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Retraits de points et poursuites pénales : le labyrinthe judiciaire. Par Didier Reins, Avocat.
Parution : jeudi 30 août 2012
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Les juridictions de l’ordre judiciaire sont compétentes pour juger des litiges entre particuliers ainsi que des infractions.

Les juridictions de l’ordre administratif sont quant à elles compétentes pour juger des litiges qui opposent les particuliers à l’administration.

1. Le principe de dualité de juridictions.

Le système juridictionnel français est marqué par une spécificité : le principe de dualité des juridictions.

En vertu de ce principe, deux ordres de juridictions ont été créés, à savoir les juridictions de l’ordre judiciaire et celles de l’ordre administratif.

Chacun de ces ordres de juridictions se voit affecté à une mission très précise.

Les juridictions de l’ordre judiciaire sont compétentes pour juger des litiges entre particuliers ainsi que des infractions.
Ex : divorce, recouvrement de créance, droit immobilier, etc.
Ex : poursuites pénales devant le tribunal correctionnel en cas de commission d’un délit.

Les juridictions de l’ordre administratif sont quant à elles compétentes pour juger des litiges qui opposent les particuliers à l’administration.
Ex : recours contre une décision de refus de permis de construire.
Ex : recours contre une décision de retrait de points du permis de conduire.

À ce stade, il est essentiel de comprendre que la décision de retrait de points est une décision purement administrative.
Elle est prise après la commission d’une infraction lorsque celle-ci a donné lieu à une condamnation par le juge pénal ou lorsque le conducteur a payé l’amende, ce qui équivaut alors à reconnaitre l’infraction.
Il s’agit là d’une mesure automatique.

La décision de retrait de points n’est donc jamais une peine, elle est une décision purement administrative.

Lorsque vous perdez un ou plusieurs points, vous n’êtes pas sanctionnés, mais simplement administrés !
Si cela peut vous consoler…

Le conducteur peut bien évidemment la contester cette décision administrative de retrait de points en avançant que celle-ci n’est pas légale, mais il doit alors le faire devant le juge administratif et non devant le juge pénal, même si celui-ci est intervenu en amont pour condamner le conducteur à une peine.

Exemple : un conducteur fait l’objet de poursuites pénales pour excès de vitesse.
Si l’infraction est constituée, le juge pénal pourra, entre autres et selon les cas, prononcer à son encontre une peine de prison ainsi qu’une peine d’amende.

Mais le juge pénal ne décidera pas du retrait de points.
Ce retrait de points sera une conséquence automatique qui suivra la condamnation prononcée auparavant par le juge pénal.
Il s’agira donc d’une décision administrative indépendante de la condamnation.

Si le conducteur entend contester ce retrait de points, il devra alors introduire un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif, seul compétent pour juger des actes de l’administration.

Le principe de dualité des juridictions marque donc le territoire de chacun :

-  Au juge pénal le soin de juger les infractions commises par les automobilistes ;

-  Au juge administratif le soin de juger de la légalité des actes administratifs parmi lesquels les actes de retraits de points opérés par l’administration sur le permis de conduire des conducteurs.

Tel est le principe de dualité des juridictions, étant précisé qu’il s’agit là d’une spécificité française.

2. L’intrusion ponctuelle du juge pénal dans l’appréciation de la légalité des actes administratifs.

Parfois, le juge pénal aura son mot à dire sur la légalité d’un acte administratif.

Cette hypothèse, autrefois dégagée par la jurisprudence et codifiée aujourd’hui à l’article L 111-5 du Code Pénal, permet au juge pénal d’interpréter des actes administratifs, réglementaires ou individuels et d’en apprécier la légalité lorsque de cet examen dépend la solution du procès pénal.

L’article 111-5 du Code Pénal est ainsi libellé :

"les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis."

Là, les termes employés sont très importants, car la solution d’un procès pénal ne dépend pas toujours de l’examen de la légalité d’un acte administratif, même lorsqu’un tel acte est à l’origine des poursuites.

Concrètement, l’hypothèse sera celle d’un conducteur informé de l’annulation de son permis de conduire, suite à la perte totale de ses points.
Il s’agit du formulaire 48 SI que l’on reçoit alors en recommandé avec accusé de réception.
Le conducteur se voit alors sommé de rendre son permis de conduire.
Si le conducteur refuse de remettre son permis de conduire, il se rend coupable d’une infraction, et peut alors être poursuivi devant le tribunal correctionnel.
Dans ce cas, et dans ce cas seulement, le juge pénal pourra alors examiner la légalité de l’acte administratif à l’origine des poursuites.
La solution est logique puisque c’est la légalité de cet acte qui va déterminer le bien-fondé ou non des poursuites pénales.
De l’examen de la légalité de cet acte administratif dépendra donc la solution du procès pénal.
Cela étant, le juge pénal écartera l’acte administratif illégal le plus souvent sur de simples questions de formes, lorsque celui-ci ne contient pas certaines mentions obligatoires où n’est pas suffisamment motivé au regard de la loi.

Dans ce cas, le conducteur sera relaxé, mais l’autorité administrative (préfet ou ministre de l’intérieur) pourra toujours édicter un autre acte administratif, légal cette fois-ci, ce qui obligera donc le conducteur à restituer son permis de conduire.
S’il ne le fait pas, il s’expose à de nouvelles poursuites pénales qui l’exposeront alors à une condamnation quasi inévitable, car on ne peut indéfiniment se retrancher derrière l’illégalité de l’acte administratif dans la mesure où l’administration finit toujours par corriger le tir.

ATTENTION : en cas de relaxe, le juge pénal ne rendra pas ses points au conducteur, car pour cela il faut aller devant le tribunal administratif, seul compétent, en tant que juge de l’administration, pour apprécier la légalité des retraits de points.

Le principe de dualité de juridictions n’est donc pas très compréhensible à tous et nombreux sont les conducteurs qui remettent en cause son utilité.

Pour autant, il s’impose à chacun.

3. L’intrusion ponctuelle du juge administratif dans le procès pénal.

L’hypothèse est la même, mais avec une variante.

Un conducteur est informé de l’annulation de son permis de conduire et se voit enjoint de restituer son permis.
Il refuse et introduit immédiatement un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif afin de faire annuler la décision d’invalidation qui frappe son permis de conduire.

Les poursuites pour refus de restituer le permis de conduire seront exercées devant le juge pénal.

Le recours à l’encontre de la décision d’annulation sera jugé par le juge administratif.

Il est tout à fait possible que le juge administratif se prononce avant le juge pénal.

Dans ce cas, de deux choses l’une :

-  Le juge administratif rejette le recours du conducteur à l’encontre de la décision d’annulation de son permis de conduire et alors l’audience devant le juge pénal risque d’être particulièrement difficile pour cet automobiliste car comment justifier de sa décision de refus de restituer son titre de conduite ?

-  Le juge administratif annule la décision d’invalidation du permis de conduire et donne donc raison au conducteur qui a contesté la légalité de cet acte administratif.

Dans ce cas, le juge pénal devra bien entendu en tenir compte et relaxer le conducteur des poursuites intentées contre lui du chef de refus de restituer son permis de conduire.

La décision du tribunal administratif a un effet rétroactif : puisque l’acte administratif pris à l’encontre du conducteur est annulé, celui-ci est censé n’avoir jamais existé.
De ce fait, l’infraction reprochée au conducteur n’est pas constituée, puisqu’à la date où celui-ci a fait connaitre son intention de ne pas rendre son permis de conduire, l’acte administratif servant de support aux poursuites pénales n’existait pas…

On l’aura donc compris, le principe de dualité de juridictions qui cantonne l’ordre juridictionnel judiciaire et l’ordre juridictionnel administratif à des tâches extrêmement précises n’est pas pour autant hermétique.

Un seul et même problème peut donc être apprécié par différents juges qui auront chacun à trancher des questions propres.

Il reste cependant que cette ventilation des compétences est parfois mal comprise par le justiciable qui a l’impression d’errer dans un labyrinthe juridique.
Ce sentiment est compréhensible, mais disparaît lorsque l’on a compris que le principe de dualité des juridictions va de pair avec la spécialisation.
Qui mieux qu’un juge administratif, roué aux techniques, aux problèmes et au fonctionnement de l’administration, sera en mesure d’apprécier la légalité d’un acte administratif ?

De la même façon, qui mieux que le juge pénal, confronté quotidiennement aux délinquants, serait en mesure d’apprécier le contenu d’un dossier pénal et d’y donner la solution adéquate ?

Le principe de dualité des juridictions n’est donc pas là pour effrayer ni pour égarer le justiciable.
Il doit lui garantir ce qu’un État de droit doit apporter à ses citoyens, c’est-à-dire l’assurance d’une justice millimétrée et indépendante.

Le droit des automobilistes, et plus spécialement les règles affectées à l’obtention et la conservation de leur permis de conduire, y puise des éléments de réflexion et d’argumentation qu’il est toujours bon de développer devant le tribunal.

Didier Reins Avocat E-Mail : [->reins.avocat@gmail.com] Site Web: https://reinsdidier-avocat.com