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Offre anormalement basse. Par Benoit Fleury, Juriste.
Parution : vendredi 19 octobre 2012
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L’offre anormalement basse, c’est-à-dire celle dont le prix ne correspond pas à une réalité économique (point 15.2 de la circulaire du 14 février 2012 relative au Guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics) : voilà bien une épine dans le pied des praticiens de la commande publique. Comment la détecter ? Que faire en cas de doute ? Quels risques ? Autant d’interrogations aiguisées par l’absence de critères objectifs d’une définition de l’offre anormalement basse. C’était le sens d’une question parlementaire posée par Jean-Louis Masson et à laquelle le Ministère de l’intérieur vient de répondre (JO Sénat du 4 octobre 2012, p. 2172).

La doctrine administrative revient effectivement sur la difficulté à saisir la notion qui suppose le recours à « un faisceau d’indices, sous le contrôle du juge administratif » pour conclure que la fixation « d’objectifs de référence risquerait de se révéler contre-productif ». Elle avance deux arguments en ce sens :

-  d’une part la relativité de la notion qui dépend grandement du cahier des charges rédigé pour les besoins de la personne publique ;

-  d’autre part le fait que la Cour de justice de l’Union européenne considère que les règles fondamentales du Traité s’opposent à la mise en place d’une législation nationale qui instaurerait une règle automatique de détermination des offres anormalement basses, sauf en fixant un seuil raisonnable et en cas de réception d’un nombre d’offres excessivement élevé (CJUE, 15 mai 2008, SECAP SpA c/ Commune de Torino, affs. C-147 et 148/06).

Cette réponse tombe à point nommé au cours d’une période où la conjugaison de la crise et d’un argent public devenu plus rare accentue la concurrence entre les entreprises. Elle offre ainsi l’occasion de rappeler quelques règles simples permettant de détecter l’offre anormalement basse afin de recourir au dispositif protecteur de l’article 55 du Code des marchés publics suivant lequel, «  si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu’il juge utiles et vérifié les justifications fournies. Pour les marchés passés selon une procédure formalisée par les collectivités territoriales et les établissements publics locaux, à l’exception des établissements publics sociaux ou médico-sociaux, c’est la commission d’appel d’offres qui rejette par décision motivée les offres dont le caractère anormalement bas est établi ».

Cette procédure contradictoire prohibe l’utilisation d’une formule mathématique qui conduirait à exclure les offres de manière automatique. Si l’acheteur public a un doute sérieux, il ne peut passer outre ce dispositif. Il doit demander des explications au soumissionnaire et en apprécier la pertinence (TA Lille, 25 janvier 2011, Sté Nouvelle SAEE, n°0800408).

En pratique, c’est le plus souvent la différence entre le prix proposé et l’estimation du pouvoir adjudicateur qui mettra la puce à l’oreille de ce dernier. S’il s’agit incontestablement d’un critère pertinent d’identification (TA Grenoble, ord. réf., 31 juill. 2007, Sté Cars Berthelet, n° 0703381 et 0703382 : JCP A 2008, comm. 2040, note P. Neveu), il ne saurait cependant être unique. D’autres référentiels méritent et doivent être utilisés. Outre la prise en compte du prix de l’offre (sous-évaluation financière), le pouvoir adjudicateur peut apprécier la dimension économique des offres en procédant par comparaison avec la moyenne des offres reçues ou encore au vu des obligations sociales qui s’imposent aux soumissionnaires (sur ces aspects, la Direction des affaires juridiques des ministères financiers livre de précieux aspects dans sa fiche technique espace marchés / rubrique conseil aux acheteurs).

Les entreprises sont loin d’être dépourvues de tout argument et elles peuvent avancer un certain nombre de justifications pour éclairer le pouvoir adjudicateur, parmi lesquelles :

- l’économie du procédé de construction, du procédé de fabrication des produits ou de la prestation des services ;

- les solutions techniques adoptées et/ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour exécuter les travaux, pour fournir les produits ou les services ;

- l’originalité des travaux, des fournitures ou des services proposés par le soumissionnaire ;

- le respect des dispositions concernant la protection et les conditions de travail en vigueur au lieu où la prestation est à réaliser ;

- l’obtention éventuelle d’une aide d’Etat par le soumissionnaire.

Il en résulte une approche in concreto sur laquelle le juge exerce un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation (CAA Marseille 12 juin 2006, SARL Stand Azur, n° 03MA02139), de nature tout même à rassurer les entreprises. Dans une affaire récente, le Conseil d’Etat par exemple a jugé que si le coût lié à la reprise des salariés de l’ancien attributaire doit être pris en compte par un candidat dans son offre, le montant de celle-ci ne doit pas nécessairement couvrir l’intégralité de ce coût, compte tenu des possibilités existantes de redéploiement ou d’imputation partielle (CE 1er mars 2012, Dpt de la Corse du Sud, n° 354159 : JurisData n° 2012-003068 ; JCP A 2012, comm. 2143, note P. Neveu).

La question parlementaire et sa réponse

La question sélectionnée par la Direction Générale des Collectivités locales

Circulaire du 14 février 2012 relative au Guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics

Fiche technique de la Direction des affaires juridiques des ministères financiers consacrée aux offres anormalement basse

CE 1er mars 2012, Dpt de la Corse du Sud, n° 354159 : JurisData n° 2012-003068

Benoit Fleury Directeur Général adjoint des services du Conseil Général de Vendée en charge du pôle juridique et du contrôle de gestion (en détachement de l'université). Membre du comité de rédaction de la Semaine Juridique - Administrations Collectivités territoriales (JCP A) http://benoit-fleury.blogspot.fr/