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Abus de période d’essai et rupture abusive pendant la période d’essai, quelle protection et quel recours pour le salarié ? Par Anthony Chhann, Avocat et Réda Bey, Juriste.
Parution : lundi 9 juin 2014
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En principe, les règles du code du travail qui encadrent la rupture du contrat de travail ne s’appliquent pas pendant la période d’essai. Chacune des parties peut mettre fin à la relation de travail de façon discrétionnaire et sans formalités particulières. Mais cette liberté n’est pas sans limites ; elle doit s’exercer que dans le respect de la finalité de la période d’essai et des droits du salarié, les abus étant sanctionnés par les tribunaux.

La période d’essai a pour finalité de permettre à l’employeur d’évaluer les compétences professionnelles du salarié. Elle vise également à permettre au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent (article L. 1221-20 du code du travail ; Cass. soc., 20 novembre 2007, n° 06-41.212 : Bull. civ., V, n° 194).

Les dispositions qui encadrent la rupture du contrat de travail, protectrices du salarié (procédure de licenciement, indemnité de licenciement, nécessité d’un motif réel et sérieux, etc.), ne s’appliquent pas pendant la période d’essai (article L. 1231-1, alinéa 2, du code du travail pour le CDI ; article L. 1242-11 du même code pour le CDD). L’employeur comme le salarié peuvent en principe rompre le contrat de travail de façon discrétionnaire et sans procédure ou formalités particulières. Certains employeurs pourraient dès lors être tentés de détourner la période d’essai de sa véritable finalité en vue, par exemple, de s’adapter à la conjoncture économique ou de s’accorder plus de souplesse dans la gestion de leur personnel. La loi et la jurisprudence s’efforcent d’encadrer les choses un minimum et de sanctionner les détournements.

Cet encadrement de la période d’essai se manifeste essentiellement par :
- l’exigence d’une stipulation expresse de la période d’essai ;
- la limitation de la durée de la période d’essai ;
- l’encadrement du renouvellement de la période d’essai ;
- l’exigence de justification de la période d’essai ;
- l’obligation de respecter un délai de prévenance minimum en cas de rupture ;
- la sanction des ruptures abusives, discriminatoires ou irrégulières.

Ces règles sont envisagées ci-après.

La période d’essai ne se présume pas.

La période d’essai et, le cas échéant, la possibilité de la renouveler doivent être expressément stipulées dans le contrat de travail ou dans la lettre d’engagement adressée au salarié. La période d’essai ne se présume pas (article L. 1221-23 du code du travail).

Une période d’essai qui ne se serait pas expressément prévue dans le contrat de travail ou dans la lettre d’engagement serait inopposable au salarié, même si elle est prévue par la convention collective.

Limitation de la durée de la période d’essai.

La loi prévoit des durées maximales qui varient en fonction de la classification professionnelle du salarié (article L. 1221-19 du code du travail).

La durée maximale de la période d’essai est de :
- 2 mois pour les ouvriers et les employés ;
- 3 mois pour les agents de maîtrise et les techniciens ;
- 4 mois pour les cadres.

Ces durées concernent le CDI.

Il existe des dispositions spécifiques qui viennent limiter la durée de la période d’essai dans les autres types de contrats de travail : CDD (article L. 1242-10 du code du travail), travail intérimaire (article L. 1251-14 du code du travail), etc.

Sauf stipulations contraires de la convention collective ou du contrat de travail, la période d’essai, qu’elle soit exprimée en mois, en semaines ou en jours, se décompte de manière calendaire, et non en jours travaillés ou en jours ouvrables.

Cette règle vaut aussi bien pour le CDI que pour le CDD (Cass. soc., 28 avril 2011, n° 09-72.165 : Bull. civ., V, n° 101).

Par exemple, une période d’essai de 3 mois qui a commencé le 3 juin expire le 2 septembre à 24 heures (Cass. soc., 11 octobre 1990, n° 87-43.503). Si le contrat de travail est rompu le 3 septembre, les règles du licenciement s’appliquent.

Autre exemple, une période d’essai de 8 jours qui a commencé le 27 décembre expire le 3 janvier à 24 heures (Cass. soc., 28 avril 2011, n° 09-40.464 : Bull. civ., V, n° 101).

Les durées prévues par l’article L. 1221-19 code du travail sont impératives. Il n’est en principe pas possible d’y déroger.

Ce principe comporte néanmoins certaines exceptions (article L. 1221-22 du code du travail) :
- le contrat de travail ou la lettre d’engagement du salarié peuvent stipuler une durée plus courte ;
- les accords collectifs conclus après le 26 juin 2008 peuvent également prévoir des durées plus courtes. Dans ce cas, elles s’imposent à l’employeur ;
- les accords de branche prévoyant des durées plus longues, conclus avant le 26 juin 2008, demeurent toutefois applicables.

En tout état de cause, un accord de branche ne saurait valablement prévoir une période d’essai excessivement longue.

La convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui prévoit des règles protectrices du salarié en cas de cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur, n’admet que les États parties puissent exclure les travailleurs effectuant une période d’essai de son champ d’application qu’à condition que la durée de cette période soit raisonnable (article 2, § 2, b).

La jurisprudence censure les durées trop longues au regard de la finalité de la période d’essai (vérifier les capacités professionnelles du salarié) et des stipulations de la convention n° 158 précitée.
Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle jugé déraisonnable une période d’essai de six mois (Cass. soc., 10 mai 2012, n° 10-28.512 : Bull. civ., V, n° 137). Jugé de même, a fortiori, pour une période d’essai dont la durée, renouvellement inclus, atteint un an (Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-17.945 : Bull. civ., V, n° 11 ; Cass. soc., 26 mars 2013, n° 11-25.580 : Bull. civ., V, n° 82 ).

Dans certaines hypothèses, la durée de la période d’essai doit tenir compte des relations antérieures des parties, qui ont pu permettre à l’employeur d’apprécier les aptitudes professionnelles du salarié (l’existence de relations antérieures peut même priver la période d’essai de sa justification : voir ci-dessous, « La période d’essai doit être justifiée »).

Lorsqu’un CDI fait suite à un CDD, la durée de la période d’essai éventuellement prévue dans le nouveau contrat de travail est intégralement réduite de la durée du CDD (article L. 1243-11, alinéa 3 du code du travail).

L’article L. 1221-24, alinéa 1er, du code du travail prévoit qu’en cas d’embauche d’un ancien stagiaire dans l’entreprise dans les 3 mois qui suivent la fin d’un stage intégré à un cursus pédagogique réalisé lors de la dernière année d’études, la durée de ce stage est déduite de la période d’essai, sans que cela ait pour effet de la réduire de plus de la moitié, sauf accord collectif prévoyant des stipulations plus favorables au salarié. Mais lorsque l’embauche est effectuée dans un emploi en correspondance avec les activités qui avaient été confiées au stagiaire, la durée du stage est intégralement déduite de la période d’essai.

Dans le même ordre d’idées, il est jugé qu’en cas de CDD successifs, la durée de la période d’essai doit s’apprécier globalement (Cass. soc., 13 juin 2012, n° 10-28.286 : à l’issu de 4 CDD d’une durée de 14 jours au total, le salarié avait signé un cinquième contrat d’une durée de 6 mois et 1 jour, prévoyant une période d’essai de un mois. La Cour de cassation a jugé que la durée de la période d’essai devait être diminuée des 14 jours accomplis dans le cadre des CDD antérieurs).

Encadrement du renouvellement de la période d’essai. 

La période d’essai ne peut être renouvelée qu’une seule fois et à condition qu’un accord de branche étendu prévoie cette possibilité (article L. 1221-21 du code du travail).
En outre, comme nous l’avons déjà indiqué, la possibilité d’un renouvellement ne se présume pas et doit être expressément stipulée dans le contrat de travail ou la lettre d’engagement pour être opposable au salarié.

Lorsque les conditions précitées sont remplies et que l’employeur entend renouveler la période d’essai, il ne peut le faire qu’avant l’expiration de la période initiale et doit obtenir l’accord exprès du salarié.
Après le terme de la période d’essai initiale, le contrat de travail devient définitif et les parties ne peuvent plus valablement prolonger ou renouveler la période d’essai (Cass. soc., 29 novembre 2000, n° 99-40.174).

Le renouvellement ou la prolongation de la période d’essai ne peut pas être décidé unilatéralement par l’employeur ; il ne peut résulter que d’un accord exprès des deux parties et exige une manifestation de volonté claire et non équivoque du salarié (Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-43.008 : Bull. civ., V, n° 265).

La jurisprudence se montre particulièrement exigeante en la matière. Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt précité, l’employeur avait fait signer au salarié une lettre ainsi rédigée : « Je fais suite à notre entretien de ce jour et je vous confirme que nous avons décidé d’un commun accord et suivant les conditions de votre contrat de travail, de prolonger la période d’essai (…)  ». La Cour de cassation a jugé que l’accord du salarié ne peut pas être déduit de la seule apposition de sa signature sur un document établi par l’employeur. Elle a en conséquence approuvé la cour d’appel d’avoir estimé que le seul contreseing du salarié apposé sur la lettre que lui a adressée l’employeur restait équivoque et ne manifestait pas clairement son acceptation du renouvellement ou de la prolongation de la période d’essai.

La période d’essai doit être justifiée.

La période d’essai vise à permettre à l’employeur d’apprécier les compétences professionnelles du salarié. Aussi, lorsque l’employeur a déjà pu s’en convaincre antérieurement, la période d’essai ne se justifie pas. Les occasions qui peuvent permettre à l’employeur d’apprécier les aptitudes du salariés sont diverses : formation professionnelle en entreprise, CDD antérieurs, etc. Encore faut-il qu’il s’agisse des mêmes fonctions et que le salarié ait été placé dans des conditions normales d’emploi (Cass. soc., 27 octobre 2009, n° 08-41.661). Les tribunaux apprécient au cas par cas.

Une période d’essai injustifiée est tout simplement nulle, en sorte que les règles de droit commun qui régissent la rupture du contrat de travail s’appliquent dès le début du contrat. Une rupture qui interviendrait en violation de ces règles s’analyserait donc en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 20 mai 1998, n° 96-41.542).

Délai de prévenance en cas de rupture.

La loi impose de respecter un délai minimum de prévenance en cas de rupture du contrat du travail pendant ou à l’issue de la période d’essai.

Le délai diffère selon que la rupture est le fait de l’employeur (article L. 1221-25 du code du travail) ou du salarié (article L. 1221-26 du code du travail) et en fonction du temps de présence du salarié dans l’entreprise depuis son embauche.

Lorsque la rupture émane de l’employeur, le délai de prévenance légal est de :
- 24 heures en deçà de 8 jours de présence du salarié dans l’entreprise ;
- 48 heures entre 8 jours et un mois de présence ;
- 2 semaines après un mois de présence ;
- 1 mois après 3 mois de présence.

Ces dispositions concernent le CDI.
Elles s’appliquent également aux CDD prévoyant une période d’essai d’au moins une semaine.

Lorsque la rupture émane du salarié, celui-ci doit respecter un délai de prévenance de :
- 24 heures s’il est présent dans l’entreprise depuis moins de 8 jours ;
- 48 heures dans les autres cas.

La loi ne précise pas la sanction applicable en cas de non-respect du délai de prévenance.

La Cour de cassation estime que dès lors qu’il est mis fin à la période d’essai avant son terme, la rupture ne s’analyse pas en un licenciement, même si l’employeur n’a pas respecté le délai de prévenance (Cass. soc., 23 janvier 2013, n° 11-23.428 : Bull. civ., V, n° 14). L’ordonnance du n° 2014-699 du 26 juin 2014 est venue préciser que lorsque le délai de prévenance n’a pas été respecté, son inexécution ouvre droit pour le salarié, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. Cette indemnité est égale au montant des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du délai de prévenance, indemnité compensatrice de congés payés comprise (article L. 1221-25, dernier alinéa, du code du travail).

Sanction des ruptures abusives, discriminatoires ou irrégulières.

Pendant la période d’essai, chaque partie au contrat de travail est en principe libre de le rompre sans donner de motif et sans respecter de procédure ou de formalités particulières.

Mais cette liberté n’est pas sans limite. Elle doit s’exercer dans le respect de la finalité de la période d’essai et des droits du salarié, sous le contrôle du juge.

- Détournement de la finalité de la période d’essai : la période d’essai vise exclusivement à permettre à l’employeur d’apprécier les capacités professionnelles du salarié (article L. 1221-20 du code du travail). Elle ne saurait servir à d’autres fins comme, par exemple, tester la viabilité d’un poste, remplacer un salarié absent, faire face à un surcroît temporaire d’activité, s’adapter à la conjoncture économique, s’accorder plus de souplesse dans la gestion du personnel, etc.
Il en résulte que l’employeur ne peut rompre le contrat de travail pendant la période d’essai que pour un motif inhérent à la personne du salarié (Cass. soc., 20 novembre 2007, n° 06-41.212). Une rupture motivée par un motif étranger à la personne du salarié est abusive et lui ouvre droit à des dommages et intérêts en réparation de son préjudice (Cass. soc., 7 février 2012, n° 10-27.525 : Bull. civ., V, n° 57).

- Faute liée aux circonstances de la rupture : même lorsque la période d’essai n’est pas détournée de son objet, les circonstances de la rupture peuvent être constitutives d’une faute en raison, par exemple, de sa brutalité ou d’une légèreté blâmable de l’employeur. Le salarié peut alors prétendre à des dommages et intérêts.

- Rupture prématurée : la rupture du contrat de travail pendant la période d’essai sans qu’un temps normal ait été laissé au salarié pour faire la preuve de ses compétences est abusive et ouvre droit à réparation pour le préjudice subi du fait de l’attitude fautive de l’employeur (CA Paris, 11 décembre 2008, n° 07-2548 : en l’espèce, le salarié s’était présenté à 9 heures pour prendre son poste et avait été renvoyé à peine une demi-heure plus tard).

- Discrimination : si les dispositions qui encadrent la rupture du contrat de travail ne s’appliquent pas pendant la période d’essai, le contrat est cependant bien soumis aux autres dispositions du code du travail. Les articles L. 1132-1 et suivants du Code, interdisant la discrimination s’appliquent pendant la période d’essai et la rupture intervenant pour un motif discriminatoire est nulle (Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-43.402 : Bull. civ., V, n° 52, p. 45).

- Protection contre le harcèlement moral et le harcèlement sexuel : les dispositions des articles L. 1152-1 et suivants du code du travail interdisant le harcèlement moral et le harcèlement sexuel au travail s’appliquent également pendant la période d’essai. Aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement, ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. Une rupture du contrat de travail intervenant en violation de ces dispositions est nulle.

- Salariés protégés : les dispositions légales qui assurent une protection spéciale à certains salariés, en raison du mandat ou des fonctions qu’ils exercent dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs (représentants du personnel, représentants syndicaux, conseillers prud’homaux, etc.) s’appliquent à la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur pendant la période d’essai. La rupture intervenant en violation de ces dispositions est nulle (Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-44.751 : Bull. civ., V, n° 306, p. 266).

- Respect de la procédure disciplinaire : l’employeur n’est pas tenu de motiver sa décision de rompre le contrat de travail pendant la période d’essai. Mais s’il le fait malgré tout en invoquant une faute du salarié, il est alors tenu respecter la procédure disciplinaire, sans quoi le salarié peut prétendre à des dommages et intérêts (Cass. soc., 10 mars 2004, n° 01-44.750 : Bull. civ., V, n° 80 ; Cass. soc., 14 mai 2014, n° 13-13.975).

Anthony CHHANN Avocat au Barreau de Paris Réda BEY Diplômé notaire
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