, que quelles que soient les modalités de l’occupation du logement (résidence secondaire, logement donné en location ou mis à disposition à titre gratuit, logement vacant…).

La notion de logement exclut par contre les terrains à bâtir ou les locaux affectés à un usage autre que l’habitation comme, par exemple, les locaux commerciaux, industriels ou professionnels.

Trois conditions sont requises pour que l’exonération soit applicable :

1) L’exonération ne s’applique à la première cession réalisée par le contribuable ; seules sont prises en considération les cessions de logements qui ne constituent pas la résidence principale du cédant et seules devraient être prises en considération de telles cessions réalisées depuis la date d’entrée en vigueur de ce dispositif, soit le 1er février 2012,

Ce régime n’a donc vocation à s’appliquer qu’une seule fois.

2) Le cédant ne doit pas avoir été propriétaire de sa résidence principale, directement ou par personne interposée, au cours des quatre années précédant la cession,

3) L’exonération est conditionnée par le remploi par le cédant, dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la cession, du prix de cession dans l’acquisition ou la construction d’un logement, qu’il doit affecter, dès son achèvement ou son acquisition si elle est postérieure, à son habitation principale.

Le remploi peut n’être que partiel ; dans cette hypothèse, le texte prévoit que l’exonération est alors limitée à la fraction du prix de cession qui est effectivement réemployée.

3ème acte : le flou artistique du nouveau régime d’exonération des plus-values codifié à l’article 150 U, II-1° bis du CGI

Trois questions importantes se posent pour l’application de ce nouveau régime d’exonération et méritent une clarification rapide de la part de l’Administration.

1ère question : Doit-on ou non retenir les cessions (de logements autres que la résidence principale réalisées depuis le 1er février 2012) qui ont bénéficié d’une autre exonération ou pour lesquelles aucune plus-value n’a été constatée ?

Concernant ce dernier point, dans l’ancien dispositif qui existait entre 1979 et 2004, une réponse ministérielle avait répondu par la négative en posant le principe que : «  la circonstance que l’exonération se soit trouvée privée de portée pratique lors de la première cession, en raison de l’absence de plus-value, n’a pas pour effet de reporter l’application de cette exonération spécifique au profit d’une cession ultérieure  » (RM Boutin, JOAN du 13 avril 1992, question n°54135).

Il conviendra d’attendre les commentaires de l’Administration afin de savoir si elle maintiendra cette position.

2ème question : Quelle est la portée de l’interdiction d’être propriétaire de sa résidence principale au cours des quatre années précédant la cession de sa résidence secondaire ?

Cette restriction concerne sans aucun doute le cas où le contribuable a été propriétaire d’une autre résidence qui était sa résidence principale qu’il a cédée dans le délai de 4 années avant la cession de sa résidence secondaire.

La question qui se pose est de savoir si cette interdiction concerne également l’hypothèse où la résidence « secondaire » cédée a été, avant d’être la résidence secondaire du contribuable, la résidence principale de celui-ci dans le délai de 4 ans ?

La logique et l’équité voudraient que non !

Mais attention, logique et équité ne font pas toujours bon ménage avec fiscalité…

Toutefois, il convient de noter que cette restriction, qui n’existait pas dans l’amendement initial, a été introduite par Madame Valérie Pécresse, Ministre du Budget, dans le sous-amendement qu’elle a proposé pour « lutter contre les effets d’aubaine que pourrait susciter cette mesure. »

La Ministre avait poursuivi en indiquant que : « Il s’agit en effet d’éviter qu’une personne propriétaire de sa résidence principale vende celle-ci la même année que sa résidence secondaire et bénéficie ainsi de deux défiscalisations. »

En l’espèce, le contribuable ne bénéficie d’aucun effet d’aubaine ou ne réalise aucun « montage fiscal » puisqu’il aurait eu tout intérêt à céder sa résidence, alors que celle-ci était encore sa résidence principale, aucune condition n’étant alors requise pour bénéficier de l’exonération de sa plus-value.

La Ministre concluait en indiquant que : « Nous proposons, premièrement, que la défiscalisation ne puisse s’appliquer à la résidence secondaire ou au bien immobilier que si la résidence principale a été vendue au moins quatre ans auparavant  » ce qui laisse sous-entendre qu’il y a eu deux cessions de deux biens distincts devant être réalisées avec quatre années d’écart.

Dans ces conditions, on pourrait légitimement admettre que la condition devrait être considérée comme remplie quand bien même le bien cédé à titre de résidence secondaire a constitué la résidence principale du contribuable à une période au cours des quatre années précédant sa cession.

Nous attendons avec impatience les commentaires de l’Administration afin de voir si elle se rallie à cette interprétation.

3ème question : Le texte prévoit que l’exonération est applicable à la fraction du prix de cession remployée, que se passe-t-il alors lorsque le cédant rembourse un prêt qu’il avait souscrit lors de l’acquisition du bien qu’il cède avant de réinvestir dans l’acquisition de sa résidence principale ?

Cette question n’est pas dénuée d’intérêt pratique car, dans la plupart des cas, les organismes préteurs vont exiger, lors de la cession du logement (résidence secondaire), le remboursement des prêts qu’ils avaient consentis dès lors que les prêts étaient affectés au logement alors même qu’ils vont consentir un nouveau prêt au contribuable qui acquière sa résidence principale.

Doit-on considérer que l’exonération n’est applicable qu’au prorata du remploi, déduction faite du remboursement d’emprunt, ou peut-elle intégrale, dans la mesure où l’intégralité du disponible, après remboursement de l’emprunt, est réemployé ?

Là encore, la logique et l’équité voudraient que le contribuable puisse bénéficier d’une exonération intégrale puisqu’ils réinvestissent l’intégralité du produit qui est disponible.

Mais …

Gilles Carrez, auteur de l’amendement initial, avait indiqué que : « Cette exonération fonctionne de façon très simple : elle se fait au prorata du bien qui est vendu. Je m’explique. Si, par exemple, vous avez un bien qui vaut cent et que vous achetez une résidence principale qui ne vaut que quatre-vingt - cela peut arriver -, vous bénéficierez évidemment de l’exonération à hauteur de quatre-vingt. »

De même La Ministre avait indiqué lors de la présentation de son sous-amendement modifiant l’amendement initial que : « À cette fin, nous proposons, … deuxièmement, que le produit de la vente de la résidence secondaire soit affecté, en tout ou partie, à l’achat d’une résidence principale. »

Ces déclarations laisseraient supposer que l’exonération peut être totale dès lors que le contribuable réinvestit le produit de la vente, soit l’intégralité de son disponible dès lors qu’il a été contraint de rembourser des emprunts.

Admettre la position inverse reviendrait à annihiler le dispositif et à le priver d’effet puisque la plupart des plus-values ne pourraient pas bénéficier de l’exonération prévue par ce nouveau texte…

En effet, la plupart du temps, les acquéreurs achètent un bien grâce à un financement bancaire dont la durée atteint désormais 25 années ou plus et ils vont le rembourser par anticipation lors de la cession de celui-ci avant d’acquérir leur résidence principale qui sera elle-même partiellement financée par emprunt d’autant que ce dispositif est destiné notamment « aux jeunes ménages qui habitent dans des zones tendues » selon les termes même des signataires de l’amendement.

Nous attendons également les commentaires de l’Administration sur ce point.

En conclusion, ce nouveau dispositif pose donc un certain nombre de questions techniques et complexes très problématiques car les premières cessions susceptibles de bénéficier de cette exonération commencent à être régularisées.

Des arbitrages et des prises de positions délicates vont devoir être pris, sous le contrôle des notaires, dans l’attente de connaître la position de l’Administration sur ces questions.

Le contribuable se trouvant dans cette situation aura alors le choix entre :

- considérer, sous sa responsabilité, que sa plus-value est exonérée et ne pas faire de déclaration, à condition que certaines clauses soient insérées dans l’acte de vente, ou

- faire une déclaration et payer l’imposition sur la plus-value à charge pour lui d’en demander le dégrèvement et le remboursement par le biais d’une réclamation précontentieuse.

Nicolas MARGUERAT Avocat à la Cour Chargé d'enseignements [->nmarguerat.avocat@orange.fr]