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De la qualité de client averti/profane en matière de placements financiers et de l’indemnisation du préjudice résultant d’un défaut d’information du banquier. Par Thomas Canfin, Avocat
Parution : jeudi 19 juillet 2012
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Analyse de l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 9 novembre 2010 (pourvoi n° 09-69997). Le banquier n’est pas tenu d’un devoir particulier de mise en garde vis-à-vis d’un client ayant une connaissance des marchés financiers lui conférant la qualité d’opérateur averti. En revanche, le manquement de la banque à son obligation d’information ou de mise en garde est constitutif d’une perte de chance pour le client de mieux investir ses capitaux qui doit être indemnisée.

L’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 9 novembre 2010 (pourvoi n° 09-69997), permet de dégager deux enseignements particulièrement intéressants.

Le premier enseignement a trait à la distinction entre le client profane et le client averti. Cette notion est importante puisque de celle-ci découle une obligation d’information et de mise en garde différente mise à la charge du banquier vis-à-vis de son client.

Dans cet arrêt de novembre 2010 la Cour de cassation considère que le client d’une banque qui avait, à plusieurs reprises, fait la démonstration de sa connaissance des marchés financiers, présentait le caractère d’un client averti.

La Cour retient pour cela que l’orientation de gestion dynamique choisie par le client était clairement et suffisamment décrite dans le projet qui lui avait été adressé et que la formule par laquelle il avait reconnu n’avoir aucune garantie concernant la valeur de l’épargne n’était donc pas une clause de style dénuée de valeur.

Ainsi, pour la Haute Cour, en l’état de ces constatations et appréciations, il découle que la banque de ce client n’était pas tenue à l’égard de ce dernier d’un devoir particulier de mise en garde et qu’elle avait satisfait à ses obligations en lui délivrant, lors de la conclusion du contrat litigieux, une information exacte et complète sur les risques encourus.

En l’espèce, des époux avaient souscrit un contrat d’assurance-vie libellé en unités de comptes et opté pour des supports à capital variable, fortement investi en actions et orientés vers un profil de gestion dynamique.

De manière rapide, soit quelque mois après l’investissement en question, ces époux avaient du subir des pertes importantes mais avaient refusé le conseil du banquier d’opérer une réorientation du placement. Par suite, ils avaient préféré assigner la banque aux fins de condamnation à leur payer des dommages-intérêts en réparation de la totalité des pertes subies.

Cependant, pour les juges du fond, il résulte de la simple expérience du client qu’il acquiert la qualification d’opérateur averti.

Le client perd sa qualité de profane et de consommateur moyennement informé par le simple constat qu’il disposait déjà de comptes titres et de contrats d’assurance vie, pour des montants importants.

La Cour de cassation ne consacre pas une relation de cause à effet entre la possession de comptes titres et des contrats d’assurance vie d’une part et la qualification de client averti d’autre part, mais pour le moins elle relève, comme les juges du fond, que le client avait ainsi fait la démonstration de sa connaissance des marchés financiers.

Cet arrêt semble atténuer la portée du principe dégagé par l’arrêt de la même chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 2 février 2010 (pourvoi n° 08-20150) qui rappelle que le banquier doit définir le profile de son client avant de lui proposer un service ou un produit financier et ainsi se renseigner sur ses connaissance et son expérience en matière d’investissement, sans pouvoir se limiter à l’expérience effective ou aux déclarations du client.

Cependant, l’arrêt du 9 novembre 2010 semble être plus un arrêt d’espèce qu’un arrêt de principe. En effet, dans cette affaire il est établi qu’au sein du couple, le mari avait mesuré précisément la nature et les risques du placement envisagé avant de prendre sa décision. Sa qualité de client averti ne pouvait être contestée.

Par contre, l’arrêt objet de notre étude retient que la banque a bel et bien manqué à son obligation d’information à l’égard de l’épouse de ce couple de clients. Il convenait de prodiguer à l’épouse une mise en garde personnalisée, son statut d’épouse de lui conférant pas, de facto, la qualité de cliente avertie.

Cette position de la Cour de cassation n’est pas surprenante ; elle se rapproche de celle qui préside en matière de contrat de prêt (Cour de cassation chambre mixte, 29 juin 2007  : RD Bancaire et fin. 2007, comm. 174, obs. F.-J. Crédot et Th. Samin ; Banque et droit 2007, n° 115 p. 31, obs. Th. Bonneau ; D 2007, p. 1950, obs. V. Avena-Robardet ; RTD civ. 2007, p. 779, obs. P. Jourdain ; JCP E 2007, 2105, note D. Legeais) pour lequel la Cour de cassation impose désormais une mise en garde personnalisée et différenciée des époux, la qualité de client averti de l’un des époux ne pouvant se déduire du simple lien familial ou conjugal.

En l’espèce, bien que la qualité de client averti du mari ne pouvait faire de doute, il convenait néanmoins que la banque convoque l’épouse et remplisse son obligation d’information à son égard.

Le second enseignement de cet arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 9 novembre 2010 a trait à l’indemnisation du préjudice du client profane (ou non averti) qui est victime d’un manquement avéré de son banquier à l’obligation d’information pesant sur lui.

La Cour de cassation juge, à cet égard, que le manquement de la banque aux obligations d’information ou de mise en garde auxquelles elle peut être tenue à l’égard de son client prive seulement celui-ci d’une chance de mieux investir ses capitaux et que cette perte constitue un préjudice distinct de celui qui résulte des opérations effectivement réalisées.

Il est en effet de jurisprudence constante que la notion de perte de chance constitue un dommage distinct de celui du dommage final, même si la perte de chance s’évalue effectivement par rapport au préjudice final.

En l’espèce selon l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 9 novembre 2010, en matière de placements financiers, les clients malheureux ne sauraient valablement solliciter une indemnisation à la hauteur de l’intégralité des pertes pouvant être déplorées.

En effet, si le banquier manque à son obligation d’information, cette faute prive uniquement le client d’une chance de réaliser des placements financiers plus judicieux. Selon la Cour, ce préjudice est distinct de celui consistant dans les pertes financières de l’épouse.

En conclusion, si la banque devait effectivement informer l’épouse − qui ne pouvait hériter du statut de cliente avertie du seul fait de son lien matrimonial avec son « époux-client averti » − elle ne peut néanmoins solliciter des dommages-intérêts à la hauteur de la totalité du volume de ses pertes ; son indemnisation devant être cantonnée à celle du préjudice né de la perte d’une chance de réaliser de meilleurs placements financiers si elle avait été éclairée par le banquier.

Thomas CANFIN Docteur en droit Avocat associé (Toledano Canfin & Associés) Spécialiste en Droit bancaire et boursier Spécialiste en Droit commercial, des affaires et de la concurrence https://www.canfin.fr/