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Le "Petit Poucet" peut continuer à semer librement ses cailloux. Par Vanessa Bouchara, Avocat
Parution : mercredi 11 avril 2012
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Qui ne se souvient pas du conte le Petit Poucet retranscrit par Charles Perrault en France et paru dans les Contes de ma mère l’Oye en 1697 ? Ce conte, œuvre originale, bénéficiait de la protection par le droit d’auteur.

Ainsi, conformément aux dispositions de l’article L.123-1 du Code de la propriété intellectuelle, les droits patrimoniaux sur une œuvre sont conférés, à compter de la création de l’œuvre, à l’auteur, sa vie durant et, à son décès, au bénéfice de ses ayants droits, pendant l’année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent.

Une fois ce délai de protection expiré, l’œuvre tombe dans le domaine public, ce qui signifie qu’il devient une chose commune qui n’appartient plus à personne et dont l’usage est commun à tous, au sens de l’article 714 du Code civil.

Le conte le Petit Poucet et son personnage principal sont donc libres de droit et peuvent être réutilisés par toutes personnes le désirant sans avoir à demander une autorisation ou à payer une redevance.

C’est dans ce contexte que la société PETIT POUCET qui exerce une activité de conseil et d’assistance aux jeunes diplômés, futurs entrepreneurs, a notamment, crée un concours PETIT POUCET, et a pu déposer les marques verbales françaises PETIT POUCET en 2004 et 2006 pour désigner des services de financement et les noms de domaine petitpoucet.fr et petitpoucet.com.

Le délai de protection étant expiré, les droits d’auteurs relatifs au nom du personnage n’étaient plus susceptibles d’empêcher le dépôt de la marque susvisée.

Mais déposer une marque est une chose, pouvoir valablement opposer sa marque et revendiquer une exclusivité d’usage de celle-ci en est une autre.

La Banque populaire Caisse d’Epargne (BPCE) a, fin 2009, lancé une campagne publicitaire, conçue par la société EURO RSCG sur le thème le Petit Poucet pour promouvoir une offre de crédit ciblant les jeunes actifs. Dans cette publicité, l’illustre personnage, également abandonné par ses parents, revenait quelques années plus tard conduisant une belle voiture et ce, grâce à l’Avance Premiers Salaires de la Banque.

La société PETIT POUCET a assigné la BPCE et EURO RSCG devant le Tribunal de Grande Instance de Paris sur le fondement de la contrefaçon de marque et de la concurrence déloyale.

Le 3 février 2010, le Tribunal a débouté la société PETIT POUCET de ses demandes. Cette dernière a fait appel de cette décision.

Par un arrêt en date du 1er février 2012, la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement de première instance.

En effet, il a été jugé que bien que l’enregistrement d’une marque confère à son titulaire un droit de propriété sur les produits et services désignés, l’exercice de ce droit conféré n’est possible que s’il existe un risque de confusion et atteinte à la fonction essentielle de la marque de garantie de l’origine des produits.

Pour la Cour d’appel, la BPCE n’a fait usage de la dénomination Petit Poucet que comme référence au conte de Perrault, libre de droits, et non pour désigner le produit financier qui est clairement identifié par la dénomination « Avances 1ers salaires ».

Ainsi, la référence explicite au personnage du conte LE PETIT POUCET ne porte pas atteinte à la marque antérieure invoquée dans le cadre de cette procédure.

On se félicitera de cette décision qui limite le monopole de la société PETIT POUCET sur la marque PETIT POUCET, permettant ainsi à quiconque de librement adapter l’œuvre du Petit Poucet, libre de droits.

Comme le souligne la Cour, le Petit Poucet est un personnage populaire ancré dans l’imaginaire collectif qui ne peut être approprié par une société, il est alors permis à la BPCE d’en faire le personnage principal de ses publicités, sans pour autant être condamnée pour contrefaçon de marque.

Vanessa Bouchara Avocat au Barreau de Paris spécialisé en droit de la Propriété Intellectuelle https://www.cabinetbouchara.com