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Hébergement de poulinière confiée à un haras : questions et reponses pratiques. Par Juan Carlos Heder, Avocat.
Parution : lundi 23 juillet 2012
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Compte tenu que la période de saillies vient de s’achever, il est à mon sens important de préciser quelques points concernant l’hébergement des poulinières au haras.

Deux questions me semblent récurrentes à ce sujet :

-  quid de l’hébergement de poulinières et des clauses d’exonération de responsabilité de certains hébergeurs ?

-  responsabilité du haras lors de la garde et entretien de la poulinière.

1) Hébergement de poulinières et clauses d’exonération de responsabilité :

Lors de l’hébergement de poulinières, certains haras ou hébergeurs peuvent être amenés à faire signer une convention d’exonération de leur responsabilité en cas d’accident.

Nous devons distinguer deux cas distincts. Le cas où l’éleveur est un professionnel et le cas où il ne l’est pas.

a) Dans le cas où l’éleveur est professionnel, il faut partir du principe de base qu’aucune disposition légale ne prohibe de façon générale l’insertion de clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité dans les contrats entre professionnels.

C’est ainsi qu’ “est licite une clause d’irresponsabilité dès lors qu’elle figure sur toutes les factures du débiteurs et que le contrat l’incluant unit deux professionnels.” (Cass. Com. 23 novembre 1999 (JCP 2000.II.10236)

Cependant, même dans le cadre d’un contrat souscrit entre un haras et un éleveur professionnel, il y a des exceptions à ce principe de validité des clauses exonératoires de responsabilité. C’est ainsi le cas de la nullité des clauses d’exonération de responsabilité en matière délictuelle ou une atteinte à une obligation essentielle.

A noter de plus, qu’entre professionnels, une clause exonératoire de responsabilité peut être écartée en cas de dol ou de faute lourde du débiteur (en l’espèce le haras). Par faute lourde on entend un comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation (le haras) à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée (Cass.Com. 3 avril 1990). La faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur (Cass.Com. 29 juin 2010).

On peut conclure qu’entre un haras et un éleveur professionnel, une telle clause limitative de responsabilité est valable sauf à rapporter par l’éleveur professionnel un dol ou une faute lourde caractérisée du haras. Ce qui est dans la pratique est assez compliqué à rapporter la preuve.

b) Cas où l’éleveur est non-professionnel :

Deuxième cas : celui où l’éleveur est non professionnel. Ce qui est la majorité des cas.

Qui peut être considéré comme éleveur non professionnel ?

Il faut savoir qu’il n’existe aucune définition légale du consommateur en droit français.

Depuis toujours, c’est la jurisprudence qui détermine les conditions pour pouvoir bénéficier de cette qualité. C’est ainsi que la Cour de Cassation a délimité le domaine de protection du non-professionnel aux contrats n’ayant pas un rapport direct avec son activité professionnelle. (Cass. 1re civ. >24 nov. 1993, D. 1994 som. com.p. 236 , obs Paisant, Defrénois, 1994 p. 818 obs. D. Mazeaud , Cass. 1re civ. 21 fév. 1995, JCP 1995.II.22502)

La jurisprudence a ainsi estimé qu’un artiste lyrique ne pratiquant pas l’élevage d’une race particulière de chats qu’à titre de passion n’est pas un professionnel (CA Versailles, 4 octobre 2002).

Si on part du principe établi par cet arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 4 octobre 2002, on pourra considéré comme éleveur non-professionnel tout détenteur de poulinières qui pratique l’élevage à titre de passion et non de métier. Dans la pratique, ce sera le cas des éleveurs hors sol qui n’ont donc pas de terres et d’activité agricole et qui ne cotisent donc pas à la MSA. Bien évidemment, cela serait aux tribunaux de se déterminer en chaque cas d’espèce en fonction du nombre de poulinière pour un même éleveur.

Posé le principe de qui peut être considéré comme éleveur non-professionnel, il lui sera appliqué le Droit de la Consommation et notamment l’article L 132-1 du Code de la Consommation –premier alinéa- qui prévoit que “dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat”.

C’est ainsi que l’article R 132-1 du Code de la Consommation –dans sa version du Décret du 18 mars 2009- prévoit que “dans les contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels ou des consommateurs, sont de manières irréfragables présumées abusives, au sens des dispositions du premier et du troisième alinéas de l’article L 132-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : 6º Supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le non-professionnel ou le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations”.

La conclusion est donc simple. Au cas où le détenteur de la poulinière est un éleveur hors sol et donc non-professionnel, confiant sa poulinière à un haras professionnel, l’art. R 132-1 du Code de la Consommation sera applicable au contrat d’hébergement et, par conséquent, une clause exonératoire de responsabilité du haras ne pourra être que considéré que comme abusive et interdite au vu du 6º de cet article R 132-1 du Code de la Consommation.

2) Responsabilité du haras lors de la garde et entretien de la poulinière :

En cette période d’insémination des poulinières, quelle est la responsabilité du haras en cas de blessures ou mort survenue pendant que la jument s’y trouve ?
Au visa de l’article 1927 du Code Civil “le dépositaire doit apporter dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent”.
Et qu’en application de l’article 1928 du Code Civil, la disposition précédente doit être appliquée avec plus de rigueur si le dépositaire a stipulé un salaire pour la garde du dépôt.
Ce qui est forcément le cas quand un détenteur de poulinière apporte sa jument à l’insémination au haras pendant le temps où celle-ci s’y trouve.
Ce cas a été réglé de façon assez claire par la Cour de Cassation dans son arrêt du 10 janvier 1990 (Civ. 1ère, 10 janvier 1990 : Bull. Civ. I, nº 6 ; RTD civ, 1990, 517, obs. Rémy) :

“Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que le contrat que M. Y... avait conclu avec M. X... en acceptant d’assurer, moyennant rétribution, la pension de la pouliche que celui-ci lui avait confiée dès sa naissance s’analyse en un contrat de dépôt salarié et que, dès lors, si M. Y... n’était tenu que d’une obligation de moyens, il lui incombait, néanmoins, de prouver que les blessures subies par cet animal au cours de la période pendant laquelle il avait été sous sa garde ne lui étaient pas imputables à faute, les juges du second degré ont violé, par refus d’application, les textes susvisés ;”

Il résulte de la combinaison des articles 1927, 1928 et 1933 du Code civil que si le dépositaire (le haras) n’est tenu que d’une obligation de moyens, il lui appartient, en cas de détérioration de la chose déposée, de prouver qu’il est étranger, en établissant qu’il a donné à cette chose les mêmes soins qu’il aurait apportés à la garde des choses lui appartenant. Ainsi : “Attendu que pour rejeter la demande indemnitaire que M. X... avait formée à l’encontre de M. Y... pour obtenir réparation des préjudices occasionnés par l’avortement d’une jument qui, confiée par le premier au second en dépôt salarié, avait été présentée à la saillie d’un étalon, la cour d’appel, après avoir énoncé qu’il appartenait, non au dépositaire de démontrer n’avoir commis aucune faute, mais au déposant d’établir que le dommage était survenu à la suite d’un manque de soins de la part du dépositaire, a retenu que la preuve de la faute de ce dernier n’était pas rapportée ; Qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés. ” (Cass. Civ. 1ère, 30 mars 2005)

On peut donc conclure, sur la base des articles 1927, 1928 et 1933 du Code Civil, qu’il y a donc inversion de la charge de la preuve. Cela sera donc au haras de démontrer qu’il n’y a pas eu faute de commise de sa part lors de la garde de la jument en vue de son insémination. Le haras devra donc prouver qu’il a bien respecté son obligation de moyens ou que la jument a été blessée ou morte par l’incidence d’un cas fortuit ou de force majeure.

Bien évidemment, que ce soit le cas de la responsabilité du haras pendant la garde de la jument en vue de son insémination ou dans le cadre d’une clause exonératoire de responsabilité, les tribunaux auront à statuer au vue des éléments de chaque cas d’espèce.

Me Juan Carlos Heder Abogado au Barreau de Valencia & au Barreau du Gers http://www.maitrejcheder.com