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La Pierrade reste une marque. Par Manuel Roche, CPI
Parution : lundi 12 mars 2012
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La Cour d’appel de Lyon vient de décider, en cette période hivernale à propos, que la marque LA PIERRADE n’était pas sujette à dégénérescence malgré le constat d’un usage quotidien, massif et courant de ce mot par le grand public pour désigner un appareil de cuisson avec une pierre chauffée (1).

Une telle décision pourrait a priori paraître surprenante au vu de la règle édictée par l’article L.714-6 du Code de la propriété intellectuelle selon laquelle "Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d’une marque devenue de son fait : a) La désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service ; […]".

Toutefois, l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon s’insère dans un courant jurisprudentiel d’origine communautaire (2), fondé sur une interprétation à la lettre de l’expression "dans le commerce" de la disposition précitée (ou plutôt de son équivalent dans la directive 2008/95/CE (3)), et au terme duquel le prononcé de la dégénérescence d’une marque suppose la démonstration de ce que le signe serait devenu la désignation usuelle du produit ou du service en cause, non seulement à l’égard du grand public, mais également au regard de l’ensemble des professionnels du secteur considéré.

En l’espèce, si la première de ces conditions était "amplement" remplie (4), la cour relève que "il n’est pas même prétendu que, du point de vue des professionnels du secteur de la fabrication et de la commercialisation des appareils de cuisson et autres produits et services désignés dans l’enregistrement, le signe serait devenu usuel".

Au surplus, il convient de noter, avec la cour, que la loi ne prévoit de déchéance dans une telle hypothèse que si la dégénérescence est imputable au propriétaire de la marque attaquée, c’est-à-dire que si elle résulte de son activité ou de son inactivité, ce qui ne semblait pas le cas dans les circonstances de l’espèce, le propriétaire de la marque LA PIERRADE menant vraisemblablement régulièrement des actions à l’encontre de ses concurrents indélicats.

Voilà donc l’occasion de rappeler que la fameuse expression selon laquelle "une marque peut être victime de son succès" n’est pas d’une vérité absolue.

NOTES :

(1) CA Lyon, 1ère ch. civ. A, 2 fév. 2012 (RG : 08/08853).
Nous ne nous intéressons ici qu’à l’aspect de la décision statuant sur la dégénérescence de la marque.

(2) Principalement les arrêts "Björnekulla" (C-517/99) du 29 avril 2004 et "Levi’s" (C-145/05) du 27 avril 2006 de la Cour de justice de l’Union européenne.

(3) Article 12, 2, a, de la Directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques.

(4) A noter que le terme PIERRADE figurerait même dans le dictionnaire, ce qui est un élément régulièrement retenu pour démontrer le caractère usuel d’une dénomination pour désigner certains produits ou services, et donc souvent retenu pour acter de la dégénérescence d’une marque.

Manuel ROCHE Conseil en propriété industrielle - Marques & Modèles INSCRIPTA http://www.inscripta.fr