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Ma maison est hantée ? J’appelle mon avocat ! Par Jason Benizri, Avocat
Parution : lundi 21 mai 2012
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Sur la base d’une affaire récente aux Etats-Unis au cours de laquelle un couple de locataire a demandé en justice la restitution de sa caution pour cause de maison hantée, on peut se demander si notre droit français serait adapté à des faits similaires pour le moins inhabituels.
Quels seraient donc les droits d’un locataire ou de l’acquéreur d’un maison qui se révèle hantée...?

Un jeune couple avec un enfant a loué début mars une maison à Toms River, dans le New Jersey, sur la Côte Est des Etats-Unis. Très rapidement, d’inquiétants phénomènes paranormaux se seraient manifestés, entraînant la fuite du couple…et une demande de restitution de la caution au propriétaire !

Face au refus de ce dernier, les locataires ont saisi la justice, qui devra se prononcer, sans a priori, sur une situation peu commune…du moins dans les prétoires.

Si la justice américaine nous semble habituée à traiter toute sorte d’affaires, aussi saugrenues soient-elles (des millions de dollars de dommages-intérêt pour un café trop chaud, une glissade sur une frite, etc.), nous imaginons mal un tribunal français étudier sérieusement la responsabilité d’un propriétaire du fait d’un esprit frappeur !

Face à la judiciarisation de notre société, un tel cas ne peut être totalement exclu. Mais notre système juridique serait-il adapté ?

Force est de constater qu’avec de solides connaissances juridiques et une bonne dose de second degré, notre système est adapté !

Toutefois, les perspectives changent, que l’on soit locataire ou propriétaire… A condition, avant tout, de s’entendre sur les définitions.

Qu’est-ce qu’une maison ou un appartement hanté ?

Il convient en effet de s’entendre sur les termes. Qu’est-ce qu’une maison hantée ? Et hantée par qui ?

Le très sérieux INREES [1] , à l’occasion de cette affaire, s’est penché scientifiquement sur la question de savoir comment l’on reconnaît-on une maison "habitée" par des entités et que faire pour s’en débarrasser [2].

« Des bruits inexpliqués, des craquements, une sensation de froid dans le dos (…), l’impression de se sentir épié en permanence, des portes qui claquent, des lumières qui clignotent, des appareils qui s’allument tout seuls, des chaises qui se déplacent » seraient les manifestations les plus couramment constatées selon Florence Hubert, médium interrogée par l’INREES.

Si de nombreuses raisons peuvent expliquer la présence d’entités dans une maison, cette présence ne serait pas nécessairement problématique et s’avère la plupart du temps, sans danger. Mais parfois la cohabitation tourne au vinaigre, rendant la vie impossible pour ses habitants de chaire et d’os.

De notre point de vue, tant qu’elles sont matérielles, rien ne devrait s’opposer à ce que ces inquiétantes manifestations puissent être captées ou fixées afin d’en faire état devant un tribunal.

La preuve de la hantise…

En France la preuve est libre et la plupart du temps, elle incombe au demandeur.

En l’espèce, tout moyen de preuve pourra être admis dès lors qu’il n’est pas déloyal ou obtenu frauduleusement.

On peut imaginer des témoignages recueillis auprès du voisinage, des attestations, des photos ou enregistrements des manifestations paranormales, constat d’un huissier qu’il faudra peut-être laisser dans votre chambre obscure toute la nuit , voire pourquoi pas un rapport rédigé par un professionnel du secteur.

Le juge peut également s’adjoindre les services de tout professionnel afin de l’aider à faire surgir la vérité. Seulement, à ce jour, il n’existe pas de medium expert ès-qualités auprès d’un tribunal ! Il faudrait peut-être y penser…

Les rapports locatifs dans une maison ou un appartement hanté

Encore en 2012, notre droit de la location est largement régi par des articles du code civil, inchangés depuis 1804, bien que précisés par la loi du 6 juillet 1989.

1) Le bailleur et son obligation d’assurer le salut des âmes…

Petit clin d’œil du législateur avec notre sujet, l’article 1720 du code civil dispose que :

« Le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce. Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.  »

Aucun rapport avec nos fantômes, de prime abord. Et pourtant un dictionnaire étymologique, à l’entrée « réparation », nous indique que l’origine du mot renvoie initialement au vocabulaire chrétien, la « reparatio vitae », qui correspond à la préparation de la vie éternelle [3]...

Le bailleur, propriétaire d’un immeuble dont la preuve de phénomènes paranormaux est rapportée, n’aurait-il pas une obligation de faciliter l’apaisement des âmes en souffrance bloquées dans son bien ?

Une facture de son exorciseur, marabout, médium ou bioénérgéticien favori aurait pu faire l’affaire pour s’exonérer de toute responsabilité…sauf que le bailleur est tenu à une obligation de résultat ! Des murs qui saignent ou des chaises qui volent et c’est le procès assuré !

La loi du 6 juillet 1989 est plus précise et donne à ces obligations un caractère "d’ordre public", ce qui implique qu’il ne peut y être dérogé par contrat.

Reprenant en partie l’article 1721 du code civil, ces obligations prévoient notamment, à l’article 6, que :

"Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation".

"Le bailleur est obligé :

b) D’assurer au locataire la jouissance paisible du logement et (…) de le garantir des vices ou défauts de nature à y faire obstacle hormis ceux qui, consignés dans l’état des lieux, auraient fait l’objet de la clause expresse mentionnée au a ci-dessus

c) D’entretenir les locaux en état de servir à l’usage prévu par le contrat et d’y faire toutes les réparations, autres que locatives, nécessaires au maintien en état et à l’entretien normal des locaux loués"

L’article 1721 précise également que :

"S’il résulte de ces vices ou défauts quelque perte pour le preneur, le bailleur est tenu de l’indemniser".

Le propriétaire ne peut donc pas se retrancher derrière des responsables tiers - constructeur, entrepreneurs de travaux, etc. - ; il lui incombe par conséquent de rechercher lui-même la responsabilité de ceux qui ont commis ces "vices ou défauts de la chose louée".

Ce qu’il faut retenir de ces dispositions légales, c’est que le bailleur doit garantir au locataire la tranquillité dans son logement.

Si des portes viennent à claquer de manière intempestive, si des voix lugubres se font entendre à la cave, ou si surviennent des bruits de pas inexpliqués au grenier, le locataire devrait pouvoir faire intervenir son bailleur afin qu’il procède ou fasse procéder aux « réparations » appropriées, car manifestement de tels phénomènes privent le locataire de sa jouissance paisible…sauf si bien entendu tout ceci avait été consigné dans l’état des lieux !

Avis aux locataires pointilleux…

D’aucuns répondront que ce type de « réparations » ne relèvent pas de l’entretien normal. Il faudra donc attendre que le paranormal devienne normal !

A contrario, le bailleur ne devrait pas pouvoir s’opposer à ce que le locataire fasse intervenir tous les professionnels de l’au-delà qu’il lui siéra, quand bien même le propriétaire y serait farouchement opposé, par conviction religieuse ou superstition par exemple.

2) Le locataire, ou « preneur », face aux esprits de passage dans son bien…

L’Article 1724 du code civil prévoit notamment que si durant le bail, le bien loué a besoin de besoin de réparations urgentes, le locataire doit y procéder, peu important l’incommodité que cela puisse lui causer. Toutefois, le prix du loyer pourra être réduit d’autant si ces réparations durent plus de 40 jours.

L’article ajoute que :

«  Si les réparations sont de telle nature qu’elles rendent inhabitable ce qui est nécessaire au logement du preneur et de sa famille, celui-ci pourra faire résilier le bail.  »

Le cas américain exposé n’aurait donc pas pu se produire en France car notre code civil prévoit déjà la situation depuis 1804 !

Reste ensuite à apprécier le caractère « inhabitable » de l’appartement ou de la maison. Là encore, tout résidera dans la solidité des preuves.

En pareille hypothèse, le bail serait résilié et la caution, ou plus exactement le dépôt de garantie, devra être restitué dans les conditions légales.

Si les manifestations fantomatiques ne sont pas rédhibitoires, le locataire devra faire intervenir au plus vite les professionnels adéquats.

En cas de péril causé au bien du fait du cartésianisme exacerbé du locataire, ce dernier pourrait bien en supporter les risques et y perdre sa caution !

Il semblerait donc que si ces manifestations interviennent en cours de bail, c’est au locataire de faire le nécessaire. Si au contraire l’on se rend compte que le bien loué était déjà hanté avant la conclusion du bail, c’est que le propriétaire n’aura pas satisfait à ses propres obligations d’entretien.


La vente d’un bien déjà occupé par un fantôme…

Est-ce un point de plus sur lequel le futur propriétaire devra être vigilant lors de ses visites ? Devra-t-il exiger de passer une nuit sur place avant toute acquisition ?
On sait que le vendeur est tenu de fournir de nombreuses informations et garanties à l’acquéreur. Mais jusqu’où cela peut-il aller ? Que se passerait-il en cas de mauvaise surprise… ?

1) L’Obligation d’information

D’une manière générale, le vendeur est tenu de communiquer à l’acquéreur toutes les informations en sa possession au moment de la vente sur la situation de l’immeuble (éventuelles procédures en cours, existence d’un bail, servitudes, etc.).

Si l’acquéreur parvient à rapporter la preuve que le cédant avait connaissance de phénomènes paranormaux de nature à troubler l’utilisation du bien, voire qu’ils étaient la cause de la vente, alors une action en nullité de la vente n’est pas inenvisageable.

2) Les Certificats et diagnostics

Le vendeur doit établir à ses frais plusieurs types de certificats concernant notamment les termites, le plomb, l’amiante, etc.

L’absence de ces certificats n’entraîne, en principe, pas la nullité de la vente. Mais si l’acquéreur découvre par la suite la présence de termites, plomb ou amiante, il peut demander une réduction de prix, voire même dans certains cas l’annulation de la vente.

On peut donc se demander : à quand un certificat « esprits vengeurs » ? Voilà une formation que les diagnostiqueurs seront probablement ravis de suivre !

3) Un fantôme est-il un vice caché ?

D’après l’article 1641 du code civil, un vice caché est un défaut qui rend le bien impropre à l’usage auquel il est destiné ou qui réduit tellement cet usage que l’acheteur n’aurait pas réalisé la transaction ou aurait versé un prix moins élevé.

Par exemple, la législation sur les vices cachés a été appliquée en matière de vente immobilière pour un défaut d’étanchéité d’une maison ou des normes d’assainissement qui n’auraient pas été respectées.

A voir, donc, si les manifestations paranormales sont de nature à rendre le bien impropre à l’habitation.

Mais attention toutefois, car le vice caché doit affecter la structure ou la nature même de l’immeuble et ne doit pas se limiter à un quelconque défaut d’agrément.

Les esprits vengeurs doivent donc être particulièrement envahissants ! Quelques grincements occasionnels ne suffiront pas à faire annuler la vente !

De plus, l’acheteur ne devait pas avoir connaissance du défaut au moment de la vente. Une mention à ce sujet dans l’acte de vente ou dans des échanges épistolaires antérieurs suffiront au cédant pour en rapporter la preuve.

Autre point essentiel : le vice doit être antérieur au moment de la vente et c’est à l’acheteur de prouver cette antériorité, là encore, par tous moyens.

Alors que faire lorsqu’on ne peut se retourner contre personne de vivant ? L’expulsion ?


Peut-on faire expulser un fantôme ?

Avant d’en arriver à de telles extrémités, il convient de s’interroger sur l’existence d’une personnalité juridique du défunt.

L’article 311-4 du code civil nous indique pour avoir la personnalité juridique, un être humain doit être « né et viable »

A l’inverse, il n’existe pas de définition légale du décès. Seule sa constatation est réglementée, dans l’hypothèse notamment du prélèvement d’organes sur un cadavre.

Or, justement, le fantôme n’est pas le cadavre.

Il n’en demeure pas moins que le décès entraîne, à l’égard du défunt, la disparition de ses droits et de ses devoirs.

Alors risque-t-il l’expulsion ? Manifestement non car le juge n’aura pas prise…et l’usage de la force publique ne pourra être mise en œuvre.

Peut-être, dans quelques années, avec l’évolution des mentalités, une compagnie spéciale d’intervention aura vocation à procéder à ce type d’expulsion !

En attendant, une fois encore, il reviendra au propriétaire de s’adjoindre les services d’un professionnel du secteur.

En attendant, il faudra apprendre à cohabiter !

Jason BENIZRI Cabinet BNZ-AVOCAT 63 rue de Provence 75009 PARIS

[1Institut de Recherches en Expériences Extraordinaires

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