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Herbicide : le Juge impose un devoir de transparence au producteur. Par Arnaud Gossement, Avocat
Parution : mercredi 15 février 2012
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Par un jugement avant dire droit en date du 13 février 2012, le Tribunal de Grande instance de Lyon a déclaré la société Monsanto responsable du préjudice subi par un agriculteur, à la suite de l’inhalation d’un herbicide "Lasso". Cette société a été condamnée a indemniser intégralement le préjudice de l’agriculteur dont les caractéristiques exactes feront l’objet d’une expertise médicale.

Avant toute chose, il convient de rappeler que la responsabilité d’une personne morale ou physique ne peut être engagée qu’à trois conditions : la preuve d’un fait générateur, la preuve d’une préjudice, la preuve d’un lien de causalité entre ce fait générateur et ce préjudice.

Au cas présent, le Tribunal de Grande instance de Lyon retient l’existence d’un tel lien de causalité, entre le défaut d’information du producteur de l’herbicide sur la composition précise de son produit et les conséquences sanitaires de l’exposition de l’agriculteur requérant.

On notera que ce n’est pas la première fois que cette société se voit reprocher, par la justice, un manque d’information quant aux caractéristiques et risques des produits qu’elle commercialise.

Commentaire général

Tout commentaire de cette décision doit être empreint de la plus grande prudence. Il est encore trop tôt pour en tirer des enseignements définitifs. L’affaire n’est pas terminée, une expertise médicale doit encore être organisée et des recours en appel sont bien entendu possibles. Toutefois, en l’état actuel de la jurisoprudence, ce jugement contribue à souligner que les producteurs de produits phytosanitaires utilisés en agriculture sont débiteurs d’une obligation d’information et de renseignement trés précise. Ce jugement démontre également que ce défaut d’information peut amener celui qui en est responsable à devoir prendre à sa charge l’indemnisation intégrale du préjudice subi par la victime.

Autre intérêt de cette décision : le rappel selon lequel la responsabilité du producteur peut être recherchée alors même que le produit litigieux a fait l’objet d’une autorisation administrative de mise sur le marché. Au demeurant, voici la question centrale que pose cette affaire : comment mieux prévenir ce type de situation en améliorant la procédure d’instruction des autorisations administratives de mise sur le marché ?

Sur la réalité de l’intoxication

En premier lieu, le jugement du TGI de Lyon précise, au vu des pièces du dossier, que la réalité de l’intoxication subie par l’agriculteur exposé à des vapeurs du produit litigieux, est avérée :

"Attendu que l’ensemble des éléments de faits précités constitue donc un faisceau d’indices graves précis et concordants au sens de l’article 1353 du Code Civil et démontre la réalité d’une intoxication Provoquée par l’inhalation de LASSO".

Sur le fait générateur de responsabilité

En second lieu, le Tribunal de Grande instance de Lyon a jugé que le fait générateur de responsabilité de la société Monsanto est constitué d’un manquement, de la part de celle-ci, à une obligation d’information et de renseignement quant aux "conditions d’utilisation et aux précautions à prendre lors de cette utilisation" :

"Attendu que le fait de mettre un produit phytosanitaire dangereux sur le marché n’est pas en lui¬même et en dehors de toute autre considération constitutif d’une faute, dès lors que le fournisseur a reçu les autorisations administratives adéquates (autorisation de mise sur le marché) peu important à cet égard que dans d’autres pays le produit en cause ait été retiré de la vente et que cela ait également été le cas en FRANCE 3 ans plus tard ;

Qu’en l’espèce, le LASSO a reçu une autorisation de mise sur le marché le 31 décembre 1968 (...) ;

Attendu qu’en application de l’article 1147 du Code Civil, le fabricant d’un produit dangereux est tenu d’une obligation d’information et de renseignement quant aux conditions d’utilisation et aux précautions à prendre lors de cette utilisation ;

Attendu que si l’Alachlore est effectivement suspecté d’avoir des effets cancérogènes à long terme comme le rappelle la société MON8ANTO, le demandeur n’a jamais soutenu présenter une telle maladie ;

Que Monsieur F. présente des troubles respiratoires et neurologiques (pertes de connaissance, troubles de l’équilibre, épilepsie) ;

Attendu que la fiche toxicologique du Chlorobenzène (ou Monochlorobenzène) éditée en 1997 par l’INRS précise déjà à cette époque que

• le Chlorobenzène est rapidement absorbé par voie pulmonaire
• la voie respiratoire est la voire usuelle d’intoxication en milieu professionnel
• la toxicité sur l’homme peut être aiguë ou chronique
• le Chlorobenzène est un toxique hépatique et un irritant des muqueuses respiratoires
• la manipulation doit être effectuée en évitant l’inhalation de vapeurs
• des appareils de protection respiratoire doivent être prévus y compris pour des travaux de courte durée
• le nettoyage des cuves et réservoirs ayant contenu du Monochlorobenzène doit être
effectué avec cette même précaution

Que les effets chroniques s’exercent principalement sur le système nerveux central et peut entraîner des signes neurologiques (céphalées, vertiges, troubles de la sensibilité), et des lésions hépatiques, rénales et pulmonaires ;

Attendu qu’il s’agit donc d’un produit dangereux pour la santé humaine devant être manipulé avec soin et nécessitant une protection respiratoire ;

Attendu que l’étiquette du LASSO vendu en 2004 ne mentionne pourtant comme composant que l’Alachlore (480g/l, soit 43 % du produit) mais pas les autres composants, même si la présence de Monochlorobenzène (sans précision de quantité) est indiquée sur l’étiquette arrière du produit, juste avant les précautions d’emploi, alors pourtant que le Monochlorobenzène compose le LASSO pour moitié ;

Que si le produit actif est l’Alachlore, le Monochlorobenzène, qui n’est que le solvant permettant une dilution en vue de la pulvérisation, n’en reste pas moins le principal composant et devait de ce fait être signalé comme tel avec ses précaution d’utilisation et ses dangers ;

Qu’au rang de ces précautions, rien n’est pourtant mentionné concernant les risques liés d’inhalation du produit ou la nécessité de porter un appareil de protection respiratoire ; . Que seules sont mentionnées les risques liés à l’absorption, au feu, et au contact avec la peau et les yeux, alors que la société MONSANTO connaissait la dangerosité du Monochlorobenzène, et devait la connaître en sa qualité de fabriquant d’un produit chimique à base de Monochlorobenzène dont les effets néfastes sur l’homme en cas d’inhalation étaient répertoriés, ainsi que les précautions d’usage à prendre ;

Que la seule mention de la nécessité de porter un vêtement de protection et un appareil de protection des yeux et du visage fait référence aux risques de contacts avec la peau ou les muqueuses, mais pas aux risques respiratoires ;

Qu’il sera fait remarquer à cet égard que la fiche de retrait du marché en 2007 mentionne également que le LASSO est composé d"Alachlore pour 480 g/l, mais sans mentionner le Monochlorobenzène, alors qu’elle fait référence à l’autorisation de mise sur le marché de 1968 ;

Attendu que dans ces conditions, la société MONSANTO a manqué à ses obligations contractuelles envers la coopérative des Agriculteurs de C. et C. en lui vendant le LASSO sans l’informer exactement de la composition de ce produit, des précautions d’usage pour son utilisation, notamment par rapport aux risques d’inhalation alors qu’il s’agit d’un produit dangereux ;

Que ce manquement constitue une faute délietuelle à l’encontre de Monsieur F. tiers au contrat liant la société MONSANTO à la coopérative ;

Que la société MONSANTO a ainsi engagé sa responsabilité délictuelle sur e fondement des articles 1382 et suivants à l’égard de M F., sans qu’il y ait lieu d’examiner le fondement des articles 1147 et 1165 du Code Civil invoqué à titre s ubsid ia ire ;

Attendu que Monsieur F. a reçu une formation professionnelle d’agriculteur ne dispensant pas de connaissances particulières en chimie ou en toxicité des mélanges ;

Qu’aucune mise en garde relative à l’inhalation n’apparaissait sur la boite de LASSO ;

Qu’on ne peut dés lors lui reprocher d’avoir ignoré le danger présenté par l’inhalation du LASSO, ou même d’avoir spontanément pris des mesures de protection à d’autres occasions alors qu’il n’en a pas pris le jour de l’accident ;

Attendu que dans ces conditions, il ne peut être retenu aucun fait de la victime qui soit fautif et de nature à limiter ou exclure son droit à indemnisation ;

Que la société MONSANTO sera, en conséquence, tenue de réparer l’entier préjudice de Monsieur F. résultant de l’inhalation du LASSO"

Arnaud Gossement
Avocat associé au Barreau de Paris
Docteur en droit et Maître de conférences à Sciences Po Paris
Blog : http://www.arnaudgossement.com/