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Le droit à l’oubli consacré en justice, une vraie bonne idée ? Par Matthieu Wiedenhoff, Doctorant en droit
Parution : vendredi 23 mars 2012
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Le célèbre droit à l’oubli numérique vient de trouver une application en justice, ce 15 février 2012.
Mais est-ce réellement une bonne idée ?

Les affaires en justice demandant la désindexation de résultats des moteurs de recherche se multiplient. L’étude de deux exemples récents permet de se rendre compte de l’inefficacité des mesures de filtrage ou de désindexation demandées aux tribunaux.

Quelques affaires impliquant la désindexation de résultats de Google

L’an dernier, une affaire avait vu une jeune professeur obtenir la désindexation de résultats pointant vers une vidéo à caractère pornographique qu’elle avait tournée étant plus jeune.
Une simple recherche « laetitia swallow » sous Google vous éclairera sur l’efficacité réelle de la mesure ( un résultat pointe vers une retranscription de la décision, et les neufs autres permettent de télécharger cette vidéo ).

Ce 15 février, une affaire similaire est jugée, pour des motifs semblables. La nouveauté, c’est que la décision prend appui sur le droit à l’oubli.
Encore une fois, une recherche avec les termes « lilith défoncer » (toutes mes excuses pour le caractère cru des termes de recherche) pointera sur une foultitude de résultats.

Explications de l’effet réel d’une demande de désindexation

Pourquoi ces résultats à l’opposé de ce qui était attendu ? Il y a deux raisons principales à cela.

La première consiste en ce qui s’appelle l’ « effet Streisand ». En 2003, l’actrice avait demandé en justice la suppression d’une photo où apparaissait sa maison. 10 millions de dollars de procédure et 420 000 vues de sa maison plus tard, la photo est toujours disponible.

D’une façon plus spécifique, toute information qu’une autorité tente de supprimer d’Internet se voit instantanément projetée sous les feux de la rampe, de par un mécanisme de la psyché humaine qui tend à se focaliser sur quelque chose qu’on lui présente comme interdit ou inaccessible. Le Web étant construit pour permettre d’accéder à ce qui est inaccessible, ceci nous mène à la seconde raison.

Internet a été conçu pour résister à (presque) toutes les attaques. Si une autorité bâtit un mur entre un point A et un point B, l’information cherchera d’elle-même à contourner ce mur. Ce qui veut dire que supprimer une indexation dans un moteur de recherche ne fait pas disparaître l’information. Un mur est simplement construit devant elle, et la diffusion est au mieux retardée. De même, pour contrer la censure, Reporters Sans Frontières utilise un système automatisé de copie des contenus sensibles de sites web à sites web ( auto-blog ), afin de favoriser la diffusion d’un article gênant. Une fois diffusée sur le réseau, l’information ne peut plus s’en voir supprimé (les sites Copwatch étant un bon exemple, car même le Ministère de l’Intérieur ne peut les faire tous fermer ). Une fois diffusée sur le Web, une information ne peut donc plus être retenue.

Que faire ?

Résilience associée à une mise sous les projecteurs assurent donc une diffusion extrêmement rapide ( et incontrôlée ) d’une information. L’exact opposé de ce qui est recherché par les demandes en justice. Messieurs et Mesdames les avocats, prenez la peine de mentionner ce fait quand un client vient vous trouver pour faire disparaître du Web une information !

Pour faire disparaître un contenu gênant, il n’y a pas des milliers de solutions. Il faut soit attendre que l’intérêt pour la page en question diminue, soit générer une multitude de contenus de qualité portant les mêmes mots-clés pour reléguer les liens portant préjudice au fin-fonds des résultats. Il ne convient pas non plus d’entamer trop rapidement une action en justice, à moins d’être certain que le regain d’intérêt pour les contenus en cause ne les fera pas remonter des tréfonds des pages de résultats de recherche. Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.

Matthieu Wiedenhoff Doctorant en Droit Correspondant Informatique et Libertés - http://www.cabinet-cilab.fr