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Récupérer son permis de conduire en urgence et la gravité des infractions reprochées. Par Didier Reins, Avocat
Parution : lundi 5 mars 2012
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La question de la récupération de son permis lorsque celui-ci a été annulé se heurte dans l’esprit du justiciable à la gravité ou au nombre des infractions commises.

Rappelons que le formulaire 48SI qui informe l’automobiliste de la perte de la totalité de ses points affectés à son permis de conduire recense sous la forme d’un tableau l’ensemble des infractions au Code de la route ainsi que le nombre des points perdus à chaque occasion.

La réception du formulaire 48 SI sonne un glas au moins provisoire pour le permis de conduire de l’automobiliste.

Celui-ci n’a plus le droit de conduire et doit restituer son permis de conduire en préfecture sous un délai de 10 jours.

ATTENTION  : l’interdiction de conduire est immédiate, le délai de 10 jours pour rendre son permis de conduire n’est qu’un délai de confort.

L’automobiliste est donc frappé de plein fouet par ce que l’on appelle en droit public une décision individuelle défavorable.

Or, la contre-attaque est possible.

En effet, si une autorité administrative a pris à votre encontre une décision qui vous cause grief et dont vous contestez la légalité, vous pouvez demander au juge administratif de suspendre cette décision.

Pour cela, il faut déposer deux recours différents, à savoir :
- un recours pour excès de pouvoir destiné à faire annuler cette décision.
- un recours en référé suspension destiné à suspendre la décision attaquée en attendant que le juge de l’excès de pouvoir se prononce sur votre première requête.

Il faut bien comprendre que lorsque vous déposez un recours pour excès de pouvoir, celui-ci ne sera pas jugé avant plusieurs mois : d’où l’utilité de déposer en même temps le référé suspension afin que le juge suspende la décision que vous contestez en attendant qu’il se prononce sur le recours pour excès de pouvoir.

Prenons un exemple : votre permis de conduire vient d’être annulé, car vous avez perdu l’intégralité de vos points.

Vous contestez cette décision et souhaitez récupérer votre permis.

Vous allez donc introduire deux recours :
- un recours pour excès de pouvoir afin que le juge annule la décision d’invalidation de votre permis de conduire et vous restitue votre permis.
- un référé-suspension afin de récupérer provisoirement votre permis de conduire jusqu’à ce que le juge se prononce sur le recours au fond.
Si vous ne le faites pas, vous devrez vous passer de permis de conduire jusqu’à ce que le juge se prononce sur le recours pour excès de pouvoir, c’est-à-dire plusieurs mois, et vous ne pourrez pas conduire pendant tout ce temps.

Il est donc vivement conseillé de faire un tel recours en référé suspension.

Pour que celui-ci ait une chance d’aboutir, il faut que soient remplies deux conditions cumulatives :

- Il faut que vous justifiiez d’une urgence.

- Il faut également qu’il y ait de sérieuses raisons de penser que la décision dont vous demandez la suspension est illégale.

ATTENTION  : vous ne pouvez pas vous contenter de déposer seulement un référé suspension.
Pour que celui-ci soit valable, vous devez déposer en même temps le recours pour excès de pouvoir, ce qui est logique, car vous ne pouvez demander la suspension d’une décision que si vous en contestez la légalité et en demandez l’annulation.

La requête en référé-suspension devra contenir un résumé des faits, la présentation des "moyens" (arguments juridiques) et justifier de l’urgence nécessitant la suspension de la mesure.

Votre requête fera l’objet d’une instruction accélérée.

Le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée s’il l’estime irrecevable ou mal fondée.

La procédure est contradictoire, ce qui signifie que l’administration sera invitée à défendre son point de vue.

Le juge fixera dans les plus brefs délais la date et l’heure de l’audience, et vous en informera.

Le jugement (que l’on appelle une Ordonnance) sera rendu par le juge des référés.

Il interviendra dans les meilleurs délais (généralement trois semaines après le dépôt de la requête).

L’introduction de pareils recours fait parfois hésiter l’automobiliste lorsque celui-ci sait qu’il a commis, tantôt des infractions graves, tantôt des infractions nombreuses.

La jurisprudence ne s’arrête pas à cela et fait une application stricte des règles de droit.

La gravité des infractions ou le grand nombre des infraction n’empêchent pas de récupérer son permis en référé si la condition d’urgence est remplie.

I. La gravité des infractions commises et la possibilité de récupérer son permis de conduire en référé.

L’hypothèse est simple : l’automobiliste apprend que son permis est invalidé, c’est-à-dire qu’il a perdu la totalité de ses points, après avoir commis une ou plusieurs infractions d’une particulière gravité.

On songe par exemple à la conduite d’un véhicule en état d’ébriété.

L’automobiliste peut alors se dire qu’il ne lui servirait à rien de saisir le tribunal pour tenter de récupérer son permis de conduire au plus vite.

Il s’agit là d’une erreur d’appréciation de sa part, car le tribunal administratif, saisi en référé, ne juge pas la gravité de l’infraction commise par l’automobiliste, mais s’attache uniquement à une seule question : y a-t-il urgence pour cet automobiliste-là de récupérer son permis de conduire au plus vite ?

La nécessité de lutter contre l’insécurité routière, qui est un objectif noble, ne saurait être un critère de l’urgence puisque cet objectif ne participe pas à la définition de la condition d’urgence.

Il s’agirait alors d’une 3ème condition non posée par l’article L 521-1 du Code de Justice Administrative.

C’est ce qu’a rappelé opportunément le Juge des Référés du Tribunal Administratif de Versailles le 6 mars 2008 :

Ordonnance du 6 mars 2008, Tribunal Administratif de Versailles, FORQUES / Ministre de l’Intérieur.
" Contrairement à ce que soutient le Ministre de l’Intérieur, en dépit de la gravité des infractions commises par le requérant les 5 octobre 2005 et 13 octobre 2006, dont la 2nde est à l’origine de la perte de quatre points, la suspension de cette décision n’est pas inconciliable avec les exigences de la sécurité routière ;
Que, dans ces conditions, la condition d’urgence est remplie".

L’objectif de conservation de l’intérêt collectif est précisément assuré par les juridictions pénales et trouve sa fonction dans les peines prononcées par le juge répressif.

Le juge administratif n’est pas un ultime stade de sanction d’un comportement répréhensible.

Il est le juge de l’acte administratif, pas celui du comportement du requérant qui a déjà été sanctionné en amont.

En appréciant la nature et les conditions des infractions commises, le Juge des Référés adopterait la posture du juge pénal et prendrait en considération des éléments de fait qui n’ont pas leur place dans l’examen de l’irrégularité supposée et des conséquences d’un acte administratif individuel sur la seule personne de l’automobiliste.

Il n’appartiendra donc pas au Juge des Référés de se pencher sur la nature des infractions reprochées au justiciable, mais uniquement sur l’urgence qu’il y a à lui restituer son permis de conduire.

Le juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg a eu l’occasion de confirmer cet état du droit dans une affaire qui ne laissait en apparence que peu d’espoir à l’automobiliste.

Celui-ci a perdu l’ensemble de ses points en commettant des infractions au code de la route particulièrement graves : conduite en état d’ébriété à deux reprises avec tentative de fuite...

Tout laissait penser à ce conducteur qu’il aurait droit à un accueil plus que glacial devant la juridiction administrative et que sa requête serait rejetée eu égard à sa dangerosité supposée.

Pour autant, le magistrat a fait une stricte application des règles de droit et s’est refusé à rajouter à l’article L 521-1 du code de justice administrative une condition que celui-ci ne posait pas.

La décision d’invalidation du permis de conduire de cet automobiliste, prise par Monsieur le Ministre de l’Intérieur, a été suspendue en référé, de telle sorte que ce justiciable a recouvré le droit de conduire.

Ultérieurement, la décision d’invalidation a été définitivement annulée par le tribunal, les retraits de points opérés à l’occasion de la commission de ces infractions pourtant graves ayant été effectués contrairement à la procédure prévue par le Code de la Route.

Voir ainsi Tribunal Administratif de Strasbourg, Pichon / Ministre de l’intérieur :
"Considérant que M. P. qui exerce la profession de tuyauteur au sein de la société X et qui est tenu, par le contrat de travail qui le lie à son employeur, de disposer de son permis de conduire sous peine de licenciement, justifie de l’existence de la situation d’urgence."

II Le grand nombre des infractions commises et la possibilité de récupérer son permis de conduire en référé.

L’hypothèse est ici toujours aussi simple : l’automobiliste a perdu l’ensemble de ses points après avoir commis plusieurs petites infractions.

Le cas qui revient le plus souvent est celui de l’automobiliste qui a commis plusieurs excès de vitesse inférieure à 20 km/h mais qui ont à chaque fois conduit au retrait d’un point sur son permis de conduire.

Là encore, l’automobiliste pourrait hésiter à faire valoir ses droits et à se défendre en se disant que le grand nombre d’infractions qui lui ont été reprochées conduira au rejet de sa requête.

Or, le juge administratif, saisi en référé, n’est pas là pour statuer sur autre chose que la notion d’urgence, qui ne se confond pas avec celle de l’éventuelle dangerosité de l’automobiliste.

S’il y a urgence, et si les arguments de fond présentés par ce justiciable semblent crédibles, le juge des référés lui rendra provisoirement son permis de conduire jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours pour excès de pouvoir.

Par un arrêt remarqué du 13.03.2009, le Conseil d’Etat a considérablement assoupli les conditions d’appréciation de la notion d’urgence pour ceux qui utilisent leur permis de conduire à des fins professionnelles quotidiennement.

Dans cette affaire, un chauffeur de taxi s’était vu invalider son permis de conduire pour solde de points nul.

Devant impérativement poursuivre son activité qui implique le permis de conduire, ce chauffeur de taxi attaque la décision d’invalidation de son permis de conduire devant le tribunal administratif.

Parallèlement, une demande de référé suspension est déposée.

Le Conseil d’Etat donne raison à ce chauffeur de taxi, qui retrouve la possibilité de conduire et donc d’exercer sa profession pendant la durée de la procédure administrative.

Dans l’arrêt rendu le 13.03.2009, le Conseil d’Etat ne se focalise que sur la nécessité pour le chauffeur de taxi de retrouver le droit de conduire, et non sur la série de 11 infractions qui avait entraîné l’invalidation de son permis.

La motivation retenue par le Conseil d’État est ici sans ambiguïté puisque celui-ci énonce expressément :
" Considérant qu’aux termes de l’article L 521-1 du code de justice administrative " quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;
Considérant d’une part que l’exécution de la décision du 17 juillet 2008 par laquelle le ministre de l’intérieur a informé le requérant de la perte de validité de son permis de conduire porterait une atteinte grave et immédiate à l’exercice par l’intéressé de sa profession de chauffeur de taxi ;
Que, dès lors, eu égard aux conséquences qu’aurait l’exécution de cette décision sur l’activité professionnelle et la situation financière -du requérant - et alors que sa suspension n’est pas, dans les circonstances de l’espèce, inconciliable avec les exigences de la sécurité routière, la condition d’urgence fixée à l’article L 521-1 du code de justice administrative est remplie".

Il importe peu que l’automobiliste ait sur la conscience la commission d’infractions nombreuses dans la mesure où cette forme de "comptabilité" n’exerce juridiquement aucune influence sur la notion d’urgences et illégalités qui sont les deux seules conditions cumulatives nécessaires pour récupérer son permis de conduire en référé.

III Conclusion.

Ce qui peut paraître comme une clémence de la jurisprudence n’est en réalité qu’une stricte orthodoxie juridique.

Le Code de la route et le code de justice administrative prévoient tous deux que le permis de conduire peut être récupéré en référé si l’automobiliste se trouve dans une situation d’urgence et si les arguments de fond qu’il développe pour obtenir l’annulation de la décision lui faisant grief semblent "tenir la route".

Le Code de justice administrative et le Code de la route ne prévoient rien d’autre.

Lorsque des magistrats administratifs évacuent donc toute notion de dangerosité de l’automobiliste, au regard des infractions qu’il a commises, ceux-ci ne font qu’appliquer les règles de droit votées par le législateur et s’en tiennent donc au rôle qui leur est dévolu.

On peut certes comprendre les réclamations plus ou moins vives émises par ceux qui défendent la sécurité routière à tout prix : ce n’est cependant pas au magistrat qu’il faut s’en prendre, mais au législateur, lequel peut toujours revenir sur un texte ou le compléter.

Reconnaissons par ailleurs que si le magistrat administratif rajoutait une troisième condition à la recevabilité du recours en référé, à savoir l’absence de toute dangerosité, et cela en l’absence de texte, les reproches fuseraient également.

On n’encourt pas de reproches lorsque l’on applique la loi.

Cela n’est qu’une démonstration supplémentaire de ce qui peut définir un État de droit, à savoir un État limité par le droit.

Didier Reins Avocat E-Mail : [->reins.avocat@gmail.com] Site Web: https://reinsdidier-avocat.com
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