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Faute grave ? L’employeur sanctionne et les juges veillent ! Exemples récents. Par Nadine Regnier Rouet, Avocat.
Parution : mercredi 3 octobre 2012
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Bouquet de décisions, le 20 juin 2012, à la Cour de cassation pour mettre à l’honneur l’exercice délicat et pondéré de l’appréciation de la « faute grave » du salarié par les juges du fond.

La « faute grave » est un (ou des) acte(s) qui, de par sa (leur) gravité particulière, rend(ent) nécessaire la rupture immédiate du contrat de travail, sans préavis, afin de protéger les intérêts de l’entreprise, voire des autres salariés.

Elle est aussi privative de l’indemnité de licenciement, punition pécuniaire organisée par la Loi pour marquer encore plus la condamnation sociale du comportement ou des faits commis par le salarié.

La gravité de la faute n’est, cependant, pas subordonnée à l’existence d’un préjudice subi par l’employeur.

En cas de litige, il appartient au juge d’apprécier la gravité de la faute invoquée par l’employeur : le juge analyse les faits, les preuves rapportées par l’employeur, et porte sa propre appréciation sur ceux-ci.

Il peut donc « requalifier » une faute grave en cause réelle et sérieuse de licenciement, voire même considérer que les faits rapportés ne constituent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Ou bien il peut juger qu’il existe un doute sur la consistance des faits de telle sorte que le licenciement ne peut être fondé en droit : en effet, « le doute profite au salarié » (article L 1235-1 du Code du travail).

L’employeur a donc intérêt à se reporter au « catalogue » à la Prévert des fautes qualifiées de « graves » par les juges avant de licencier un salarié ; et ce catalogue est périodiquement « remis à jour ». Retour sur les arrêts du 20 juin 2012.

I - Faute grave  : le salarié a, de façon répétée, malgré une mise en garde de son employeur, manqué à son obligation de contrôle des chantiers dont il est responsable  ; ces faits ont entraîné des désordres, des surfacturations, donc des préjudices pour l’employeur et ses clients.

(n° 11-16381)

II - Faute grave  : le salarié s’est introduit de nuit dans les locaux de l’entreprise grâce à des clés qu’il ne devait pas s’approprier, a commis un vol aux dépens de l’employeur et s’est enfui suite à l’arrivée d’un autre salarié sur les lieux.

(n° 11-17794)

III - Faute grave  : la salariée a manifesté un comportement inutilement agressif envers ses collaborateurs (réprimandes gratuites et injustifiées, attaques personnelles et propos méprisants) causant une détérioration profonde du climat de travail.

(n° 11-22122)

Dans ces décisions, on remarque

(1) la répétition d’inexécutions contractuelles malgré une mise en garde par l’employeur, ou bien

(2) un fait isolé répréhensible et de qualification pénale (vol de nuit prémédité avec subtilisation de clés), ou encore

(3) un comportement inapproprié durable envers d’autres salariés, causant des dommages à la santé de ces derniers.

Dans les exemples I et III, en outre, il apparaît que les salariés exercent des responsabilités spécifiques ou encadrent d’autres personnes.

Enfin, il semble que chaque affaire a mis en lumière un préjudice causé à l’entreprise.

***

A l’inverse, voici quelques exemples de faits originellement qualifiés de faute grave par l’employeur mais pour lesquels le juge n’a pas suivi cette qualification et y a substitué la sienne, moins sévère et donc moins pénalisante pour le salarié.

IV - Pas de faute grave  :

(a) les salariés ont consommé une seule fois une très faible quantité d’alcool avant de prendre leurs fonctions.

(b) Dans le passé, l’employeur avait admis l’introduction dans l’entreprise et la consommation de boissons alcoolisées (anniversaires, fin d’année et galette des rois) durant le temps de travail et sur le lieu de travail.

En mettant en rapport ces diverses constatations, les juges d’appel considèrent que le fait isolé visé en (a) « ne rend pas impossible le maintien des salariés dans l’entreprise ».

(n° 11-19914)

V - Pas de faute grave  : le salarié, durant sa pause au sein de l’entreprise, consomme des produits de l’entreprise qu’il n’a pas payés.

Les juges d’appel considèrent qu’en raison de la valeur dérisoire des produits et du caractère isolé des faits reprochés au salarié, et bien qu’il n’ait pas respecté la procédure interne d’achat pour consommer, il n’y a pas de faute grave.

(n° 11-18168)

Dans ces décisions, on remarque

(1) à chaque fois, un fait fautif isolé reproché au salarié

(2) avec, de surcroît, soit une valeur dérisoire (pour ce qui constitue cependant un larcin, à comparer avec le cas II), soit, de la part de l’employeur, l’autorisation répétée d’organiser des consommations d’alcool au sein de l’entreprise, dans le passé.

Conseil RH

La qualification de faute grave est donc à manier avec prudence, en fonction de paramètres tenant au salarié, tels que l’ancienneté du salarié, sa conduite passée, son niveau de responsabilité.
Bien d’autres critères entrent en ligne de compte et concernent, cette fois, l’attitude passée de l’employeur  : a-t-il mis en garde le salarié sur son comportement ? A-t-il toléré de manière répétée de tels comportements fautifs sans réagir ?

Il est sage, face à un comportement qui paraît fautif, de prendre du recul, de ne pas réagir « à chaud » et de solliciter l’avis de personnes extérieures, telles un avocat spécialisé en droit du travail.
Mais, pour autant, il faut agir assez vite une fois les faits connus dans leur globalité puisque la faute grave est celle qui ne permet pas le maintien du salarié dans l’entreprise.

Nadine Regnier Rouet Avocat au Barreau de Paris spécialisé en droit du travail Site internet : www.n2r-avocats.com Email : contact@n2r-avocats.com