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Diffamation et injure : piège de la qualification et délai de prescription couperet. Par Alexandre Blondieau, Avocat.
Parution : mardi 24 juillet 2012
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Le délit de diffamation est constitué par toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.

Qualification du délit et défense du prévenu

Alors que le délit d’injure est toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait. De façon pragmatique, celui qui écrirait que « Monsieur Dupont est un salaud car il trompe sa femme tous les samedis soir avec les danseuses d’un cabaret bien connu », commettrait une diffamation. Si en revanche, celui-ci se contentait d’écrire que « Monsieur Dupont est vraiment un salaud » en s’en tenant à cela, il commettrait le délit d’injure. Monsieur Dupont (en pratique son avocat) ne devra pas se tromper de qualification lorsqu’il agira en justice contre cet auteur indélicat car s’il invoque la diffamation alors qu’il s’agit d’une injure ou inversement, la procédure sera annulée, au pénal, le prévenu sera relaxé.

En matière de diffamation, deux moyens de défense peuvent être utilisés par le prévenu (le défendeur s’il s’agit d’un procès civil) : l’exception de vérité, c’est-à-dire produire des éléments prouvant la réalité des faits ou bien faire la démonstration de sa bonne foi. Pour que ce dernier moyen prospère, la personne mise en cause devra notamment avoir été prudente dans l’expression et avoir agi sans animosité personnelle. Ainsi, lorsque Madame Marine Le Pen a agi en diffamation contre Madame Eva Joly, reprochant à cette dernière de l’avoir présentée comme "l’héritière de son père milliardaire par un détournement de succession", le Tribunal correctionnel a estimé que Madame Joly avait démontré sa bonne foi et a relaxé la candidate du parti écologiste.

Délai de prescription couperet pour les victimes

En France, la victime d’une escroquerie dispose de trois années pour agir et porter plainte contre l’auteur des faits alors que la victime d’une diffamation ou d’une injure dispose de… trois mois !

La loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, toujours en vigueur, a instauré une procédure dérogatoire aux principes essentiels du droit français afin de favoriser au maximum la liberté d’expression. Cela oblige les victimes des délits de presse (diffamations, injures principalement) à agir vite, très vite. En effet, la loi de 1881, en son article 65, dispose que ces délits se prescrivent par trois mois à compter de la date de la publication litigieuse. Ce délai est le même, que la victime choisisse la voie civile ou la voie pénale.

Ce délai est particulièrement bref par rapport au droit commun. Pour mémoire, devant les tribunaux civils, le délai de prescription classique est de cinq ans et devant les juridictions répressives (au pénal), le délai de prescription d’un délit est de trois ans (dix ans pour un crime, un an pour une contravention).

De plus, pour les délits de presse, ce délai peut s’avérer particulièrement compliqué à calculer puisque le point de départ sera la date de la publication litigieuse ou de la mise en ligne, bref le moment où le public a connaissance du texte litigieux. Par une fiction juridique, les infractions de presse sont considérées comme des infractions instantanées : commises en un trait de temps, le vol en est un exemple typique. Ici, la loi fait donc fi de la réalité puisque si la mise à disposition du public d’un magazine quotidien sera d’une journée, celle d’un livre pourra durer des années et pourtant au bout de trois mois, la diffamation contenue dans l’ouvrage sera un délit prescrit… au même titre d’ailleurs qu’une publication d’un texte injurieux sur un site internet. Les victimes d’infractions de presse seront donc privées du droit d’agir devant les tribunaux, faute de vigilance concernant les publications les impliquant.

Il apparait choquant que la réimpression d’un livre ne suffise pas à faire courir un nouveau délai de prescription en faveur de la victime, à la différence d’une réédition. S’agissant du contenu diffamatoire ou injurieux mis en ligne, une loi de 2004 avait instauré un point de départ du délai de prescription spécifique pour l’Internet : le délai ne commençait à courir qu’à compter de la suppression totale de la diffusion en ligne. Mais le texte fut censuré par le Conseil constitutionnel. Les sages ont vu d’un mauvais œil la différence de régime entre presse écrite classique et presse en ligne.

Il peut être fort compliqué pour les victimes de délits de presse commis en ligne de savoir où en est le délai de prescription. En leur faveur, la Cour d’appel de Paris a par exemple jugé que le changement d’adresse d’un site internet équivalait à une réédition et faisait alors courir un nouveau délai de prescription de trois mois : « en créant un nouveau mode d’accès à son site (l’exploitant) a ainsi renouvelé la mise à disposition des textes incriminés dans des conditions assimilables à une réédition » (Paris, 29 janvier 2004, Légipresse, Avril 2004, note A. Lepage). Mais pour les tribunaux en revanche, la simple mise à jour d’un site internet ne constitue pas une nouvelle publication.

Cette prescription est fort sévère pour les justiciables, d’autant plus que ceux-ci ont l’obligation de respecter cette règle lorsqu’il s’agit d’un délit de presse. Ils ne peuvent pas agir classiquement sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Cependant, il convient de relever que les délits de presse les plus graves se prescrivent par un délai plus long. En effet, l’article 65-3 de la de 1881 porte à une année la prescription des délits de presse touchant au racisme et aux différentes formes de discrimination, ainsi qu’au négationnisme. Cela multiplie par quatre donc le délai de prescription mais reste tout de même trois fois moins long que le délai de droit commun pour les délits classiques...

Alexandre BLONDIEAU Avocat à la Cour www.blondieau-avocats.com