Village de la Justice www.village-justice.com

De l’impropriété sémantique à la pratique commerciale déloyale. Par Alexandre Romi, Responsable des affaires juridiques
Parution : mardi 14 février 2012
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/impropriete-semantique-pratique,11691.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Certains mots sont parfois utilisés dans un sens erroné.

Lorsqu’une activité commerciale est basée sur la commercialisation d’un bien, l’utilisation par des concurrents, dans le cadre d’une campagne de communication, du nom commun de ce bien, mais dans un sens différent de celui qui le définit, peut-il être répréhensible ?

Les noms bénéficiant d’une protection

A/ La protection par les marques

1) Lorsque la marque fait le nom

Les exemples de marques illustres qui sont rentrées dans le langage commun sont légions. A titre d’exemple et d’illustration, il peut être cité le « Sopalin », le « Kleenex » ou encore le « Frigidaire ».

Tous ces noms sont des marques qui ont dûment été enregistrées et qui bénéficient donc de la protection au titre de la propriété industrielle.

L’article L. 713-2 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) dispose ainsi que « Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :
a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que : "formule, façon, système, imitation, genre, méthode", ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement ;
b) La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée ».

L’article L. 713-3 indique, quant à lui, que "Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public :
a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ;
b) L’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement
".

Le contrevenant, toujours selon le CPI, en utilisant, reproduisant ou en imitant une marque, et par conséquent son nom, engagera sa responsabilité civile, sous réserve qu’il y ait eu préjudice ou que cela constitue une exploitation injustifiée de ladite marque, et ce, même si le nom de cette marque fait dorénavant partie du vocabulaire.

C’est sur l’exploitation du nom de la marque que le juge se fondera pour apprécier si l’utilisation qui sera faite du nom de la marque est « anodine » ou si elle porte atteinte à la fonction d’origine de la marque (cf. considérant 8 du Règlement sur la marque communautaire), autrement dit si elle entraine un risque de confusion dans l’esprit du consommateur (cf. arrêt Interflora – CJUE 22 septembre 2011).

Enfin, la marque protège aussi contre certaines pratiques.

Ainsi, le Code de la consommation dans son article L. 121-9 dispose : « La publicité comparative ne peut :
1° Tirer indûment profit de la notoriété attachée à une marque de fabrique, de commerce ou de service, à un nom commercial, à d’autres signes distinctifs d’un concurrent ou à l’appellation d’origine ainsi qu’à l’indication géographique protégée d’un produit concurrent ;
2° Entraîner le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activité ou situation d’un concurrent ;
3° Engendrer de confusion entre l’annonceur et un concurrent ou entre les marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens ou services de l’annonceur et ceux d’un concurrent ;
4° Présenter des biens ou des services comme une imitation ou une reproduction d’un bien ou d’un service bénéficiant d’une marque ou d’un nom commercial protégé ».

2) Si la marque fait le nom, l’inverse n’est pas vrai

La question est de savoir s’il est possible d’enregistrer, en tant que marque, un nom commun de manière à bénéficier d’une protection pour un produit commercialisé sous ce nom.

Autrement dit, un fabricant de bougie, par exemple, pourrait-il enregistrer le mot bougie en tant que marque ?

La réponse évidemment est non et l’article L. 711-2 du CPI est clair : « Le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés. Sont dépourvus de caractère distinctif :
a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;
b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service ;
c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.
Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l’usage ».

B/ La protection par l’appellation d’origine

1) Les textes

L’article L. 115-1 du Code de la consommation dispose :"Constitue une appellation d’origine la dénomination d’un pays, d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains."

L’article L. 722-1 du CPI indique que « Toute atteinte portée à une indication géographique engage la responsabilité civile de son auteur.
Pour l’application du présent chapitre, on entend par "indication géographique" :
a) Les appellations d’origine définies à l’article L. 115-1 du code de la consommation ;
b) Les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées prévues par la réglementation communautaire relative à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires ;
c) Les noms des vins de qualité produits dans une région déterminée et les indications géographiques prévues par la réglementation communautaire portant organisation commune du marché vitivinicole ;
d) Les dénominations géographiques prévues par la réglementation communautaire établissant les règles générales relatives à la définition, à la désignation et à la présentation des boissons spiritueuses »
.

2) Les enjeux

Ils ne sont pas négligeables et on peut comprendre que d’aucuns essaient de bénéficier de la protection offerte par l’AOC.

Néanmoins la demande visant à obtenir l’appellation doit être présentée par un ensemble de producteurs et/ou de transformateurs concernés par le produit ; le dit produit doit être défini par un cahier des charges explicitant notamment le lien au terroir ou le caractère traditionnel du produit ; enfin le produit doit être contrôlé par un organisme tiers indépendant ou par un organisme étatique.

Ceux qui ne rentrent pas dans ce cadre ne peuvent que se défendre en ajoutant au nom du produit qu’ils commercialisent des précisions sur la composition du produit ou en y accolant un label.

Reste qu’il pourra être fait, par exemple, usage du nom du produit sans que cela puisse être considéré comme créant une confusion risquant d’induire en erreur le consommateur.

Les noms répondant à des normes homologuées

A/ Définition

Selon la définition de l’AFNOR, une norme est un document de référence approuvé par un institut de normalisation reconnu. Elle définit des caractéristiques et des règles volontaires applicables aux activités.

Toujours d’après l’AFNOR, une norme homologuée est une « norme française ayant fait l’objet de la procédure officielle d’approbation et de publication prévue par le Décret n° 2009-697 du 16 juin 2009, fixant le statut de la normalisation et par la directive relative à l’établissement des normes du 7 novembre 1994 du ministre chargé de l’Industrie.
Elle peut servir de référence dans une réglementation, un marché public, une marque NF.
L’homologation confère à la norme son caractère officiel et national. Une norme homologuée peut être rendue obligatoire à l’appui d’une réglementation notamment dans les domaines de la sécurité, de la santé et de l’environnement
 ».

B/ Illustrations

Il existe plusieurs milliers de normes, mais la plupart d’entre elles ne concernent pas des produits dont le nom est utilisé dans le langage courant.

Il en existe pourtant un certain nombre dont c’est le cas. Prenons l’exemple du ciment. Il suffit d’ouvrir le dictionnaire pour en lire plusieurs définitions.

Sur le site « www.le-dictionnaire.com » on peut ainsi découvrir que le ciment peut être défini comme :
- Matière pulvérulente qui se mélange avec de l’eau pour former un liant qui agglomère, en durcissant, des substances ou des matériaux variés ;

- Tout liant servant à agglomérer des corps

- Au sens figuré, ce qui est solide.

Il répond aussi à une norme précise, s’agissant des ciments courants, la norme NF EN 197-1.

C/ Peut-on utiliser librement le nom commun d’un produit répondant à une norme ?

1) La distinction entre non-professionnel et professionnel

A qui cela n’arrive t-il pas d’utiliser un mot à la place d’un autre, de commettre ce que d’aucuns appellent un abus de langage. Ce n’est pas pour autant que l’on risque des poursuites judiciaires.

Cependant, si les choses paraissent relativement claires, elles sont susceptibles d’être beaucoup plus complexes lorsque ce sont des professionnels qui communiquent et qui n’utilisent pas les mots adéquats à dessein. Cela peut-il toutefois être constitutif d’une pratique commerciale déloyale ?

Les articles du Code de la Consommation

Article L. 120-1

I.-Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère, ou est susceptible d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service.
Le caractère déloyal d’une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d’une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s’apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe.

II.-Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-1 et L. 121-1-1 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 122-11 et L. 122-11-1.

Article L 121-1

I.-Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes :
1° Lorsqu’elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial, ou un autre signe distinctif d’un concurrent ;
2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :
a) L’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ;
c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;
d) Le service après-vente, la nécessité d’un service, d’une pièce détachée, d’un remplacement ou d’une réparation ;
e) La portée des engagements de l’annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ;
f) L’identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ;
g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ;
3° Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en oeuvre n’est pas clairement identifiable.
II.-Une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.
Dans toute communication commerciale constituant une invitation à l’achat et destinée au consommateur mentionnant le prix et les caractéristiques du bien ou du service proposé, sont considérées comme substantielles les informations suivantes :
1° Les caractéristiques principales du bien ou du service ;
2° L’adresse et l’identité du professionnel ;
3° Le prix toutes taxes comprises et les frais de livraison à la charge du consommateur, ou leur mode de calcul, s’ils ne peuvent être établis à l’avance ;
4° Les modalités de paiement, de livraison, d’exécution et de traitement des réclamations des consommateurs, dès lors qu’elles sont différentes de celles habituellement pratiquées dans le domaine d’activité professionnelle concerné ;
5° L’existence d’un droit de rétractation, si ce dernier est prévu par la loi.
III.-Le I est applicable aux pratiques qui visent les professionnels.

2) L’obligation de vigilance du professionnel

Que cela soit à titre de publicité comparative ou bien afin de bénéficier de la notoriété d’un produit existant, le professionnel doit être très prudent quant aux mots qu’il utilise.

Restons dans les matériaux de construction et prenons l’exemple du béton.
On se souvient tous de la publicité dont le slogan était « mes gencives, c’est du béton ! ». Cela faisait référence aux qualités de solidité du béton.
La marque de dentifrice était-elle alors susceptible d’être poursuivie, le béton étant lui même un produit de construction répondant à une norme.

Bien évidemment, non. La raison en est simple, il n’y a pas de volonté de dénigrer. De plus, le dentifrice et le béton ne sont pas des produits qui opèrent sur les mêmes marchés, il n’y a donc pas de concurrence.

En revanche, si un professionnel utilisait les mots « béton » ou « ciment » pour des produits de construction qu’il commercialiserait mais qui ne répondraient pas aux normes desdits produits ; il les appellerait par exemple le « nouveau ciment » ou le « nouveau béton », cela pourrait-il constituer une pratique commerciale déloyale ?

Rappelons que selon les termes de l’article L. 121-1 du Code de la consommation,« I.-Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes :
1° Lorsqu’elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial, ou un autre signe distinctif d’un concurrent (...)

Clairement, un professionnel qui chercherait à bénéficier de la notoriété des qualités d’un produit dont la fabrication répond à des normes homologuées, sans pour autant le fabriquer, pourrait ainsi être poursuivi sur le terrain de la pratique commerciale déloyale.

La défense consistant à justifier que le nom du produit est définit dans le dictionnaire d’une façon différente par rapport à la norme et qu’en réalité l’intention n’étais pas de tromper le consommateur mais d’utiliser un « langage parlé » pourrait ne pas être suffisante pour duper le juge.

Ce dernier devrait en effet logiquement prendre en considération le fait qu’il s’agit de la communication d’un professionnel, que la volonté était bien de faire bénéficier au produit en question de certaines qualités en utilisant le nom d’un autre produit, ce qui est constitutif d’une pratique commerciale trompeuse.

Prudence donc, même si ce sont des noms communs qui sont utilisés !

Alexandre Romi Responsable des affaires juridiques